Brève histoire du mutualisme
Si la dénomination de société de secours mutuel apparut après 1789, le concept associatif lui-même était à l'oeuvre depuis longtemps. La confrérie de Sainte-Anne, créée par des compagnons menuisiers au XVIIe siècle, proposait des modèles d'organisations mutualistes.
Ces modèles sociaux furent abolis, provisoirement, sous la Révolution, par le décret d'Allarde (1) et la loi Le Chapelier (2), pour renaître sous le Premier Empire.
Tout au long du XIXe siècle, bien des philanthropes s'étaient penchés sur le sort de la classe ouvrière, Villermé notait l'insalubrité des manufactures, surtout celles de coton
« ... Le soin de tenir closes en tout les fenêtres de ces manufactures s'oppose au renouvellement de l'air dans les ateliers et produit beaucoup de maladies ...(3) « La plupart des ouvriers produisent par leur travail journalier leur subsistance et celle de leur famille et, s'ils tombent malades, ils sont réduits à la misère », (4) et « une diminution... de dix centimes dans le prix du pain... apporte une très grande différence dans leur condition... »
Une chanson de Pierre Dupont (5) publiée en 1846 décrivait la triste existence de la classe ouvrière
«Nous dont la lampe le matin, Au clairon du coq se rallume ; Nous tous qu'un salaire incertain Ramène avant l'aube à l'enclume Nous qui des bras, des pieds, des mains, De tout le corps luttons sans cesse, Sans abriter nos lendemains Contre le froid de la vieillesse»Refrain Aimons-nous, et quand nous pouvons Nous unir pour boire à la ronde Que le canon se taise ou gronde Buvons À l'indépendance du monde !
Mal vêtus, logés dans des trous, Sous les combles, dans les décombres Nous vivons avec les hiboux Et les larrons amis des ombres ; Cependant notre sang vermeil Coule impétueux dans nos veines Nous nous plairions au grand soleil Et sous les rameaux verts des chênes À chaque fois que par torrents Notre sang coule sur le monde, C'est toujours pour quelques tyrans Que cette rosée est féconde Ménageons — le dorénavant, L'amour est plus fort que la guerre. En attendant qu'un meilleur vent Souffle du ciel sur la terre, Aimons-nous...(6)
Les institutions charitables étaient confrontées au problème suivant : la nécessité pour ces âmes généreuses de porter secours aux démunis au moyen de structures sociales adaptées. Le Code pénal interdisait tout groupement de plus de vingt personnes. La révolution de février 1848, en abrogeant implicitement l'article 291 du Code pénal par la proclamation du droit des citoyens de se réunir et de s'associer, permit à ces institutions généreuses de se constituer en toute liberté.
Le 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte s'empara du pouvoir, et les maires comme les conseils municipaux républicains furent révoqués et dissous, remplacés par des maires à nouveau nommés. L'ordre était donné de supprimer les inscriptions « Liberté — Égalité — Fraternité » sur les mairies et d'arracher les arbres de la liberté. Les conseillers municipaux restaient élus au suffrage universel.
En mars 1852, le prince-président explicita sa volonté de poursuivre l'extension des sociétés de secours mutuel : « Les sociétés de secours mutuel telles que je les comprends ont le précieux avantage de réunir les différentes classes de la société, de faire cesser les jalousies qui peuvent exister entre elles, de neutraliser, en grande partie, le résultat de la misère en .faisant concourir le riche, volontairement, par le superflu de sa fortune, et le travailleur, par le produit de ses économies, à une institution où l'ouvrier laborieux trouve conseil et appui. On donne ainsi aux différentes communautés un but d'émulation, on réconcilie les classes et on moralise les individus. Le 26 mars 1852, il publia, quatre mois après son coup d'État, le décret instituant la société de secours mutuel approuvée. Les sociétés de secours mutuel étaient créées par les soins du maire et du curé dans chacune des communes où l'utilité était reconnue. Comme l'écrivait un juriste commentant la loi : "... Le maire et le curé sont, dans chaque commune, les protecteurs nés des sociétés, la plupart en font partie, soit comme membres honoraires, soit quelques fois comme membres participants .(7)"
En outre, les règles de composition imposaient des associés participants cotisants et des membres honoraires qui payaient soit des cotisations, soit qui faisaient des dons à la société.
