Le chanoine Grimaud, « physionomie bien attachante, caractère bien méridional, figure sacerdotale et bien française », comme le dit son éloge funèbre en 1917, est né à Monteux en 1837.
Ordonné prêtre en 1861, il est nommé curé de Sorgues en 1884 après une dizaine d’années passées à la cure d’Entraigues, et obtient le camail de chanoine en 1885. Il reste à Sorgues jusqu’à ce que sa santé l’oblige à se retirer dans son pays d’origine, en 1909.
Professeur au séminaire dans les premières années de sa prêtrise, le chanoine Grimaud poursuit une activité intellectuelle qui l’amènera à être membre de l’académie de Vaucluse. Proche du félibrige par ailleurs, il aura le souci de faire briller la langue d’oc encore parlée dans sa paroisse, sans aucun doute, et c’est cette activité qui lui permettra de passer à la postérité.
Le chanoine Grimaud compose en effet une série de sermons en provençal, quasiment tous prononcés alors qu’il était curé de Sorgues, mais en des lieux très divers, comme nous le verrons.
Ces sermons lui assurent une certaine notoriété et sont regroupés, au moment de son départ de la paroisse de Sorgues, dans un volume intitulé les Sermoun e Panegiri prouvençau1. Leur lecture, toujours instructive, donne un bonne idée à la fois de la façon dont la langue provençale pouvait être utilisée à cette époque et du rapport qu’elle pouvait avoir à l’actualité non seulement religieuse, mais également sociale et politique.
UNE LANGUE INSTITUÉE ET TERRITORIALISÉE.
Salués dans la préface (en français) du félibre Jules Véran, les Panegiri sont placés dans le cadre de la conquête par la langue provençale de tous les territoires de l’écrit. « La prose provençale, que l’on croyait tout juste propre aux petites histoires qui font rire », écrit Véran qui fait ici allusion aux « cascareleto » émaillant les Armana prouvençau, « aura montré qu’elle pouvait s’adapter à tous les genres et traiter tous les sujets ». L’éloquence, ajoute-t-il, a été servie par les grands félibres, suivie du conte et du roman, de l’histoire et de la critique, de la philologie et, avec la médecine, des plus récentes découvertes de la science. La langue provençale a ainsi pu exprimer « les opinions et les passions politiques les plus diverses ». Il restait à donner au provençal, non pas un usage religieux car il l’avait avant les félibres, mais une forme littéraire à l’intérieur de cet usage.
C’est à cette tâche importante que le chanoine Grimaud s’est attelé pour aboutir à cette oeuvre qui donne, selon l’expression de Véran, « à la nation provençale un enseignement provençal ». Comme tout félibre qui se respecte, Jules Véran remarque d’abord dans les sermons le fait qu’ils sont prononcés en provençal, plus que leur contenu. Pour lui, L’ouvrage est d’abord une des pièces de la renaissance provençale, quasiment plus importante par sa langue que par son contenu. De ces Panégyriques, il dit en effet que leur qualité réside dans le fait que « s’ils n’apprennent rien de nouveau, surtout au paradis où l’on sait tout, la musique en est nouvelle », ce qui voudrait donc dire que la langue, avec sa musique charmante, en est le seul intérêt. On peut bien sûr imaginer que les auditeurs du chanoine Grimaud, qui devait avoir un réel talent de prédicateur, se laissaient bercer par la musique de la langue, mais est-ce le seul intérêt de ses sermons ? Outre le caractère fâcheux pour le chanoine d’un tel jugement, il semble que si la qualité de l’écriture est incontestable, elle ne représente pas le seul intérêt de ses sermons, et que les félibres –et Mistral en tête, qui a mis aussitôt le livre au musée- vont un peu vite en ne le voyant que du côté de la langue.
Les sermons sont un moment de la vie religieuse. Tous les sermons contenus dans le livre, prononcés de 1883 à 19072, l’ont été à l’occasion de cérémonies religieuses et non à l’occasion de manifestations provençales comportant une partie religieuse. Ce cadre n’est pas négligeable.
Dans les manifestations provençales organisées par le félibrige durant cette période, la religion est le supplément d’âme de la langue, supplément employé parfois avec précaution dans la mesure où l’on affirme d’un côté que « provençal et catholique » sont deux caractéristiques indissolublement unies, et de l’autre que ces manifestations rassemblent des personnes de toutes opinions et toutes croyances. La croyance, en quelque sorte, est au service du provençal. Or, dans les manifestations religieuses lors desquelles intervient Grimaud, la langue est d’abord là pour servir la religion et se justifie par rapport à elle, sans prétendre se substituer au français.
