1 - Des Poudres et Salpêtres au service des Poudres : DE LA FERME DES POUDRES ET SALPÊTRES AUX POUDRERIES NATIONALES
1.1. REPÈRES HISTORIQUES
Le Roi LOUIS XIV créa la ferme des Poudres et Salpêtres en 1665. Celle-ci était soumise à l'adjudication. Deux fermiers généraux ont marqué l'histoire : François BERTHELOT, Antoine LAVOISIER. En 1775, le Roi LOUIS XVI, sur proposition de TURGOT, remplaça la ferme par une régie spéciale des Poudres et Salpêtres. En 1791, la régie devint AGENCE des SALPÊTRES et POUDRES. Le 13 Fructidor de l'an V ((30 Août 1797), la loi mettait en place le monopole des Poudres et explosifs.
En 1819, l'agence devint le SERVICES des POUDRES et SALPÊTRES de FRANCE. En 1873 la IIIème République plaça le service des POUDRES sous l'autorité du ministère de la guerre. La loi du 13 mars 1875 créa un corps spécial des ingénieurs des POUDRES et SALPÊTRES qui était un corps civil. Au mois de mars 1914, le corps des ingénieurs et agents des POUDRES est placé sous l'autorité militaire et militarisé.
En mai 1914, il prend l'appellation de SERVICE des POUDRES et perd son appellation SALPÊTRES. En juillet 1940, le service des Poudres est démilitarisé et rattaché au ministère de la Production industrielle sous l'appellation de S.I.P.N "Service Industriel des Poudreries Nationales". Au lendemain de la libération, le service des Poudres est remilitarisé et reprend son appellation de « SERVICE des POUDRES » rattaché au ministère de la défense. Enfin une ordonnance de 1945 définit les attributions du service des Poudres et ceci jusqu'au 1er octobre 1971, date à laquelle le SERVICE des POUDRES est supprimé et remplacé dans ses activités par la S.N.P.E (Société Nationale des Poudres et Explosifs).
1.2. DES ORIGINES A LA POUDRERIE NATIONALE DE SORGUES
Depuis le XIVème siècle, c'est-à-dire les premières utilisations de la poudre noire sur laquelle les rois de France ont exercé leurs droits et privilège sur sa fabrication en mettant en place un monopole très surveillé qui devint une Régie Royale. A la fin du XVIIème siècle et au cours du XVIIIème, les besoins provoqués par les guerres engagèrent à la création de nombreuses poudreries dans le royaume de France, entre autres, en Provence, la Poudrerie de St Chamas au bord de l'étang de Berre, poudrerie unique dans cette partie de la France méditerranéenne. Le Comtat Venaissin, qui ne devint département de Vaucluse rattaché à la France qu'en 1791, fut probablement exclu de l'implantation d'une poudrerie, par le seul fait qu'il était auparavant terre épiscopale. Une tentative eut lieu au cours de la Révolution en Avignon où fut créée une raffinerie de salpêtre pour alimenter les Poudreries de la république.
2 - 1915 : l’’achat des terrains de la Traille : 1914-1918 L'EFFORT DE GUERRE
2.1 - LA PRÉPARATION
Le 2 août 1914, les hommes mobilisés ainsi que la majorité de la population pensaient qu'il s'agirait d'une guerre rapide et que tout rentrerait dans l'ordre rapidement. Tous étaient préparés depuis longtemps à cette éventualité. Depuis la défaite de 1870, la reconquête des territoires perdus d'Alsace et de Lorraine était un objectif prioritaire. A l'école de la république, les cartes de géographie portaient le deuil de nos deux régions. Les sociétés de tir et de gymnastique visaient à la préparation militaire de la jeunesse. Par contre, à la mobilisation, l'organisation des armées était toujours calquée sur celle de 1870. En 1914, la tenue des troupes n'avait pas évolué, le pantalon garance faisait partie de l'équipement. En bref, la tactique d'une guerre de mouvement dans des secteurs limités faisait partie de l'enseignement des écoles militaires.
2.2 - LA POURSUITE
La première bataille de la Marne surprend l'armée française qui recule sévèrement et perd en quelques jours des milliers d'hommes. JOFFRE ordonne l'arrêt du repli et fixe les armées sur une ligne de front.
2.3 - LES HOMMES S'ENTERRENT
Une guerre de longue durée va commencer dans des conditions qui n'étaient pas prévues par lesétats majors. Une ligne de tranchées va s'étirer sur plus de 700 km, de la mer du Nord à la frontière suisse. La guerre a changé de visage, les belligérants se font face, parfois à quelques mètres. Une guerre d'usure, très coûteuse en hommes et en matériels, est commencée.
2.4 - L'EFFORT DE GUERRE
Afin de s'adapter aux nouvelles formes de combat, le fantassin va recevoir progressivement la nouvelle tenue bleu horizon. Le casque métallique, dit "casque ADRIAN", équipe l'ensemble des troupes. Les cavaliers, comme les fantassins, vont combattre dans les tranchées. Une guerre de longue durée est amorcée, le stock de munitions et d'armement a considérablement diminué. Le pays va être mis à contribution pour l'effort de guerre. Il faut des munitions en quantité croissante. Les établissements fabricants sont poussés à accroître la production, mais cela ne suffit pas. Il faut créer de nouvelles usines pour fournir les armées. Dans notre région, la 15ème Région militaire, une seule Poudrerie est en activité, celle de St Chamas dans les Bouches-du-Rhône. Cette usine d'armement ne peut produire plus. Il est urgent de trouver un autre site pour construire une nouvelle usine. 1915 sera une année décisive pour Sorgues, la petite ville du Vaucluse qui, pour des raisons géographiques et politiques, sera choisie pour l'implantation d'une nouvelle Poudrerie, au lieu-dit la TRAILLE.