Ceux-ci étaient, pour l'essentiel, des notables fortunés et bien pensants. Le président de chaque société était nommé par le président de la République. Elles avaient pour but d'assurer les secours temporaires aux sociétaires malades, blessés ou infirmes.8
Les préfets et l'Église surveillaient ces sociétés car les fonds, à l'occasion, pouvaient servir à soutenir une grève.
Au 31 décembre 1852, en France, on comptait 2438 sociétés de secours mutuel avec 263 554 membres. Dix ans plus tard à la même date, on en comptait 4 582, comprenant 639 044 membres, dont 73 881 honoraires, et 565 163 participants qui se décomposaient en 478 855 hommes et 86 308 femmes. Les finances étaient alimentées par des cotisations des membres actifs chargés de pourvoir aux dépenses de la maladie. La participation financière des membres honoraires subventionnait, sans contrepartie, la branche vieillesse.
Le décret du 22 janvier 1852 avait décidé qu'une dotation de 10 millions, prise sur les biens de la famille d'Orléans, serait affectée aux sociétés de secours mutuel. Le décret du 26 avril 1856, relatif à la constitution d'un fonds de retraite, imputé à cette même dotation, compléta cette importante mesure.
L'admission des femmes
Selon un préjugé très répandu, injuste et infondé, les femmes étaient pour les caisses mutuelles une cause de dépenses excessives et une ruine inévitable. Aussi, de nombreuses voix s'élevaient pour les exclure des mutualités. En 1852, le rapport à l'empereur sur la situation des sociétés de secours mutuel infirmait ces allégations. Il constatait que les femmes étaient plus souvent malades que les hommes, mais leurs affections étaient plus courtes. Les sociétés n'avaient eu à leur payer que quatre journées et demie par sociétaire, tandis que pour les hommes c'était un peu plus de cinq journées. Ces proportions se reproduisaient chaque année avec la même exactitude. Les sociétaires féminines s'adressaient plus régulièrement aux médecins et l'usage de médicaments était plus fréquent. Le rapport ajoutait que ces dépenses étaient largement compensées par la diminution des journées de maladie. Par contre, il recommandait aux médecins de se montrer moins bienveillants vis-à-vis de leurs patientes pour ne pas fournir un argument supplémentaire aux préventions qui voulaient les exclure.
EN VAUCLUSE
En 1860, dix départements avaient plus de cent sociétés. Curieusement, le Jura était l'une des circonscriptions administratives les mieux équipées en sociétés de secours. Le Vaucluse figurait à la soixante-quatorzième place, seulement quatre sociétés avaient obtenu l'approbation, savoir
• Avignon, Société des Ouvriers réunis fut approuvée par décret du 17 février 1855, le président en était Frédéric Granier, ancien maire d'Avignon, propriétaire du château de Fontgaillarde à Sorgues,
• Mirabeau, Société de Saint-Joseph fut créée le 2 décembre 1859, le prince-président l'approuva le 31 décembre 1859, Rossignol, cultivateur, avait été nommé président,
• Pertuis, Société des Sapeurs Pompiers, créée le 17 janvier 1855, approuvée le 31 décembre 1859, président Mobel, maire.
• Sorgues, la société de Secours mutuel fut créée le 10 novembre 1859, elle fut approuvée le 27 novembre 1859, son président était Bernard Aîné, membre du conseil municipal.
En 1867, les sociétés de Vaucluse apparaissaient comme peu fortunées, avec un capital total de 11 436, 75 francs et dotées de 680,24 de subventions ; seule la société avignonnaise disposait d'un fonds de 3100 francs. Elles déclaraient 801 membres honoraires, 1137 hommes actifs et 55 femmes. Les quatre sociétés avaient secouru 433 malades, 13 personnes étaient décédées, les recettes s'étaient élevées à 31 116,27 francs et les dépenses à 25 862, 11 francs, elles avaient un avoir total de 35 299,20 francs.
En 1859, le nombre total de sociétaires était de705 pour une population de 268 994 habitants, soit un rapport de 1 sur 381 vauclusiens, comparé au département de l'Ain, par exemple, où il était de 1 sur 91.(9) En ce domaine, le Vaucluse avait un retard très important.