Mais pourquoi alors faire ce choix ? Le premier discours, tenu à Lourdes en 1883, établit le droit du provençal à résonner dans la basilique sur le fait que Marie s’exprime dans toutes les langues, et sur une interprétation des textes sacrés relatifs à la Pentecôte, invitant à glorifier Marie dans toutes les langues de l’univers. « Aussi faut-il rendre grâces à notre Révérendissime et Bienaimé Archevêque d’Avignon qui a bien voulu bénir la résurrection de la langue provençale en lui offrant la bonne fortune de se consacrer à Notre-dame de Lourdes par la publication de ses vertus dans le temple de sa gloire »3. Grimaud ne commence donc le panégyrique proprement dit qu’après avoir installé le provençal dans le concert des langues de l’univers.
A partir de là, l’emploi de cette langue peut sembler naturel et les remarques sur la langue présentes dans les autres discours se contentent, généralement, d’indiquer la différence de « dialecte », on pourrait dire aussi de patois, entre l’orateur et son auditoire, mais pour souligner qu’elle est finalement de peu d’importance. Ainsi en est-il à Apt, lors des fêtes de sainte Anne, où Grimaud, qui se rallie à la langue codifiée par le félibrige, justifie ce choix devant les fidèles. « Il est vrai que je ne parlerai pas tout à fait le même langage que celui de cette illustre ville d’Apt. Mais qui ne sait que la langue provençale a la prétention de former, dans ce siècle, le pendant de la langue grecque dans l’antiquité ? La langue grecque avait sept dialectes, et chacun de ces dialectes exhalait comme un parfum de terroir. Ainsi en est-il de la langue provençale ; et je suis bien sûr qu’aujourd’hui le dialecte d’Apt ne boudera pas le dialecte d’Avignon »4. Une remarque du même ordre est faite à Tarascon en 1886 dans le sermon dédié à sainte Marthe. « C’est donc avec bonheur que nous allons la louer dans notre langue, et vous me pardonnerez si je ne parle pas votre dialecte dans toutes ses nuances. Avignon et Tarascon sont deux soeurs qui portent les mêmes traits de famille mais qui, néanmoins, se distinguent l’une de l’autre par la variété des lignes de la figure.
Cette distinction ne les empêche pas d’être soeurs, de se ressembler et de s’aimer »5. En revanche, dans les deux sermons prononcés en territoire plus félibréen proprement dit, Monteux (dont Grimaud est originaire) et Sorgues (dont il est le curé), aucune remarque n’est faite sur la langue, de même que pour le sermon donné à l’occasion d’un pèlerinage sur le mont Ventoux. Grimaud se conforme à l’idée selon laquelle il est normal de s’exprimer dans la forme de langue provençale codifiée par le félibrige, quel que soit le lieu où on l’utilise.
Il retient aussi le thème félibréen de la dignité de la langue. Le sermon de charité tenu à Sorgues en 1907 commence par une remarque sur le provençal qui pourrait passer pour une langue des pauvres mais recèle de grandes richesses. « Il se rencontrera des personnes qui diront :
« cela s’harmonise bien de prêcher pour les pauvres dans la langue des pauvres », voulant signifier que, quand on est riche, il faut s’exprimer en français et que la langue provençale n’est que le langage des pauvres gens... Oh ! pour cela, non ! Soyons fiers de notre langue ! La langue provençale est plus vieille que la langue française et aujourd’hui, grâce à sa résurrection, elle est plus jeune. Elle sied aussi bien aux lèvres fines des lettrés qu’aux lèvres rustiques du menu peuple »6.
Selon la même tradition félibréenne, on trouve dans le panégyrique de saint Gens un long éloge du paysan, « le plus libre des habitants du globe. L’ouvrier dépend de son patron, le soldat de son chef, le matelot de son commandant, le moine de son supérieur, l’industriel de son public ; pour le cultivateur, rien de tout cela ! Il n’a ni patron, ni chef, ni commandant, ni supérieur, ni public, et il ne dépend que de son travail, de sa conscience et de son Dieu ! »7. Ce passage est d’ailleurs le seul de l’ensemble du recueil qui contienne une citation de Mistral, « fils de paysan et paysan lui même à ses heures »8, dans laquelle Mistral déconseille aux paysans de planter là la charrue « pour courir dans les villes et vous faire artisans »9.
Si le provençal est donc bien pour le chanoine la langue codifiée par le félibrige, les variantes étant qualifiées de dialectes, cette langue est également pour lui profondément attachée à son territoire et n’a de légitimité que lorsqu’elle s’y rapporte. Quand un sermon en provençal est tenu à Rome, il faut donc qu’il explique pourquoi : il peut parler en provençal à Rome, dans la basilique Saint-Pierre lors du sermon de 1891 parce que cette ville est universelle et donc susceptible d’accueillir toutes les langues. « Cette vaste basilique, qui n’est pas simplement une église de Rome, mais le temple immense de toutes les nations de la terre, a sûrement retenti du langage de tous les peuples (...). C’est pourquoi, point de faux respect, et parlons hardiment provençal »10.