2.5 - LE CHOIX DU SITE : LES TERRAINS DE LA TRAILLE
Le 28 novembre 1915, sous la Présidence de Monsieur Auguste BEDOIN, maire de Sorgues, le conseil municipal délibère sur la création d'une Poudrerie Nationale. M. le Maire rappelle les démarches faites par la municipalité avec l'appui des sénateurs GUERIN et MAUREAU. Il insiste sur le fait que la population de Sorgues est favorable à l'installation d'un établissement militaire. C'est dans ces conditions que la municipalité a été informée que la Poudrerie de St Chamas est saturée et que, sa production étant jugée insuffisante, il est donc question de la création d'une annexe dans une commune du bord du Rhône. Dans un premier temps, la commune de l'Ardoise dans le Gard est retenue. Le Maire de Sorgues informe alors le comité consultatif du ministère de la guerre que sa commune dispose d'un emplacement appelé la TRAILLE, éloigné de l'agglomération et favorable à l'implantation d'une Poudrerie. Fort de ces informations, le comité consultatif donne des instructions aux ingénieurs des Poudres pour vérifier si les avantages avancés par M. le Maire de Sorgues existent réellement. Le 8 octobre 1915, par courrier officiel, la commune de Sorgues reçoit un avis favorable. A cette date commence l'histoire de la Poudrerie de Sorgues. Le Conseil Municipal en séance du 28 novembre 1915 suivant l'ordre du jour "création d'une Poudrerie Nationale au lieu-dit la TRAILLE" réuni sous la présidence de M. Auguste BEDOIN (Maire).
PRÉSENTS :
M. FERREN Albert M. GIRAULT Emile
MOURIZARD Antoine DURAND Lucien
SOMMIER Etienne BIARNES Joseph
REBOUL Benoît LAUGIER Joseph
MICHEL Gaston GLEIZE Louis
LAPLANE Eugène BLANC ?
LONG Auguste ESTABLET Léon
COULON Etienne ABADIE Victor
ABSENTS :
M. TURIN Emmanuel M. PERRIN Ulysse
BONNEAU Daniel DELEVAUX François
MOTTET Charles ROUX Joseph
(Archives Municipales de Sorgues. 2D3)
2.6 - BREF HISTORIQUE DES TERRAINS DE LA TRAILLE
Avant 1915, les terrains désignés à la construction d'un établissement doivent être éloignés de l'agglomération, bénéficier du transport fluvial, le Rhône, et d'un port pour les péniches, la TRAILLE, qui bénéficie d'un quai construit bien avant 1915. La présence de la route nationale toute proche et la possibilité d'un branchement ferroviaire sur la ligne Paris-Marseille seront décisives. Les terrains pour la plus grande surface sont boisés, alternant une zone de garrigue à l'abri des inondations, peuplée de pins et de chênes verts, une zone basse plus proche des cours d'eau Rhône/Ouvèze où se développent les peupliers. Les terres où l'arrosage est possible avec le canal Crillon sont propices aux prairies relativement importantes ; elles occupent, avec les jardins potagers, la bordure de la RN 7. Les terres labourables bordent l'Ouvèze et entourent le château de FONTGAILLARDE. Les terrains destinés à recevoir la future Poudrerie sont délimités au Sud par le chemin de laTRAILLE à Carpentras, au Nord par le chemin traversier qui relie le chemin Proyet à l'ancien chemin de la TRAILLE ; à l'Ouest, ils englobent le chemin parallèle à l'Ouvèze qui, de la TRAILLE, rejoint FONTGAILLARDE et, à l'Est, ils longent la route nationale N° 7. Les terrains soumis à expropriation sont, pour 18 hectares environ, la propriété de la famille D'OLEON (domaine de FONTGAILLARDE). L'autre partie, d'un seul tenant, coupée diagonalement par l'ancien chemin de la TRAILLE, appartient à M. ROUS de la MAZELIERE, propriétaire du château St HUBERT à Sorgues. L'histoire de ce terrain est un peu complexe : à l'origine, il était la propriété des célestins de GENTILLY. Au cours de la révolution, il passa dans les biens nationaux. La caisse d'amortissement le met en vente le 1er juin 1813, M. de la MAZELIERE s'en rend acquéreur. En 1915, l'état rachète cette parcelle à la famille de la MAZELIERE. D'autres petits terrains seront expropriés, nous n'avons pu en déterminer les propriétaires.
2.7 - LE CHATEAU DE FONTGAILLARDE
Il est au XVIIIème siècle la maison des champs de M. GENEST de VAUCROZE. Le 12 mai 1847, le domaine est vendu à M. Frédéric GRANIER, ancien maire d'Avignon, ancien sénateur de Vaucluse. Mlle Emma GRANIER, fille unique de M. GRANIER, épouse Henri D'OLEON. Par héritage, le domaine passera à la famille D'OLEON. FONTGAILLARDE sera alors plus communément dénommé « Château D'OLEON » par les habitants de Sorgues.
3 - l’’Ingénieur Principal Militaire des Poudres : Monsieur CARRON .
EN HOMMAGE AU 1er DIRECTEUR DE LA POUDRERIE DE SORGUES CARRON Emile, François, Philibert
Né le 7 décembre 1887 à Tlemcen (Algérie) Domicilié à Sorgues Époux de DIVELET Elizabeth Directeur de la Poudrerie nationale de Sorgues. Fils de CARRON Joseph décédé et de ROUX Louise. Mort pour la France, décédé à l’âge de 30 ans le mercredi 2 octobre 1918, à six heures du soir, à son domicile Villa « PRADINES », chemin de la Ferraille à Sorgues. Ingénieur Principal militaire des Poudres, M. CARRON sera le 1er directeur de la Poudrerie de Sorgues pendant toute la durée de la guerre, dépensant son énergie, disponible à tous moments pour faire face à la création difficile de cette usine de guerre indispensable aux armées ; il mourra d’épuisement le 2 octobre 1918.