SORGUES
Brève relation sociale de la classe ouvrière
Jusqu'en 1820, Sorgues ressemblait à une communauté rurale d'ancien régime. Les interminables guerres du Premier Empire, la dépopulation et l'appauvrissement qui en furent la suite figèrent l'économie locale. Il fallut attendre 1820 pour voir une demande de création d'une usine de garance, quartier du château, par messieurs Gonnet père et fils. Ce fut le point de départ qui amena les nantis sorguais à jeter les bases d'une commune industrielle et ouvrière. Il y avait de quoi satisfaire leur appétit, grâce aux coups de bourses sur les marchés du prix de la garance, comme le fit Granier, propriétaire du château de Fontgaillarde, ou de la soie. D'après le livre de correspondance conservé aux archives communales, vingt-trois requêtes d'installation de manufactures diverses : garance, soie, pierre à aiguiser, minoterie, distillerie, etc. furent demandées.
Parallèlement de 1836 à 1861, la population augmentait fortement, ce fut de l'ordre de 43,4 %. L'économie sorguaise attirait la main-d'oeuvre de départements voisins. Pendant cette période, les petits cultivateurs ardéchois s'installèrent dans notre commune pour travailler dans l'industrie de la garance.(10) La tâche de ces ouvriers était très pénible, soit à cause de la chaleur des salles où ils étaient enfermés et de la poussière ténue qui les remplissait, soit à cause du déploiement de forces musculaires qui exigeaient certaines opérations. Les ateliers marchaient jour et nuit, le travail nocturne revenait deux ou trois fois par semaine. Certains ouvriers, venant pour la saison « octobre-avril », campaient dans l'atelier.(11) Ces prolétaires qui préparaient cette poudre colorante avaient un aspect effrayant, rouges comme ils l'étaient de la tête aux pieds : le poète Thalès Bernard ne les oublia pas dans ce poème (12)
J'aimais aussi l'usine de garance Où voltigeait une poudre de sang, Innocent voile à terrible apparence, Qui faisait peur au crédule passant. Là, vingt gaillards, dépouillés jusqu'au ventre, Assommant tout de leurs barres de fer, Semblaient du diable avoir déserté l'antre Pour me donner une idée de l'enfer (13)
Une autre industrie prospérait, les "filatures". Dans la commune, en cette première moitié du XIXe siècle, aucune filature n'avait été recensée, une seule indication, datée de 1811, mentionnait l'existence de 36 bassines occupant 25 ouvrières. La transformation de la matière brute en fil était faite le plus souvent à domicile, sur le lieu même de la récolte. De 1852 à 1856, cinq filatures fonctionnaient et elles employaient de100 et 150 ouvriers. Cette main d'oeuvre était essentiellement féminine : 132 femmes sur 147 ouvriers en 1852. (14) Les horaires de travail étaient organisés de la manière suivante
• Commencement de la journée à cinq heures du matin
• Déjeuner à sept heures, une demi-heure de repos
• Dîner à midi, une heure de repos
• Goûter à quatre heures, une demi-heure de repos
• Sortie de la journée à sept heures du soir
Les fabricants, ou maîtres-mouliniers, avaient des ouvriers qu'ils nommaient mouliniers ou moulinières. Il arrivait à ces personnels de commencer à quatre heures du matin pour finir à dix heures du soir, avec une demi-heure de repos par heure, ce qui revenait à douze heures de travail. Le travail de cardage présentait des causes d'insalubrité. Les pauvres femmes étaient assises toute la journée, près d'un fourneau et d'une bassine d'eau bouillante, aidées par les "tourneuses" qui actionnaient les machines à bras, et cela en toute saison. L'insalubrité des lieux exposait les ouvrières à toutes sortes "d'effrayantes maladies" telles que les fièvres putrides, les catarrhes, les congestions pulmonaires, les clous, les panaris, etc... (15)
Dans le Vaucluse et à Sorgues, la mutualité, malgré l'extension qu'elle avait prise sur le territoire national, n'en était qu'à ses débuts. Dans notre commune, quelques patrons, chrétiens sociaux, émus par la pauvreté des salariés, entreprirent de créer une société de secours mutuel, en opposition à d'autres qui se justifiaient "soit parce qu'ils subissaient des chômages prolongés, soit parce qu'ils ne requéraient pas une population ouvrière exclusivement apte, ni exclusivement affectée à son travail".(16) ou qui "se disaient fabricants pour devenir riches, et non pour se montrer philanthropes (17 ) (18). L'opposition au projet était bien réelle : huit industriels soyeux, qui occupaient chacun de 20 à 25 ouvrières, passèrent, en janvier 1858, par acte de maître Brunei, notaire, une convention par laquelle ils s'engageaient à ne pas employer les ouvrières qui sortiraient sans certificat d'une de leurs entreprises. Par ce moyen, l'usinier était assuré que les salariées ne seraient pas reçues dans les autres fabriques coalisées qui pouvaient réduire leurs salaires. Le prix de la journée qui était de 22 sous n'était plus que de 16 sous. (19)