Il en est autrement à propos de Jeanne d’Arc. Que vient faire dans un sermon en provençal cette Lorraine incontestable ? Le chanoine imagine l’objection de son auditoire. « Mais d’où vient que vous nous parlez de Jeanne d’Arc dans une langue qui n’était pas la sienne, qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne comprenait pas et que, aurait-elle vécu cent ans, elle n’aurait jamais eu l’occasion d’entendre sur la terre ? Pourquoi donner un air de Provençale à une figure qui est, avant tout, le type idéal de la femme française ? »11. Parce qu’il y a une relation entre Jeanne d’Arc et la Provence qu’il se fait un plaisir de détailler, même si elle peut apparaître quelque peu artificielle. Il se fait d’abord un devoir de montrer la communauté de la Lorraine et de la Provence (le roi René était duc de Bar, dont dépendait Donrémy) et le rôle des Provençaux dans la vie de Jeanne. Il rappelle que le premier de tous les panégyriques de Jeanne a été prononcé à Périgueux du vivant de l’héroïne, « dans la langue provençale de ces temps-là »12. Enfin, conclut-il, « à Brignoles, au mois de mai 1429, on fit une grande procession de réjouissance ; et, à Montpellier, il y a un chemin qu’aujourd’hui encore on appelle le chemin de Bonne nouvelle, parce que c’est de ce chemin qu’arriva, bride abattue, le Messager de France, annonçant la délivrance d’Orléans par la vaillance de Jeanne d’Arc. Vous voyez donc que nous avons cent fois raison d’exalter les vertus et la gloire de Jeanne dans la langue de Provence »13.
Tous ces liens établis de façon laborieuse montrent que Jeanne a sa place en provençal, mais ils montrent dans l’autre sens, moins volontairement sans doute, qu’il ne serait pas naturel de faire le panégyrique de Jeanne si rien ne la rattachait particulièrement à la Provence : la langue reste ancrée dans sa particularité, ce qui ne la place pas au même rang que ses soeurs mieux dotées par l’histoire, et en particulier que le français. Si le chanoine Grimaud accorde satisfaction aux félibres en ce qui concerne leur institution de la langue et se conforme à cette institution et à ses règles quel que soit le lieu de sa prédication, il ne la place pas pour autant, de fait, à l’égal des autres langues instituées et en particulier du français. Le provençal n’a vocation à parler que de ce qui concerne son territoire et son histoire, ou de ce qui y est étroitement rattaché. Le corpus des sermons de Grimaud, à sa manière, montre l’efficacité et les limites de l’usage du provençal, mais il montre aussi l’intérêt qu’il trouvait à s’adresser dans cette langue à son auditoire. Etait-ce pour tenir des discours qui auraient été différents en français ?
UNE RELIGIOSITÉ POPULAIRE
A première vue, il y a peu de différences entre le discours tel qu’il a été tenu en langue provençale et la traduction que Grimaud donne en regard dans le recueil. On peut remarquer tout au plus quelques expressions qui peuvent passer pour naïves en provençal et dont la traduction littérale prendrait un tout autre sens. Ainsi Grimaud dit-il dans le discours à Notre-Dame de Lourdes que le projet de la vierge était « d’ensourcela divinamen lis amo »14. On se doute que, même si l’on précise que c’est « divinement », le terme « ensorceler » prend une connotation trop sulfureuse en français pour pouvoir être appliqué à la vierge. Grimaud se sort plus ou moins bien de ce mauvais pas en traduisant « séduire divinement les âmes ». La séduction n’est peut-être pas le moyen le plus adéquat de définir le rayonnement de la vierge mais ce terme s’avère en tout cas supérieur à l’ensorcellement.
Il arrive également que le français soit plus conceptuel que le provençal, la « fausso pou » devenant par exemple la « fausse honte » mais, dans l’ensemble, la traduction est la reprise fidèle de l’original. Le provençal ne marque pas un autre niveau de langage mais, pour des raisons d’auditoire et grâce à la renaissance provençale, l’utilisation d’un autre moyen.
La traduction est toutefois au service d’une forme très populaire de religion. D’une manière générale, la religion illustrée dans les sermons repose sur des signes très visibles, et en particulier des miracles. Et dans la façon dont ils sont racontés, ces miracles entrent dans une histoire qui n’est pas exempte de péripéties, voire de véritables stratégies. Par exemple, quand la vierge apprend par Bernadette que le curé de Lourdes lui demande de faire fleurir un rosier en hiver pour prouver l’authenticité de la révélation, Grimaud raconte qu’elle sourit et se refuse à faire un miracle enfantin, « un enfantoulige » (que le texte français traduit : « qui eut pu paraître quelque peu enfantin »). Le curé est naïf de croire qu’on peut se contenter d’un aussi petit miracle. Il faut quelque chose de réellement efficace, et pas seulement symbolique. La vierge, qui a un peu plus le sens des réalités -on dirait aujourd’hui des effets médiatiques- fait donc surgir une source miraculeuse, beaucoup plus impressionnante dans la mesure où elle a un pouvoir de guérison réel. Grimaud, dans la foulée, invite les « fortes têtes » à venir voir sur place la réalité des miracles. La vierge a refusé le miracle symbolique demandé par le curé trop confiant dans l’efficacité des symboles et a préféré une action beaucoup plus tangible et adaptée à la mentalité humaine.