4 - Poudrerie Nationale de Sorgues 1915/1918 : UNE POUDRERIE POUR LA FABRICATION DE LA MELINITE
4.1 - LA FABRICATION DE LA MELINITE
Lors de la Première guerre mondiale, la question des explosifs est primordiale. La MELINITE qui utilise comme matière première le PHENOL (largement disponible en France par distillation de la Houille) devient, et pour une longue période, l’explosif national. 1 tonne de HOUILLE donne : - 6.3 Kg de BENZENE - 1.1 Kg de TOLUENE - 0.9 Kg de PHENOL Le BENZENE pouvant être transformé en PHENOL on disposait de 6 à 7 fois plus de PHENOL, matière première pour la fabrication de MELINITE. NITRATION du PHENOL = MELINITE
5 - Programme A.N.S.* 1917/1918 *ACIDE NITRIQUE SYNTHÉTIQUE
L’acide nitrique est la matière première incontournable dans la fabrication des explosifs de guerre. La fabrication de la mélinite nécessite de grande quantité de cet acide. Avant la guerre de 1914, on fabriquait l’acide nitrique, en France, par un procédé classique qui consistait à décomposer les nitrates naturels importés du Chili par l’acide sulfurique. La France et ses alliés, disposant de la liberté des mers, continuèrent à importer des NITRATES du Chili pendant le déroulement du conflit avec l’Allemagne. Lorsqu’en 1917 l’intensification de la guerre sous-marine rendit très aléatoire l’approvisionnement en nitrates, il fut fait appel aux procédés mis au point par la société des produits azotés. Il devint ainsi possible, en partant du carbure de calcium et de l’azote de l’air, de disposer dans un délai très bref de l’ammoniac qui, par oxydation sur une toile de platine, donnerait l’acide nitrique nécessaire aux besoins de la défense nationale. C’est de ce travail commun du Service des poudres et de la Société des produits azotés qu’est né en pleine guerre le programme baptisé A.N.S (Acide Nitrique Synthétique). La construction de l’usine A.N.S sur des terrains où se trouve l’ancienne usine de l’A.L.F.A s’achevait au moment de l’armistice en 1918. Elle ne sera jamais mise en fonctionnement dans la fabrication de l’acide nitrique, les coûts de fabrication de l’A.N.S étant trop élevés par rapport au procédé classique qui sera réutilisé. La Société des produits azotés poursuivra et développera ses relations anciennes avec le Service des Poudres.
(Sources : Le Pays de France – N° 144 du 19 juillet 1917)
- Rapport de la police spéciale (surveillance des établissements militaires) du 18 août 1917 sur lequel on recueille cette information : « Une usine d’acide nitrique synthétique va prendre place entre St GOBAIN, usine de l’Oseraie, et la Poudrerie Nationale de Sorgues. Les travaux d’implantation de cette unité sont en cours depuis août 1917 ».
6 - Enquête sur la production de la P.N.S. 1916/1918
MINISTÈRE DE LA GUERRE, LE 9 AVRIL 1920
Il s’agit d’un historique sommaire sur l’installation de la PN de Sorgues et de ses fabrications au cours de la guerre. La PNS est située à 1500 m environ au Sud de la localité et à 6 ou 7 Km d’Avignon. Elle couvre avec les cantonnements une surface de 67 hectares 21 ares 92 centiares. Elle est destinée à la fabrication de MELINITE pure et des mélanges qui en dérivent. Sa construction fut décidée le 3 novembre 1915 et, dès le 21 avril 1916, une batterie de terrines mobiles produisait de la MELINITE D. En juin 1917, son maximum de production atteint 2 190 559 Kg d’explosifs. L’usine d’acide nitrique fonctionne dès juin 1916 et produit 1 566 096 Kg de cet acide. L’usine de dinitrophénol dont la construction débute au printemps 1916 est achevée en septembre. Elle reçoit le DINITROCHLOROBENZENE de l’usine de St Montant. Entre le 16 septembre 1916 et l’armistice de 1918, la production est de 5 043 Tonnes. Coût total de la construction de la Poudrerie de Sorgues : 10 millions et demi de francs, plus 500 000 francs pour l’achat des terrains. La production de MELINITE au cours de la guerre atteint le total de 31 061 Tonnes. - Pour l’année 1916 : . . . . . . . . .8 672 Tonnes - Pour l’année 1917 : . . . . . . . .17 127 Tonnes - Pour l’année 1918 : . . . . . . . . .5 262 Tonnes. Le rapport du Ministère de la guerre au 9 avril 1920 préconisait que la Poudrerie de Sorgues soit supprimée : le personnel d’exploitation se compose exclusivement d’auxiliaires embauchés pour la durée de la guerre, ils peuvent être licenciés sans difficulté après un préavis d’un mois.
7 - L’environnement de la Poudrerie
LES DÉBITS DE BOISSONS, IMPLANTATION ET réglementation
7.1 - L’ARRIVÉE DU CONTINGENT DE TRAVAILLEURS & LES DEBITS DE BOISSONS AUTOUR DE LA POUDRERIE NATIONALE DE SORGUES
La construction de la Poudrerie en 1915 et le démarrage progressif des unités de production d’explosifs en avril 1916 font travailler à Sorgues une nombreuse main-d’oeuvre masculine et féminine (environ 6000 personnes travaillent à la Poudrerie de Sorgues). Il ne faut pas perdre de vue que la plupart sont des soldats venus de divers corps de troupe, affectés à la Poudrerie comme travailleurs. Il faut les nourrir, les loger. Pour ces hommes éloignés de leur famille, le Café, le Bar restent des lieux où ils retrouvent des amis et une forme de vie sociale qui permet de s’adapter à cette situation nouvelle. L’environnement direct de la Poudrerie offre ce genre de prestations puisque l’on y dénombre, fin 1916, 17 établissements détenant boissons, nourriture et possibilité de logement. Cet accroissement brutal de population est tel que la demande permet l’ouverture de nouveaux établissements. Cinq existaient avant la guerre, ils vivaient grâce au Port de la TRAILLE sur l’Ouvèze. Dès 1916, douze établissements ouvriront leur porte, certains sans autorisation, dans de simples baraques en planches où l’on sert des boissons alcoolisées (vin et eau de vie). Aux yeux des autorités militaires et préfectorales, cette pratique met en danger la sécurité des ouvriers de la Poudrerie qui effectuent un travail dangereux. Une réglementation sévère frappe les débitants servant des boissons alcoolisées. Le directeur de la Poudrerie en dénonce les abus dans un courrier qu’il adresse au Préfet de Vaucluse le 26 juin 1916. (A.D. Vaucluse 1M857) S’adressant au Maire de Sorgues et au Préfet de Vaucluse, il demande des mesures pour frapper sévèrement les contrevenants ainsi que la fermeture des établissements qui mettent en danger la sécurité et l’ordre public, tout en soulignant que certains établissements ont été construits sans autorisation. Le 18 avril 1917, le commissaire spécial demande une mesure d’éloignement de la Poudrerie de Sorgues d’un ouvrier de 47 ans, Georges LAIGNEL, peintre, qui sera inculpé d’ivresse représentant un danger permanent pour l’établissement dans lequel il travaille.