Karl Marx, observateur critique de la condition ouvrière, expliquait que c'était la condition fatale à cette classe sociale dont le salaire maximum correspondait au strict nécessaire pour vivre : c'était la loi d'airain, dérivant de la loi économique de l'offre et de la demande. Le travail était une marchandise et il suivait les mêmes fluctuations de prix que les autres marchandises. Or les marchandises avaient d'autant moins de valeur qu'elles étaient moins demandées et plus offertes. Il en était de même pour le travail : en effet, il était offert d'une façon presque illimitée, l'offre était considérable. Il n'y avait certainement pas assez de travail pour occuper tous ceux qui avaient besoin de travailler pour vivre. Donc, le patronat pouvait n'accorder que des salaires infimes et, néanmoins, il trouvait toujours des ouvriers. Ceux-ci, pressés par le besoin, étaient obligés d'accepter ce que l'on voulait bien leur offrir.
Devant cette difficulté majeure, où deux conceptions antagonistes de la gestion de l'entreprise s'affrontaient, l'une progressiste l'autre conservatrice, Leenhardt, de confession protestante et des patrons catholiques combattirent ensemble avec succès les idées rétrogrades de leurs adversaires, convaincus de la nécessité de créer une société de secours mutuel. Au mois d'octobre 1858, ces chefs d'entreprise « ... se réunirent naguère dans le but de travailler à l'organisation d'une société de prévoyance... » (20). Ils optèrent pour une association générale qui regroupait tous les ouvriers des usines dans une seule organisation. Prudents, ils prirent le soin de sonder les personnes qui pouvaient être intéressées. Ils eurent la satisfaction d'atteindre le chiffre de 148 adhésions.
En ce même mois, dix usiniers se chargèrent d'élaborer les futurs statuts. Les fiches de renseignements détenues par les autorités au sujet de chacun notaient : « ... bien considéré par ses concitoyens, ses opinions sont favorables au gouvernement.» (21) Il n'y avait aucun ouvrier dans le futur organe directeur. Pour les concepteurs, c'était inconcevable d'intégrer des travailleurs dans l'appareil dirigeant. Il régnait dans la bourgeoisie le sentiment d'être une classe supérieure et, en conséquence, la conviction que la classe ouvrière ne pouvait pas penser par elle-même et se montrer capable d'assurer la direction de l'assemblée. Il faut reconnaître qu'à cette époque l'étendue de l'analphabétisme donnait à de pareils projets l'apparence d'une chimère et que le paternalisme pouvait sembler la seule voie possible vers la promotion ouvrière.
Les membres, désignés pour faire partie de la commission préparatoire, étaient structurés autour de «fabricants », à savoir
• Henri ROUX, propriétaire d'une fabrique de garancine, il employait seize ouvriers,
• JULIAN Fils, également propriétaire d'une fabrique de garancine, employant seize ouvriers,
• VILLION André, propriétaire, ancien adjoint au maire, ancien militaire, titulaire de la médaille de Sainte-Hélène,
• MICHEL, négociant de garance et de garancine,
• SANTET, distillateur, il employait cinq salariés,
• PORTE Jean,
• BERNARD Baptistin, ancien conseiller municipal, il avait été contremaître dans une usine de garance pendant plus de trente ans ; rentier, d'une excellente position de fortune, il disposait de 60 000 à 80 000 francs en propriétés ou créances,
• BONNARD, papetier, employant dix employés,
• LEENHARDT, auquel il fallait joindre IMER, beau-père du précédent ; ils employaient 10 salariés dans la fabrique de garance, 7 salariés dans celle de garancine, trois dans une distillerie, sept dans une fonderie. En 1850, Jules Imer avait acheté le château de la Serre. Leenhardt se distinguait par sa bienveillante autorité à l'égard des ouvriers : il fonda la première école maternelle de Sorgues et un « fourneau économique » pour les ouvriers (22),
• DURAND, sur son compte nous n'avons aucun élément conservé dans les archives.