Mais il faut toutefois distinguer le miracle de la superstition, et l’histoire de saint Gens est pour Grimaud l’occasion d’établir ce partage fondamental. Au départ, c’est contre une superstition locale (les habitants de Monteux, les Montiliens, plongeaient la statue de saint Raphaël dans un ruisseau, pensant obtenir ainsi la fin de la sécheresse) que le jeune Gens, dont la religion « était particulièrement éclairée, et sans aucun mélange de ces inutilités auxquelles on donne le nom de superstitions »15, brise la statue de saint Raphaël et prophétise qu’en punition de leur pratique superstitieuse les habitants de Monteux se verront infliger une sécheresse de trois ans. Il se comporte ainsi comme Moïse « qui brisa les tables de la loi à la vue du veau d’or des Hébreux », provoque la fureur des Montiliens et part dans la solitude de la forêt voisine, où il devient laboureur, utilisant pour sa charrue le loup qui avait dévoré une de ses vaches, comme saint François d’Assise.
Le chanoine le compare en même temps aux deux saints provençaux (Véran, et Marthe qui fait l’objet d’un autre discours) qui vainquirent des monstres. Les Montiliens désespérés par la sécheresse envoient la mère de Gens le retrouver, et celui-ci accomplit alors le miracle de la fontaine, suivi de la fin de la sécheresse et de la conversion de ses compatriotes. Saint Gens mérite alors, « mieux qu’au Jupiter d’Homère, le titre de Grand assembleur de nuages »16. En quoi les prières à saint Gens sont-elles moins superstitieuses que celles à saint Raphaël ? L’éloquence du chanoine permet d’éluder la question.
Mais il ne s’agit pas seulement pour lui de commémorer la mémoire d’un saint. Le sermon est prononcé à l’occasion d’un pèlerinage, et le chanoine Grimaud insiste sur la nécessité de montrer la religion par des manifestations visibles. « Il faut, en notre siècle de combat, faire des actes publics qui manifestent notre attachement inébranlable à la sainte religion de nos ancêtres, à la religion catholique ! »17.
Les processions font partie de ce que Grimaud appelle les institutions. Il distingue dans le sermon sur sainte Marthe la tradition, la science et les institutions comme piliers de la religion.
La tradition est ce que nous appellerions aujourd’hui la tradition orale, avec une forte composante légendaire. C’est la tradition qui raconte que Marthe ressuscita un jeune homme qui s’était noyé dans le Rhône et, surtout, enchaîna la Tarasque. Mais « si la tradition ne trompe pas dans son ensemble, elle peut présenter des obscurités de détails. C’est alors qu’apparaît la science »18. Plus que d’une science au sens contemporain du terme, c’est d’une érudition tournée vers l’hagiographie que le chanoine veut parler. Par institutions, enfin, Grimaud entend les signes visibles de la présence de la religion, à savoir les églises et les cérémonies parmi lesquelles les processions jouent le rôle le plus important.
On ne doit donc pas s’étonner de récits qui pourraient sembler invraisemblables. La science n’a pas pour but, selon le bon chanoine, de montrer les invraisemblances de la tradition, bien au contraire. Ainsi le sermon sur sainte Marthe décrit-il de façon très classique la Tarasque, disant que, selon la légende, elle était comme « une espèce de dragon effrayant qui avait la tête d’un taureau sauvage, les ailes d’un oiseau et la queue d’un serpent et que cet ensemble était caparaçonné d’écailles brillantes comme celles de poissons de la mer »19.
Quel crédit doit-on accorder à l’existence d’une telle créature ? Certes, il semble extraordinaire, dit Grimaud, qu’il ait existé quelque animal de ce genre. Mais « autrefois nos plaines étaient de grands marécages et nos montagnes d’immenses forêts. Il était donc tout naturel que ces marais et ces monts fussent comme l’asile et le royaume de toutes les bêtes sauvages des environs »20. Il conclut donc : « Vous aviez autrefois dans vos environs la Tarasque »21, sans plus douter de l’existence de l’animal.