8 - Surveillance / 1917/1918 : ACTES DE SABOTAGE ET MENACES D’ATTENTATS
Ce sont les années de la peur des attentats et sabotages, une lassitude se fait sentir dans la population sorguaise. Les problèmes de vie chère et le manque d’approvisionnement en sont la cause principale. Un commissaire spécial, dépendant de la Sûreté générale, est en poste à Sorgues, son bureau est en Mairie. Il a pour charge la surveillance des personnels affectés à la PNS ainsi que le maintien de l’ordre dans la ville. Pour accomplir cette mission, il reçoit la brigade de gendarmerie de Sorgues, les détachements militaires de la Poudrerie, un réseau d’informateurs à l’intérieur de l’établissement. En 1917, à la lecture des rapports du commissaire spécial, des menaces d’attentats sont signalées, mais il ne semble pas qu’il y ait eu des problèmes jusqu’à menacer la sécurité de la Poudrerie. Le 11 février 1918, le général LEGRAND informe le préfet de Vaucluse de la saisie d’un document au cours d’une procédure criminelle. Ce document désigne la Poudrerie de Sorgues comme cible d’un attentat dans la nuit du 15 au 16 février. Dans la nuit du 14 au 15 février 1918, un acte de sabotage a lieu dans la Poudrerie, provoquant un arrêt de fabrication. Ces actes sont-ils liés ? Rien ne le dit. Le but est atteint car ils provoquent des mouvements de peur parmi la population de Sorgues. Le Maire, afin d’apaiser ce sentiment d’insécurité permanente, prend des dispositions pour abriter la population dans le cas d’un sabotage de la PNS suivi d’explosion ainsi que des possibles incursions d’aéronefs sur la région. Il sera procédé à l’extinction de l’éclairage public pour éviter le repérage par avions. Les sous-sols de la mairie seront aménagés pour recevoir 2 000 personnes et servir de refuge à la population en cas d’accident grave. Le Maire demande aux particuliers qui ont des caves voûtées de les organiser dans le même but. Dès 1917, le Ministère de la guerre demande aux autorités préfectorales de prendre des mesures de sécurité renforcées autour de la Poudrerie (voir plan de situation, page suivante). Neuf postes de gardes seront installés autour de la Poudrerie. La circulation est interdite la nuit sur la RN 7. Le 19 février 1917, en complément des 9 postes de gardes, deux nouveaux postes seront créés (voir carte, page suivante) : l’un à l’entrée de Sorgues, sur le pont de l’Ouvèze, le second à l’entrée de la ville du Pontet. La circulation étant stoppée la nuit sur la RN 7, elle se fera à partir du Pontet par la départementale N° 58 par Entraigues via Bédarrides par le CD 16 où l’on peut rejoindre la RN 7 à St Louis.
9 - La création d’un syndicat en 1917 : LA FORMATION DU SYNDICAT C.G.T. À LA P.N.S. D’après les archives du département de Vaucluse 1M857
La conférence générale du travail a été constituée entre 1895-1902. A Sorgues, comme dans toute la France, la surprise de la mobilisation le 2 août 1914, suivie de l’euphorie patriotique et de l’installation dans la guerre des populations civiles, ne favorise pas la prise de position ouvrière. C’est à partir de 1917, période charnière dans le conflit, avec les revers militaires suivis de révoltes aux coeurs des troupes, la révolution en Russie, la cherté de la vie, que le comportement des ouvriers se modifiera, y compris parmi les mobilisés du service des Poudres. A Sorgues, la constitution d’un syndicat regroupant ouvriers et employés est étroitement surveillée par le commissariat. Devant les difficultés liées à une telle surveillance, la mise en place de l’organisation syndicale s’étale dans le temps, il faudra deux mois pour la constituer. La première tâche de l’organisation est l’élection d’un délégué ouvrier qui reçoit pour seule mission d’établir le dialogue entre la direction de l’usine et le personnel. Le 1er délégué ouvrier est élu le 21 juillet 1917. Surprise ! C’est un militaire de la classe 1896 qui a été mobilisé à Sorgues. Agé de 41 ans, il a une expérience de la vie ouvrière puisqu’il a travaillé avant la guerre comme ferblantier. HERRY Clément, né à Vitry le 16/02/1876, représentera le personnel auprès de la direction. Dans un premier temps, il semble que les ouvriers de la Poudrerie soient satisfaits de cette élection, on ne parle plus de création d’un syndicat. Le travail a repris correctement, signale le commissaire dans un rapport du 21 juillet 1917. Le 11 août 1917, le même commissaire signale au Préfet : « HERRY serait en train de poser les jalons pour créer un syndicat, malgré sa qualité de mobilisé. ». Le 18 août, le rapport est plus précis : “La formation du syndicat se poursuit à grand train. Les 2/3 du personnel sont disposés à y adhérer.” Le 9 septembre 1917, spontanément, le délégué HERRY se présente au commissaire pour faire connaître son intention de donner une conférence le lundi 10 septembre, à 8 h 30 du soir, dans la salle du TIVOLI CINEMA à Sorgues. Le commissaire rend compte au Préfet à qui il déclare : « Je ne vois pas d’obstacle à cette réunion, je serai présent pour vous en informer .» Mais la conférence est renvoyée ; le Maire de Sorgues a usé de son influence sur le propriétaire