À cette liste vint s'ajouter, un peu plus tard, Auguste Bédoin, propriétaire de l'usine « Pierres du Levant & d'Amérique » qu'il fonda en 1846 dans l'ancienne fabrique de Légier de Montfort. C'était le fils d'un cabaretier exerçant à Sorgues, dans le pré « Castelin » devenu place Saint-Pierre.
Ils établirent un règlement dont nous extrayons les articles les plus révélateurs, l'ensemble de la réglementation demeurera annexé au présent article.
La société, dans son article 1, n'accordait de secours qu'à ses membres résidant à Sorgues. Elle refusait son aide aux personnes malades par suite d'inconduite. L'alcoolisme était la maladie redoutée de certains employeurs. Le docteur Villermé notait justement que plus les ouvriers étaient en proie à la misère, plus ils en cherchaient l'oubli dans l'ivresse. (23) L'inventaire dressé le 13 mai 1904, à l'occasion d'une vente d'un café, place du portail, qui devint plus tard place de la République, bien qu'établi soixante ans plus tard, apporte la preuve qu'encore en ce début de vingtième siècle on buvait ferme (24). La société était administrée par un comité de quinze membres, composé d'un président, d'un vice-président, d'un trésorier, de deux secrétaires et de dix commissaires. (article 27).
Le droit d'entrée par sociétaire variait selon son âge, il était de 25 centimes pour ceux âgés entre 15 et 25 ans et était porté à 50 centimes pour le prétendant âgé entre 50 et 55 ans. L'article 16 prévoyait un mutualisme de la garde des malades : « tout sociétaire valide est tenu de veiller à son tour les malades de la société... ». Le veilleur ou les veilleurs, si le cas l'exigeait, se rendaient chez le malade de neuf heures du soir à cinq heures du matin. Ils le soignaient selon les prescriptions médicales. À l'exception du mal-portant atteint d'une maladie contagieuse qui bénéficiait des secours sans intervention du veilleur. Le médecin, en cas de maladie critique, était tenu d'avertir l'église afin de recourir aux secours religieux.
La société rétribuait le médecin, les médicaments prescrits par lui étaient remboursés, un secours en argent d'un franc cinquante par jour ouvrable était attribué aux malades alités plus de trois jours.
La société n'admettait pas et ne conservait pas dans son sein toute personne qui se livrait à la mendicité ou qui n'aurait pas été de bonnes moeurs. (Article 37) Quand on sait que le maire et le curé, dans chaque commune, jouaient les protecteurs nés des sociétés de secours mutuel (25) et que toutes dépendaient du ministère de l'Intérieur (26), il importait de ne pas émettre d'opinion contraire à l'Empire et à l'Église.
Le conseil municipal, dans sa séance du 1er février 1859, avalisa chaudement l'initiative des industriels de Sorgues, Auguste Bédoin, Émile Santet, Henry Leenhardt et de Léon Brunel, notaire.
En juin 1859, la commission supérieure des sociétés de secours mutuel opéra une inspection systématique du projet et elle livra le diagnostic suivant :« Cette société s'impose des charges qui sont en disproportion avec ses ressources, la cotisation de 1 franc est en effet insuffisante pour assurer aux malades une indemnité quotidienne de 1 .franc 50 en même temps qu'aux incurables un secours de 75 centimes par jour. La société doit réduire ses engagements pour la maintenir dans la limite de ce qu'elle peut faire. Quant à l'indemnité maladie, on ne peut conserver le chiffre de 1 franc 50 qu' à la condition d'élever à ce taux la cotisation sinon c'est l'abaissement de l'indemnité à 1 .franc qui rétablira l'équilibre. » Devant l'importance des modifications à apporter, la commission décida d'ajourner la nomination du président.