On est donc dans un légendaire repris tel quel qui imprègne également la lecture et l’interprétation que fait Grimaud des textes sacrés et de l’histoire du christianisme. Il donne une version des premiers jours de la vierge liée à un merveilleux séculaire très loin de ce qu’on appelle alors l’esprit « du siècle » (du XIX° siècle) fait de positivisme et de constatations scientifiques. Dans le récit du chanoine, qui ne se trouve pas dans les écritures mais dans une des traditions postérieures, Sainte Anne contemple le berceau lorsque la porte s’ouvre. « La première personne qui se présenta de la part de Dieu, ce fut Adam, le chef de l’humanité. Il s’avança jusqu’au berceau, et, après avoir majestueusement salué, il dit à sainte Anne : « C’est vous la mère de cette belle enfant ? Eh bien, réjouissez-vous ! Vous êtes la mère et c’est à propos de cette enfant que le seigneur, dans le paradis terrestre, dit au serpent ces paroles qu’il me semble entendre encore : c’est elle qui t’écrasera la tête »22. Après ces débuts prometteurs, la procession se poursuit avec Noé, Abraham, les prophètes et un céleste panorama de l’ensemble des oeuvres de l’église : on est dans le récit merveilleux qui peut aussi s’appliquer au combat contre des forces du mal particulièrement agressives.
Car les forces surnaturelles, de plus, ne se manifestent pas seulement dans la légende. Le combat du bien et du mal reste actuel, et ses péripéties peuvent être proches. Ainsi dans le sermon sur la Sainte croix, prononcé à l’occasion de l’édification d’une croix sur le mont Ventoux, le chanoine évoque une précédente tentative compromise par des conditions météorologiques particulièrement mauvaises. Il faisait en effet ce jour-là un temps du diable. Mais ce n’est pas pour Grimaud une façon banale de parler : derrière ce temps épouvantable ne se trouvaient pas seulement des conditions météorologiques défavorables mais satan en personne. « C’est le Diable en personne qui lâcha la bride à tous les éléments conjurés contre nous. Jaloux de voir que nous venions exalter la gloire de la Croix du Saint Sauveur, rendu furieux par le retentissement de nos chants d’allégresse, il envenima à la fois toutes les variétés de la tempête »23. La suite raconte dans le détail les efforts du démon pour contrarier l’entreprise. « En frappant du pied sur le flanc du Ventoux, il enveloppa comme d’un manteau brutal tout le sommet de la montagne pour anéantir, s’il l’avait pu, la croix et ses adorateurs »24, lesquels se sont effectivement découragés et ont attendu un temps plus clément pour renouveler la cérémonie !
On trouve d’autres exemples dans les Sermons, montrant que la religion qui s’en dégage est peu soucieuse de se rapporter de près aux textes sacrés et très imprégnée d’un légendaire merveilleux. Ce légendaire n’est certes pas l’apanage des sermons en langue provençale mais les constitue ici de façon exclusive. Ils ne sont pourtant pas prononcés devant des auditoires naïfs et incultes. Ce n’est pas le public qui permet une telle inflexion mais bien la langue. On peut en effet penser que le sermon en provençal, du fait de la langue dans laquelle il est prononcé, constitue un îlot de tradition dans l’océan de modernité qui envahit le siècle. Si les Sermons s’associent à un courant général de l’église largement représenté dans la langue française, leur spécificité semble être ici dans une particulière adéquation entre le contenu et le medium utilisé : le merveilleux, pour le dire directement, « passe mieux » en provençal qu’en français trop contaminé par la littérature réaliste et la science.
LA DÉNONCIATION DU « SIÈCLE »
Les Sermons ne sont donc pas intemporels. Ils s’inscrivent dans une période marquée par l’installation de la République et les réticences et réactions d’opposition qu’elle ne manque pas de susciter. Les Sermoun e panegiri évoluent, de ce point de vue, au cours des ans, évolution que l’on pourrait qualifier globalement en disant qu’ils sont de plus en plus des sermons et de moins en moins des panégyriques, avec un rapport de plus en plus transparent à l’époque où ils sont tenus.
Le premier sermon, tenu à Lourdes, n’est toutefois pas exempt d’allusions à l’époque, loin de là. L’état de la France y est décrit de façon très sombre, en rapport à des transformations récentes liées à la chute du Second Empire, « treize ans déjà passés »25. La France était alors « humiliée sous le pied brutal tudesque »26, mais le pire est dans ce qui a suivi. « La guerre civile a déchiré sa robe ; la persécution l’a broyée sous son étreinte, la plupart de ses institutions sont tombées comme par un triste enchantement sous les coups de l’enfer, et toujours il nous semble qu’elle va sentir s’appesantir sur sa tête le courroux trop légitime du ciel »27. Il faut évidemment voir dans les « coups de l’enfer » les menées révolutionnaires, voire républicaines, et dans le « courroux légitime du ciel » l’espérance d’une restauration. Car aucun homme sauveur n’apparaît, et le salut ne peut venir que de la foi, d’où l’importance de la vierge qui est également une importance politique. « Si tu n’as pas un seul homme sauveur, tu as une céleste Dame, la plus sainte, la plus belle, la plus puissante, la Vierge Marie, l’Immaculée de Lourdes ! »28. Les pèlerins qui écoutent le sermon n’ont sans doute pas à aller chercher bien loin pour savoir de quelles persécutions le chanoine parle, quelles institutions sont tombées et quels peuvent être les agents de l’enfer, mais ses propos restent très allusifs et se contentent de déplorer les effets maléfiques de l’évolution présente. En effet, il est difficile, dans un sermon, de se rattacher explicitement à des événements de l’époque, et il est plus facile de nommer le mal qui en est la source, à savoir l’esprit et l’action révolutionnaires à l’origine de la République. C’est sans doute pourquoi les trois panégyriques suivants y font directement allusion.