du TIVOLI qui a retiré son accord. Malgré ces premières difficultés, la réunion aura lieu dans une salle du BAR-RESTAURANT L’ALOUETTE, avec une semaine de retard, le 17 septembre 1917. Le commissaire avait vu juste, HERRY tente de former un syndicat. Son rapport au Préfet est clair sur le sujet. Suite à cette réunion à L’ALOUETTE, le syndicat a été formé, lié à la Fédération nationale ouvrière des Poudreries et raffineries de France, adhérente à l’Union fédérale des travailleurs de l’état qui a son siège social à St Médard en Jalles (Gironde). Un bureau a été formé avec : CORNGLIA, GIRAUD, CROSMARIE. Sept cents membres environ ont adhéré au syndicat. Le 10 novembre 1917, un nouveau rapport est adressé au Préfet. La formation d’un syndicat a créé un malaise à la Poudrerie de Sorgues où la production est restreinte depuis quelques jours. Il s’agit probablement de ce que l’on nommerait “grève du Zèle”. Le mécontentement des ouvriers et ouvrières de Sorgues provient de la rareté et de la cherté des denrées alimentaires de première nécessité. La direction de la Poudrerie prend des mesures pour enrayer le mécontentement. Dès le 17 novembre, un restaurant coopératif est ouvert à la Poudrerie, trois jours de congés payés sont accordés pour Noël et le jour de l’an. Le syndicat continue de recruter, cinq cents adhérents sont annoncés. Cela représente un recul par rapport à l’annonce faite en septembre de sept cents adhérents. Faut-il y voir un effet d’annonce afin de minimiser la portée future de l’action syndicale ? Le mercredi 2 novembre 1917, à 8 h 30 du soir, HERRY réunit le syndicat dans un local contigu à l’hôtel TERMINUS, au quartier de la gare de Sorgues. Il est noté la présence de M. LAROQUE, secrétaire général des travailleurs de l’état. Rien n’est dit sur le contenu de cette réunion. Il s’ensuivra une période de cinq mois au cours desquels les rapports du commissaire sur le syndicat sont manquants. Le durcissement de la discipline au sein des armées, suite aux mouvements de révolte dans les régiments, en est probablement la cause. Le 4 mars 1918, le syndicat est réuni au café BLANC à Sorgues (actuel bar de la Pipe, avenue Floret) en présence de cinq cents personnes, en majorité des femmes. HERRY y rend compte d’une mission auprès de M. LELOUCHEUR alors ministre de la guerre. Cette entrevue porte sur les salaires et, en particulier, celui des femmes (demande de parité des salaires hommes/femmes). L’année 1917 restera, malgré les problèmes posés par la guerre, celle de l’espoir. Achille MOREAU, alors président du conseil général de Vaucluse, déclare : « Deux grands évènements s’imposent à notre administration : la révolution russe et la déclaration de guerre de la grande république américaine à l’Allemagne… » Ces éléments expliquent en partie que la guerre soit acceptée avec résignation. L’opposition à la guerre reste très limitée et la lutte syndicale des ouvriers reste cantonnée à des revendications salariales pour compenser les effets de la montée des prix. HERRY, délégué élu à la Poudrerie de Sorgues en 1917 et ensuite secrétaire général et archiviste du syndicat, est jugé par la suite trop modéré. Le 5 novembre 1917, au cours d’une réunion, il quitte la salle. Il est alors accusé d’avoir dilapidé la caisse en payant des dîners, d’avoir été à la merci du directeur. Il donne sa démission en juin 1918. Il est alors remplacé par LACAZE qui dénonce un syndicalisme de cuisine.
10 - L’état d’esprit L’ÉTAT D’ESPRIT DES OUVRIERS ET OUVRIÈRES DE LA POUDRERIE AINSI QUE DE LA POPULATION DE SORGUES
L’état d’esprit des poudriers, l’enthousiasme et la peur de la population de Sorgues ne sont abordés que succinctement par les rapports du commissaire spécial de Sorgues adressés au Préfet de Vaucluse.
10.1 - SORGUES, LE 24 SEPTEMBRE 1917
« Bien que la population de Sorgues soit des plus hétérogène, l’état d’esprit n’en est pas mauvais. En principe, tout le monde désire la fin de la guerre, en particulier ceux qui ont les leurs au front, certains ne paraissent pas la désirer. Ici le papier monnaie est remué à large main, les ouvriers de la Poudrerie gagnent des salaires qui leur permettent de se suffire aisément. Les ouvrières gagnent 5 et 6 francs par jour, alors qu’en temps de paix, elles gagnaient 2.05 F dans les filatures (fermées depuis). Les magasins ont une situation prospère, les cafés ne désemplissent pas et le cinéma fait des affaires exceptionnelles. Toute cette abondance est due à la création de la Poudrerie qui a porté la population de Sorgues de 4 000 à 10 000 âmes. Les permissionnaires ne jettent pas une note discordante ; ils ne parlent presque plus de leurs exploits, ils bavardent moins que dans les débuts. Quant aux renseignements venus du front, le public n’y attache plus qu’une importance relative. C’est à partir de 1917 que la vie fut le plus fortement perturbée dans le domaine de l’approvisionnement. Le pain devint une préoccupation constante. Pain, sucre, lait, charbon furent taxés, les aliments essentiels rationnés. Cette crise brutale provoquera, au lendemain de la guerre, de profondes transformations sociales.»