Le 4 juillet 1859, la société comprenait 129 adhérents et 36 membres honoraires.
La Société fut approuvée par décret impérial du 27 septembre 1859, inscrite au répertoire sous le numéro huit.
Le 27 novembre 1859, Napoléon « par la grâce de Dieu » nomma président Jean-Baptiste Bernard, il jouissait d'une grande considération parmi les ouvriers garanciers.
Le 8 juin 1862, la société décida de créer un fonds de retraite, composé des prélèvements annuels faits sur les excédents de recettes, les subventions spéciales accordées par l'état, le département ou la commune, les dons et les legs. Pour bénéficier de cette disposition, le candidat devait avoir au moins 65 ans et être membre depuis 15 ans au moins. (27)
Le 22 juillet 1870, Isnard, maire, soumit au préfet la proposition de reconduire Jean-Baptiste Bernard dans sa fonction de président car il se montrait dévoué au gouvernement et jouissait de la considération publique, et il était titulaire d'une assez bonne fortune, Villion Jean-Baptiste, né le 16 septembre 1824, vice-président dévoué au gouvernement, commis riche négociant, Roquer Théodore, né le 27 juin 1833, également dévoué au gouvernement, riche négociant.
Le 4 septembre 1870 marqua le début de la Troisième République et un bouleversement dans les structures des sociétés de secours mutuel. Le gouvernement de la défense nationale, par décret du 27 octobre, donna l'ordre de remplacer les présidences qui tenaient leurs mandats de l'empereur par celles librement élues. En conséquence, par voie de scrutin secret furent élus, Vial, Mery, Charles Pètre, Liblein, André, Simon, Michel, Chabert, Dongier, Cluchier, Cavaillon, Leenhardt, Isnard et Gleize. La présidence revint à Leenhardt, il avait obtenu 49 voix sur 50. Il fut installé le 10 novembre suivant.
Le 3 février 1874, le droit d'entrée pour les jeunes gens âgés de 15 à 18 ans fut abaissé à 2 francs et 4 francs pour les 18 à 25 ans.
À compter de cette date, les archives n'ont pas été correctement conservées, nous ne disposons plus que des bribes, donc la relation se termine à la date du 3 février 1874.
Ouvriers tonneliers
L'activité de la société de secours mutuel de Sorgues suggéra à sept ouvriers tonneliers sorguais l'idée de former également une société similaire réservée aux salariés de leur profession.
Ainsi Bernard Noël, Delbos Philippe, Marandon Michel, Bressy Michel, Armand Michel, Porte Philippe et Pons Théophile firent connaître aux autorités municipales et préfectorales leur intention de se réunir, le 11 août 1868, à l'hôtel de ville, pour former une société de secours mutuel. Le 9 août, le commissaire de police du canton de Bédarrides informait le préfet que les protagonistes qui allaient se retrouver « étaient de très braves gens n'ayant d'autre but que se secourir mutuellement. La politique était absolument étrangère à cette réunion. Signé le commissaire de police Maginot » Cette opinion était renforcée par celle du maire Isnard : « les nommés Bernard Delbos et consort qui vous ont demandé l'autorisation de s'organiser en société de secours mutuel sont tous des ouvriers honnêtes et de laborieux pères de .famille respectables, ils n'ont d'autre but en se réunissant que de se secourir mutuellement. Les chômages fréquents qu'ils sont obligés de subir et la position fâcheuse qui leur est faite depuis les dernières élections sont des motifs pour qu'ils aient à se prémunir contre la misère. Ils ne peuvent y parvenir que par la mutualité. Je verrais avec plaisir que leur réunion soit autorisée... » Le projet a dû faire long feu (28), nous n'avons trouvé aucun document ultérieur sur le devenir de cette association.
Raymond CHABERT
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(1) Le décret d'Allarde était en réalité une loi, datant des 2 & 7 mars 1791, par Pierre d'Allarde qui supprima les corporations.