La Révolution apparaît dans le sermon sur sainte Anne, dans le récit des miracles que fit la sainte pour la préservation de son tombeau. Lors de l’attaque des remparts d’Apt par le baron des Adrets, « comme si elle avait été munie d’une baguette magique, elle détourna la direction des boulets qui se perdirent tous dans le vide »29, ce qui fit que le baron « stupéfait, glacé d’effroi, s’imaginant que l’on avait jeté quelque sortilège sur ses soldats, tourna bride et disparut à jamais »30.
Mais sa puissance est encore plus nette sous la Révolution. « Enfin, la Révolution qui, partout, jetait au vent les reliques des saints, n’osa point toucher aux ossements de Sainte Anne, bien qu’elle les tînt dans ses griffes impies et, comme un lion qui rend la liberté à un agneau après avoir menacé de le dévorer, elle fit retour de la sainte châsse aux passeurs légitimes. Et depuis les quatre-vingts ans qui nous séparent de ces temps de malheur, qui pourra dire les témoignages de votre fidélité ? »31. Les qualificatifs de la Révolution sont ici mentionnés en quelques mots, comme des évidences qui ne sauraient être remises en question : la fureur destructrice et les griffes impies ne peuvent être combattues, au plus fort de leur action, que par les miracles.
Dans le sermon sur saint Gens, il est question de « notre pauvre société » qui « est tourmentée de fièvres bien autrement malsaines que celles qui attaquent notre corps et que guérit votre merveilleuse petite source »32, sans qu’il soit nécessaire de préciser, pour les fidèles, la nature de ces fièvres malsaines. Le chanoine est plus direct dans le sermon sur sainte Marthe, faisant allusion à « la Révolution qui a tout bouleversé »33 et a mis fin à l’époque heureuse où Avignon et Tarascon « inclinaient leur front sous la même houlette pastorale »34.
Les quatre premiers panégyriques contiennent donc quelques allusions à l’histoire contemporaine et à ses luttes politiques, ce qui est somme toute compréhensible. Leur but étant de mettre en valeur la vie et la mémoire d’un saint ou d’une sainte ayant vécu en des temps reculés, le corps du sermon ne saurait porter sur l’actualité. Cela n’empêche pas qu’elles soient suffisamment régulières pour pouvoir constituer un lien commun entre les sermons dans leur rapport au présent : le regret d’un passé glorieux et la critique des événements funestes qui l’ont interrompu sont des idées suffisamment évidentes pour qu’on puisse se contenter d’y faire allusion.
Le sermon prononcé à Rome intervient plus directement dans les polémiques de l’époque.
Le pape, affirme Grimaud, a perdu tout pouvoir sur ce qui était sa ville et « nous sommes venus avec le dessein de protester contre cette abomination de la désolation, de crier d’une voix qui monte jusqu’aux étoiles que Rome, Rome entière, de par la volonté de Dieu, la consécration des siècles et le consentement des peuples, est la propriété des papes et que nous espérons bien que, grâce à nos protestations, à nos acclamations et surtout à nos prières, nous verrons de nouveau rayonner sur son front le diadème royal. On l’a dit, et nous le disons plus haut que personne : Rome est intangible ! Malheur donc à la main qui touche à sa couronne ! La couronne de Rome ne tombe jamais seule ! »35. Les protestations du chanoine contre la situation dont était victime Léon XIII36 sont bien liées à la situation présente, même s’il précise que cette attitude est avant tout celle d’un pèlerin. Il qualifie dans le même sermon la dernière encyclique pontificale de « second évangile des peuples », affirmant qu’elle a prouvé « l’histoire en main, que le Christ a été le seul libérateur de l’ouvrier »37.
Mais il ne s’agit pas, cette année-là, que de la seule situation romaine du pape. Les Comtadins, dit Grimaud, sont sous le poids d’une grande humiliation, entraînant une « douleur patriotique »38. Cette humiliation est bien évidemment la célébration du centenaire du rattachement du comtat à la France. Avignon doit tout à la papauté, affirme-t-il, et il évoque avec colère ces « nains qui ont renié tout ce magnifique passé de gloire pour l’imbécile plaisir de le piétiner avec rage. Ils ont crié sur les toits qu’ils célébraient la délivrance d’une longue tyrannie, de la tyrannie cléricale, de la tyrannie pontificale et, pour que nul ne se méprît sur leurs intentions, ils ont symbolisé leur abominable mensonge dans un monument qui est une obscénité et qui est en train de devenir la fable de l’univers (la moucarié dou mounde, en provençal, c’est-à-dire un objet de moquerie pour le monde entier) »39. Et la réaction de Grimaud est radicale. « Nous venons déchirer, dans Rome même, cette page de notre histoire »40.