10.2 - SORGUES, LE 16 NOVEMBRE 1918
« La semaine écoulée a été le témoin d’une manifestation enthousiaste de la part de la population et des ouvriers de la Poudrerie à l’occasion de la signature de l’armistice. La direction de la Poudrerie leur a donné leur « campo » payé, à la satisfaction de tous. La journée à Sorgues a été bruyante ; le soir, bon nombre d’ouvriers étaient pris de boisson, mais le lendemain le travail a repris normalement. Les ouvriers causent beaucoup et ne paraissent pas très satisfaits du nouveau travail qu’on va leur imposer : le déchargement des obus. Ils craignent qu’un accident de manipulation occasionne une explosion alors que, jusqu’à ce jour, la Poudrerie de Sorgues s’en est tirée indemne. Au point de vue économique, le prix des marchandises suit un cours ascendant, le ravitaillement ne fait pas défaut. La mortalité paraît augmenter, surtout chez les personnes de 20-35 ans, malgré les soins des trois majors de la Poudrerie et de deux médecins de la ville. Malgré tous ces ennuis, l’état d’esprit général est correct. Un rapport non daté relate une rixe dans l’enceinte de la Poudrerie à 14 h 30, devant le bâtiment qui sert au trésorier pour le paiement des ouvriers. Là étaient rassemblés une centaine de sujets Annamites et une vingtaine de sujets Kabyles. Certains prétendent qu’un Kabyle a tenté de dérober un billet de 5 F à un Annamite, d’autres prétendent que l’Annamite a marché par mégarde sur le pied du travailleur Kabyle. Finalement quelques coups de poings furent échangés et aussitôt une mêlée s’ensuivit. Devant la supériorité numérique, les Kabyles détalèrent, poursuivis par une grêle de pierres. Les gendarmes rétablirent momentanément l’ordre. Les choses en restèrent là jusqu’à 19 h 30, heure à laquelle deux Kabyles, JAFFRI et HAOUCH, furent assaillis, cours de la République à Sorgues, par une vingtaine de sujets Annamites. Ils reçurent quelques coups et auraient été rossés davantage sans l’intervention de quelques civils qui les séparèrent. A 21 h 00, tous les travailleurs coloniaux étaient rentrés à leur cantonnement. A mon avis, ajoute le commissaire spécial de Sorgues, il y aurait lieu d’éviter le contact direct de ces deux races d’individus, et la mesure qui me paraît la meilleure serait de n’employer dans une même Poudrerie que des travailleurs coloniaux d’une même contrée. A l’heure actuelle, ce n’est que par une surveillance plus efficace, une discipline plus rigoureuse qu’il sera possible de rétablir l’ordre troublé par deux camps de coloniaux. »
11 - Les travailleurs coloniaux & étrangers
LA POPULATION DE SORGUES EN AUGMENTATION
11.1 - L’ARRIVÉE DES TRAVAILLEURS COLONIAUX & ÉTRANGERS
La construction de la Poudrerie à la Traille, sur le territoire de Sorgues, va amener une main d’oeuvre importante qui va rompre l’équilibre de 1914. La population passera de 4 000 à 10 000 âmes environ. En 1917, une moyenne de 4 700 ouvriers et ouvrières travaillent aux fabrications d’armements. Dans un premier temps seront détachés, en 1915, sur le site de construction, les mobilisés de la 3ème réserve, les Territoriaux.
Parallèlement un fait nouveau a lieu dans les industries d’armement (phénomène général en France) : les femmes remplacent les hommes qui sont au front. N’étant pas mobilisables, elles sont toutes volontaires, encouragées par les tarifs journaliers supérieurs à l’industrie locale, à l’exception des femmes qui proviennent des diverses prisons françaises et qui sont systématiquement employées aux fabrications d’armement. En complément, on fera venir des travailleurs coloniaux : Kabyles, Indochinois, Annamites, Sénégalais qui seront regroupés dans des organisations militaires et logés dans les cantonnements autour de la Poudrerie. De plus, en accord avec nos alliés, les autorités civiles et militaires feront venir des travailleurs Italiens et Grecs. Séparés par nationalités, les travailleurs coloniaux, Annamites, Sénégalais et Kabyles sont logés dans des cantonnements séparés qui sont de véritables casernes.
11. 2 - LES ANNAMITES A SORGUES (ADV 1M857)
15 mai 1916 : Le Ministre de l’intérieur signale au Préfet de Vaucluse que des individus, au courant de la passion des Indochinois pour les jeux de hasard, installent à proximité des cantonnements des jeux de Bonneteau et autres, surtout les jours de paie, ce qui les dépouille en quelques instants de leurs salaires. Faites exercer une surveillance active pour les mettre dans l’impossibilité de pratiquer cette industrie. 16 mai 1917 : Un travailleur Annamite, THAN VAN LOS a été retrouvé assassiné dans une allée du château de FONTGAILLARDE. 27 avril 1918 : Il reste encore 300 Annamites dans leur cantonnement qu’ils s’apprêtent à quitter dans peu de temps.
11. 3 - LES KABYLES (ADV 1M857)
Rapport du commissaire de Sorgues concernant le sergent Edouard PESANTE (54 ans) du 11ème Régiment d’infanterie, suspecté d’incendie volontaire. Le feu s’est déclaré dans la chambre qu’il occupe au cantonnement des Kabyles. Ce cantonnement est situé à gauche du chemin de la TRAILLE, à 250 mètres de la RN 7 et en face des chantiers de la PNS. Après une enquête, le sergent est suspecté d’incendie dans le but de faire croire à la disparition de l’argent que les Kabyles lui ont confié, ce qui est illégal, le sergent ayant conservé la grande partie des sommes déposées.
11. 4 - LES SENEGALAIS
5 juin 1918 : Affectés à la garde de la Poudrerie, les Sénégalais du 84ème Bataillon de tirailleurs seront, à partir du 8 juin, remplacés par le 58ème Régiment d’infanterie.
11. 5 - LES TRAVAILLEURS ITALIENS A SORGUES
Le 6 janvier 1918, les ministres français et italien de l’armement conviennent de l’envoi en France de travailleurs pour les usines de guerre. 200 d’entre eux seront dirigés sur la Poudrerie de Sorgues. L’arrivée de ce groupe de travailleurs a été mal interprétée par la main-d’oeuvre locale et la population de Sorgues qui les considèrent comme des déserteurs ou des embusqués. Le Préfet demande à la presse locale d’indiquer les conditions d’appel sur notre territoire. Sur notre demande, ils prêtent leur concours à la défense nationale. Rapport du 12 janvier 1918 par le commissaire spécial. Il y a un malaise dans la Poudrerie de Sorgues entre militaires italiens et ouvriers français.