(2) Isaac René Guy Le Chapelier naquit le 12 juin 1754 à Rennes, il fut guillotiné le 22 avril 1794 »à Paris. C'était un homme politique français, député aux Etat généraux de 1789, président de l'Assemblée constituante, initiateur de la loi contre les corporations.
(3) L'état physique et moral des ouvriers, par M. Villermé, Paris 1840, page 203.
(4) La mutualité et les sociétés mutuelles, Paul Houis, Nantes 1907.
(5) Pierre Dupont fut un chansonnier, poète et goguettier français. Il naquit le 23 avril 1821 et mourut le 24 juillet 1870 à Lyon. Goguettier, membre d'une goguette. L'origine des goguettes remontait aux premières années de la Restauration (1815-1830).Elles se multiplièrent sous la monarchie de juillet (1830-1848), pour disparaître sous les mesures coercitives du Second Empire. Elles étaient formées uniquement de joyeux ouvriers amateurs des choses de l'esprit. Grand dictionnaire universel du XlXème. siècle-Pierre Larousse, tome 8, page 1350.
(6) Pierre Dupont, poète et chansonnier du Peuple, par Roger Bonniot, librairie NIZET-Paris-juin 1991, pages 68 & 69.
(7) Source Gallica BNF - Code annoté des Sociétés de Secours Mutuels, librairie P. Chaunas, libraire éditeur, année 1866, page 38.
(8) BNF, département droit, économie politique F 42565, relation : h ttp//catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33761076q.
(9) Source GALLICA - BNF : Rapport à l'Empereur sur la situation des Sociétés de secours mutuels, année 1859
(10) Marie-Christine ROUX, mémoire de maîtrise d'Histoire contemporaine, année 1970-1971, Un exemple de processus d'industrialisation Sorgues au XIXe siècle.
(11) Les populations ouvrières et les industries de la France, région du Sud-est, par Armand Audiganne, Hachette éditeur, année 1860, pages 241 & 242, provenance BNF.
(12) Avignon, Le comtat et la Principauté d'Orange par Louis de Laincel, Paris, librairie Hachette et Cie., année 1872, page 273.
(13) Thalès BERNARD, poète et littérateur, né à Paris vers 1820, Le Grand Dictionnaire Universel du XlXème siècle par Pierre Larousse, tome 2, page 598.
(14) Ce paragraphe est repris intégralement dans le mémoire de maîtrise de madame Marie-Christine ROUX.
(15) Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, par M. Villermé, édition de 1840, page 233, tome second.
(16) Archives départementales de Vaucluse X art 15déclaration de foi du comité constitutionnel.
(17) Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, par M. Villermé, édition de 1840, page 41, tome second.
(18) Archives départementales de Vaucluse -6-233- lettre du 28 décembre 1858 adressée au préfet de Vaucluse. Naguère de l'ancien français n'a guère signifiant il n'y a pas longtemps.
(19) Archives communales, registre de correspondance, lettre au préfet du 13 février 1848.
(20) Archives départementales de Vaucluse -6-233- lettre du 28 décembre 1858 adressée au préfet de Vaucluse. Naguère, de l'ancien français n'a guère signifiant il n'y a pas longtemps.
(21) Archives département de Vaucluse, liste de présentation des candidats 3 février 1865.
(22) Marie-Christine ROUX, mémoire de maîtrise d'Histoire contemporaine, année 1970-1971, Un exemple de processus d'industrialisation Sorgues au XIXe siècle.
(23) Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, par M. Villermé, édition de 1840, pages 34 & 35, tome second.
(24) Les Études Sorguaises, treizième publication, page48, année 2001.
(25) BNF- Gallica -Code annoté des sociétés de secours mutuels, par Oscar Dejean, année 1866, page 38.
(26) Wikipedia : Une loi de sûreté générale fut promulguée en 1858, qui permettait de punir de prison toute tentative d'opposition et autorisait, entre autres, l'arrestation et la déportation sans jugement d'un individu condamné pour délit politique depuis 1848.
(27) Archives départementales de Vaucluse X art 15 extrait du PV du 8 juin 1862.
(28) Faire long feu : cette locution se disait d'une cartouche dont l'amorce brûlait trop lentement, ce qui faisait que le coup ratait son but, elle est devenue synonyme d'avorter, rater, échouer (Dictionnaire Antidote).