On peine un peu, même à l’époque, à suivre le chanoine sur ce terrain. Faut-il séparer à nouveau le Comtat Venaissin de la France et en faire un nouvel Etat pontifical ? Il se garde lui-même de continuer sur cette voie et affirme finalement « nous sommes Français dans l’âme ! » pour ajouter aussitôt « mais si nous sommes Français, nous sommes aussi pontificaux (...) et si à Avignon nous crions : Vive la France qui est notre Mère ! nous crions aussi du fond du coeur : Vive le pape qui est notre père ! »41. La double allégeance laisse en suspens la répartition des autorités, et la charge contre la célébration du centenaire est une façon très directe d’insister sur la nécessité de maintenir le pouvoir de l’église au sein de la société. C’est une argumentation très nette en faveur du pouvoir de l’église et il n’est pas certain, en raison des réactions qu’elle peut susciter, qu’elle puisse être tenue en français, même à Rome. Il semble qu’à cet égard le provençal constitue un refuge politique autant qu’un refuge des traditions, refuge duquel on peut regretter les conséquences de la Révolution et souhaiter le retour à l’ordre antérieur, sans toutefois accompagner ce souhait de modalités plus explicites. Ce Sermon se situe sur la même ligne qu’un certain nombre de textes français plus connus, mais se permet un ton plus direct.
Il en va de même pour le sermon sur la Sainte Croix dont nous avons vu plus haut l’allusion vigoureuse qu’il faisait au démon. L’érection de la croix sur le Ventoux est un acte de foi mais aussi et surtout un acte de réparation. En effet, après une longue histoire chrétienne jalonnée par de nombreuses preuves de foi, « un jour vint, jour de malheur et de malédiction, où la hache impie coucha par terre tous ces signes sacro-saints de notre salut, et il n’en resta presque aucun debout dans toute l’étendue du territoire national. A l’époque actuelle, nous avons, nous aussi, connu le bruit d’une croix qui tombe. Nous avons vu la croix arrachée du faîte du Panthéon et, dans l’âme de toute la France, a passé un frisson immense et douloureux »42. C’est donc bien contre les actes impies du passé et du présent que l’érection des croix (Grimaud fait allusion à celle du Puy en Velay) constitue une légitime réparation. Le sermon montre ici un christianisme de combat décidé à effacer les traces de la tourmente révolutionnaire.
Mais il ne s’agit pas seulement de réagir contre les errements du passé. Il faut aussi répondre aux préoccupations du présent, et le sermon de charité est l’occasion pour le chanoine de reprendre la doctrine sociale de l’église, complément nécessaire de sa critique des institutions nouvelles: le pauvre est bienheureux, mais si l’évangile lui fait une place telle qu’il « y a de quoi nous donner l’envie d’être pauvres »43, ce n’est là qu’un des aspects de sa condition. Il faut également se préoccuper de sa place dans la société, sans quoi on court le risque qu’il se révolte et, au lieu de pauvre bienheureux, qu’il devienne pauvre dangereux. « Aujourd’hui, il élève des barricades, dépave les rues et poursuit à grands coups de pierres les généraux et leurs armées. Il faut des massacres épouvantables pour en avoir raison »44. La grande peur de la commune est toujours présente, trente sept ans après. Il faut donc se préoccuper de sa situation matérielle en faisant de la philanthropie sans jamais oublier l’objectif pastoral. Il faut de la charité qui, « en présentant d’une main le pain qui nourrit le corps, montre de l’autre le ciel, l’espérance de l’âme (...). La charité prêche au pauvre la résignation et l’espoir en lui faisant voir, saluer et baiser la Croix de Jésus-Christ »45. La charité confère en quelque sorte un double bénéfice. Elle évite les tracas entraînés par les luttes sociales et fournit un substantiel bénéfice, car « qui donne au pauvre donne à Dieu »46. Le rendement est garanti, et le chanoine se livre alors à un calcul qui émerveillerait les économistes contemporains.