11. 6 - LES GRECS A SORGUES : LE MOUVEMENT ANTI-VENIZELISTE
Quel étonnement de voir l’histoire grecque venir interférer dans l’histoire de Sorgues ! Un morceau des conflits de la Grèce moderne surgit des archives qui concernent notre ville et, pour comprendre ce qui va se passer à la Poudrerie de Sorgues entre 1915 et 1918, il faut retracer les événements qui ont secoué la Grèce au début du XXème siècle. ELEUTHERIOS VENIZELOS est crétois, libéral. C’est un homme neuf, il veut réformer son pays, il jouera un rôle d’arbitre entre le Roi, les militaires, les anciens partis et le peuple grec. En 1909, il revendique le rattachement de la Crête. Ce rattachement sera le résultat de la 1ère guerre balkanique en 1912, ainsi que pour les îles de la mer Egée, Salonique et une partie de l’Épire. La seconde guerre balkanique en 1913 donnera à la Grèce la Macédoine, Cavala, Ioannina. On conçoit la popularité du 1er ministre VENIZELOS alors qu’éclate la première guerre mondiale. Dès 1914, VENIZELOS avait proposé ses forces aux alliés, mais les Anglais refusent, espérant négocier avec les Bulgares et les Turcs, ennemis de la Grèce. Le 28 octobre 1914, la Turquie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne. En janvier 1915, c’est l’expédition anglo-française aux Dardanelles qui se solde par un échec. VENIZELOS incite Français, Anglais et Russes à débarquer à Salonique. Le 5 octobre 1915, Français et Anglais y débarquent 125 000 hommes et 100 000 en janvier 1916. Le Roi de Grèce, CONSTANTIN, qui a épousé la soeur de l’empereur d’Allemagne GUILLAUME II, favorise l’entrée des Bulgares à CAVALA et désire que la Grèce reste neutre. Avec l’opposition politique, il provoque la chute du 1er ministre VENIZELOS. Le commandant Français, le général SARRAIL, suspecte les Grecs. VENIZELOS, de son côté, crée un gouvernement provisoire en Crête (13/26 septembre 1916). Il y a désormais deux gouvernements grecs : celui d’Athènes et celui de SALONIQUE. Les troupes françaises et anglaises débarquent au PIREE et se heurtent dans Athènes aux partisans du Roi CONSTANTIN (18 et 19 novembre 1916). Tel est le climat politique de la Grèce au moment où 271 Grecs se trouvent à Sorgues. (André SIMON)
11. 7 - SURVEILLANCE ET EPURATION DU MOUVEMENT ANTI-VENIZELISTE SITUATION DES TRAVAILLEURS GRECS DE LA POUDRERIE DE SORGUES
Sorgues, le 1er décembre 1916 Le rapport du commissaire spécial MARION nous informe de la présence de 271 sujets de nationalité grecque (hommes, femmes et enfants de plus de quinze ans) résidant tous à Sorgues. Un contrôle précis permet de constater que seulement 166 étaient en possession de leur carte verte à leur arrivée (voir document ci-contre). Les 150 autres n’en possédaient pas, ce qui a été signalé à M. Le Directeur de la Poudrerie de Sorgues où ils sont employés, ce qui est préjudiciable à la sécurité de cet établissement national. Le 2 janvier 1917 La propagande anti-venizéliste se développe dans l’établissement de Sorgues. Lorsque l’occasion se présente (information du commissaire de Police MARION), un certain SLYLIANIDES Sophocle, 26 ans, interprète, commente devant ses compatriotes les articles des journaux dans un sens nettement défavorable à l’entente. D’une instruction et d’une intelligence supérieures, SLYLIANIDES explique que les alliés n’auraient jamais dû se servir de son pays comme base d’opérations. D’après lui, le roi CONSTANTIN a parfaitement raison de s’opposer par tous les moyens à l’empiètement de son territoire par les nations alliées. Un dénommé GULLOGLOU Alexandre, 23 ans, connaissant la langue française et employé à la Poudrerie de Sorgues en qualité d’aide-dessinateur, partage les idées et ne manque pas de les manifester devant ses compatriotes. Il en est de même pour KIROUDIS Anasthase, 20 ans, qui manifeste des sentiments contre VENIZELOS. D’autre part, les membres de la famille DELIGGORGKIS composée du père COSTAS, 56 ans, de la mère MARCHNIGA, 45 ans, et des fils TRASIOULOS, 22 ans, CLEMENTO, 28 ans, et STEPHANES, 35 ans, se sont fait remarquer par leur mauvaise volonté au travail en essayant de convaincre leurs compatriotes de refuser le travail lié à la fabrication des poudres, ce qui n’a pas réussi. Ces gens-là, tous illettrés, sont considérés comme dangereux en ce sens qu’ils ne reculeraient devant aucune mauvaise action s’ils étaient largement rétribués pour ce faire. Le commissaire MARION demande de procéder à l’éloignement de ces personnes de la Poudrerie nationale de Sorgues. Parmi le contingent grec arrivé à Marseille en 1916, il se trouve un dénommé COHEN Joseph, sujet Turc, né à Constantinople le 1er mars 1875, qui a été dirigé par mégarde sur l’établissement de Sorgues. Il sera arrêté par la gendarmerie le 16 novembre 1916 pour être interné à Marseille au dépôt des ouvriers ottomans. Le 8 janvier 1917 Le Ministre de l’intérieur adresse au Préfet l’autorisation de diriger sur le dépôt des ouvriers étrangers de Marseille les dénommés : SLYLIANIDES, GULLOGLOU, KIROUDIS et la famille DELIGGORGKIS, tous signalés comme anti-vénizélistes.
11. 8 - UN NOUVEAU CONTINGENT A LA POUDRERIE DE SORGUES
Le 18 août 1917 Est arrivé à Sorgues un nouveau contingent grec pour travailler à la Poudrerie. « J’ai appris (nous informe le commissaire MARION dans un rapport au directeur de la sûreté générale) que quelques uns d’entre eux seraient des épistrates (réservistes grecs) et que, parmi ces épistrates, il y en aurait qui se seraient rendus coupables d’avoir tiré sur nos troupes, sur les alliés et les vénizélistes lors du guet-apens à Athènes, le 1er décembre 1916. Voici ce qu’ils ont avoué dans un café de Sorgues au cours d’une conversation animée avec leurs compatriotes : Le nommé KONTOS Constantin a avoué être épistrate et se trouver en service commandé à Athènes le 1er décembre 1916 où il a tiré sur les troupes françaises. Il a quitté le Pirée le 27 mai 1917 pour « sauver sa tête ». FRAGHIDAKIS Dimitris, célibataire, se dit totalement dévoué à son ex-roi CONSTANTIN. Lors de conversations dans les cafés de Sorgues, il désapprouve la politique de VENIZELOS, disant entre autres que les Français sont les ennemis de la Grèce. Le nommé TSOUREAS Panayotis est le vrai chef de bande. Il exerce une influence néfaste sur ses compatriotes et leur inculque adroitement ses idées. Il est épistrate, mais il n’a pas avoué avoir tiré sur les troupes françaises. ZINGAKIS Aristoménis, célibataire, est un épistrate doublé d’un anti-vénizéliste enragé. Il n’a pas avoué avoir tiré sur les troupes alliées, mais il a reconnu sa participation aux événements du 1er décembre 1916. ANDREADIS Ménélaos, célibataire, ne peut pas nier qu’il est épistrate puisque la photographie collée sur sa carte verte le représente en veston d’infanterie grecque (sans écusson). Outre ses idées anti-vénizélistes, il nourrit des sentiments hostiles contre la France. Le nommé PAPACONSTANTINO Nicolas est également un épistrate ayant participé aux événements du 1er décembre 1916 à Athènes. Il est notoirement connu comme anti-vénizéliste dangereux et, coïncidence étrange, il a rencontré dans la Poudrerie de Sorgues un malheureux grec vénizéliste qu’il avait poursuivi dans les rues d’Athènes lors des événements de décembre pour lui faire un mauvais parti. Enfin les nommés : XANTAAKIS Miltiadès, DOUDAS Michaël, POUPALOS Georges, CHRISSOYELOS Georges manifestent ouvertement leurs idées anti-vénizélistes et coopèrent étroitement avec leur chef de bande TSOUREAS Panayotis. Ces dix étrangers sont partis du Pirée le 27 mai 1917 à bord du PLATA. Ils ont débarqué à Marseille le 11 juin suivant pour arriver à Sorgues quatre jours après où, depuis cette date, ils travaillent dans la Poudrerie de Sorgues. A mon avis dit le commissaire MARION, il y aurait lieu de les admettre d’urgence dans un camp de concentration où ils seraient étroitement surveillés. » Tous seront internés au dépôt des réfugiés grecs de Marseille pour participation aux événements du 1er décembre 1916 à Athènes, à l’exception des nommés : KANTOS Constantin, XNIGHAKIS Christomédés pour lesquels il est demandé l’élargissement, faute de preuves suffisantes.
12 - L’affaire Camille Janson
Le 16 juillet 1916, est entré à la Poudrerie Nationale de Sorgues en qualité de chimiste, chef de division, un homme dénommé JANSON Camille, né à Paris le 2 juin 1886, de Jean et de Marie BERARD. Camille demeure actuellement à Sorgues, à l’hôtel Terminus (place de la Gare). C’est à la seule fin de pouvoir contracter un engagement dans l’armée française que JANSON a présenté un faux état civil auprès du commandant du bureau central de mobilisation de la Seine le 1er mai 1916. Dans la réalité, Camille JANSON n’est pas de nationalité française puisqu’il est né le 2 juin 1886 à Trois-Fontaines, en Lorraine annexée par l’Allemagne, et porte les nom et prénom de YUNG Camille, fils de Joseph et de Marie MERISTROPH. Camille a passé mariage avec la demoiselle Joséphine VARNHAGEN le 22 avril 1913. Camille YUNG serait un ancien élève de l’école polytechnique de Munich et aurait travaillé en qualité de chimiste dans une fabrique d’explosifs à Cologne.
En 1914, à l’ouverture des hostilités, il se trouvait en Russie où il travaillait à la Société Franco- Russe d’explosifs de Chterouska. Des mesures de rigueur ayant été prises en Russie contre les ressortissants Alsaciens-Lorrains, Camille YUNG décide de se rendre en France. Il obtient un passeport du consulat de France à Petrograd, valable pour une année à partir du 31 août 1915. Parti de Petrograd le 4 avril 1916, Camille YUNG débarque au Havre le 16 du même mois et,quelques jours après, il rejoint Paris, en compagnie de sa femme. Le 25 avril, Camille et son épouse obtiennent un permis de séjour au titre d’Alsaciens-Lorrains, pour résider à Créteil, Grande Rue n°147. Le 28 avril 1916, Camille YUNG, sous le nom d’emprunt de Camille JANSON, est affecté au 83ème Régiment d’artillerie. Le 11 juillet 1916, il est affecté comme chimiste au groupe des Poudreries de St Chamas, Annexe de Sorgues. Sa présence à Sorgues éveille de plus en plus la suspicion des ouvriers de la Poudrerie. Dans la population de Sorgues, certains n’hésitent pas à dire : « Il y a un boche à la Poudrerie ». Nous ne pouvons, rappelle le commissaire MARION, nous prononcer sur les sentiments francophiles de ce Lorrain qui a contracté mariage avec une Allemande. Dans des conversations privées, il aurait critiqué la France. A la Poudrerie de Sorgues, aucun fait suspect n’a pu être encore relevé à sa charge. Le 4 août 1916, Le Directeur de la Poudrerie informe de l’affectation de JANSON par décision ministérielle. Le ministre de l’intérieur ne donnera pas de suite à cette enquête du commissaire spécial de Sorgues.
12 - Sainte Barbe : Patronne des Poudriers
LES RISQUES ET PÉRILS
Tout au long de son existence, l’homme se sait exposé à des périls divers. Encore plus que les autres, les hommes et les femmes travaillant sur les poudres se sentent plus vulnérables et craignent par le contact qu’ils ont avec ces éléments d’être éloignés de la “Paix des défunts”. Pour écarter cette menace et atténuer les effets des accidents qu’il leur arrive de subir, ils invoquent la protection des saints, où saintes, particulièrement efficaces en leur domaine.
Ste BARBE : la foudre et la tempête.
Selon la tradition, quand Dieu fit l’éclair qui ne fait aucun mal, le diable fit la foudre qui, elle, est dangereuse. Ste BARBE, vierge et martyre du IIIème siècle avait trouvé avec son père le secret pour fabriquer la poudre, elle fut tout indiquée pour devenir la sainte protectrice des canonniers et des artificiers. Ste BARBE pour ne pas tomber entre les mains des Barbares, aurait, selon la légende, fait sauter par la poudre le monastère de la Sainte Perpétue dans lequel elle se trouvait. Un manuscrit original de 1487* fait état de la confrérie des salpêtriers parisiens placée sous la protection de Ste BARBE. * Bibliothèque Nationale –Vol 16.693 fol 83
Alain SICARD