« Quel beau calcul que le calcul de la charité ! Nous ne plaçons pas au trois pour cent, comme on le fait sur l’Etat ; ni au quatre, comme on le fait sur le chemin de fer ; ni au cinq, comme on le fait pour les particuliers ; ni au six comme on le fait pour le commerce. Nous plaçons notre argent au cent pour cent. Aujourd’hui, vous allez gonfler votre coffre-fort avec ce placement évangélique »47. Le placement évangélique, dernière valeur refuge ? Il n’est pas possible de savoir si le chanoine Grimaud a été suffisamment convaincant avec ses paroissiens, mais on peut remarquer la relation étroite entre le sermon et les théories sociales de l’église. Des propos équivalents en langue française sont tout à fait envisageables. Ce sermon, qui est également le dernier48, est aussi le plus directement lié aux préoccupations de l’époque. Il ne porte pas sur la tradition proprement dite et aurait pu marquer le point de départ d’une série de sermons dans lesquels le provençal aurait permis de parler de questions contemporaines. Il n’en est rien, et l’âge maintenant avancé du chanoine n’en est pas la seule cause. L’auditoire commence à passer de plus en plus nettement, en ce début de siècle, à la langue française, et va lier le provençal à l’évocation du passé. Le partage linguistique s’accentue et le provençal ne se retrouvera bientôt que dans des manifestations exceptionnelles, se donnant comme un rappel de la tradition. Le moment linguistique des Sermons coïncide avec un moment politique qui se termine à peu près en même temps que lui.
Le chanoine Grimaud, qui quitte la paroisse de Sorgues au moment de la parution du livre, prie ses paroissiens « d’accepter ce petit volume à titre purement gracieux, en guise d’adieu paroissial ». C’est aussi comme un adieu à une forme d’usage de la langue provençale. Les Sermoun e panegiri témoignent de ce moment exceptionnel où le provençal peut être une langue officielle des cérémonies religieuses sans en être pour autant une langue usuelle. Le registre sur lequel est employé le provençal est très proche des registres similaires en français, mais il est incontestablement plus restreint. Malgré les qualités du chanoine Grimaud, l’ouvrage n’est donc pas un modèle appelé à être suivi, mais plutôt un témoin de l’adéquation, dans la dernière partie du XIX° siècle et au tout début du XX°, de l’usage du provençal et des préoccupations d’une partie de l’église soucieuse de maintenir ou de retrouver une place prédominante dans la société. L’évolution de l’usage du provençal, comme de son statut dans la société, ne permet pas au chanoine d’avoir des successeurs qui lui auraient sans doute donné un nouveau contenu, et les Sermoun e panegiri restent un ouvrage unique.
Pierre PASQUINI,
agrégé de philosophie et historien
LISTE DES SERMONS PRONONCÉS PAR LE CHANOINE GRIMAUD
ET ÉDITÉS DANS LE SERMON PANEGIRI
- « Notre-dame de Lourdes ». Prononcé à la Basilique de Lourdes le 19 septembre 1883.
- « Panégyrique provençal de Sainte-Anne » Prononcé dans la Basilique d’Apt le 27 juillet 1885.
- « Panégyrique de Saint Gens ». Prononcé le 16 mai 1886 (lieu non précisé, vraisemblablement Monteux).
- « Panégyrique de Sainte Marthe ». Prononcé dans la Basilique de Sainte-Marthe à Tarascon le 29 juillet 1886.
- « Allocution prononcée à la messe des pèlerins provençaux ». Chapelle de Sainte Pétronille à Saint-Pierre du Vatican, le 28 septembre 1891.
- « La Sainte croix du Mont Ventoux ». Discours prononcé le 28 juillet 1892 au pèlerinage.
- « Sermon de charité ». Prononcé en l’église paroissiale de Sorgues le 22 septembre 1907.
- « Panégyrique de Jeanne d’Arc » Prononcé le 25 août 1895 (Lieu non précisé, vraisemblablement l’église Saint-Pierre à Avignon).
1 Sermoun e Panegiri Prouvençau emé la traducioun franceso, du chanoine A. Grimaud, imprimé en 1909 à Vaison par C. Roux et disponible enco de Mousen Grimaud, curat de Sorgo (Vau-cluso).
Je remercie Monsieur Raymond Chabert, qui m’a communiqué les documents me permettant de préciser la biographie du chanoine Grimaud.
2 On trouvera à la fin de l’article la liste des discours édités dans les Sermoun e Panegiri, ainsi que les lieux et dates où ils ont été tenus.
3 « Autambèn, fau gramacia noste Reverendissime e bèn-ama Archevesque d’Avignoun qu’a bèn vougu benir la resurreicioun de la lengo prouvençalo en i oufrissènt la bono fourtuno de se counsacra à Nosto-Damo de Lourdo pèr
la publicacioun de si vertu dins lou cèntre de sa glori ». Sermoun, p.9. Nous citons dans cette étude la traduction française donnée par le chanoine lui-même, en regard du texte provençal et donnons en note le texte provençal.
4 « Es verai que parlarai pas, just-ejust, lou meme lengage qu’aquèu que se parlo dins aquelo illustro vilo d’At. Mai quau sup pas que la lengo prouvençalo a la pretencioun d’èstre, dins aqueste siècle, lou pendènt de la lengo greco dins l’antiquetà ? La lengo greco avié sèt dialèite ; e, touti sèt avien chascun coume un prefum de terraire. Ansin de la lengo prouvençalo ; e sieu segur que lou dialèite d’At fara pas, au-jour-d’uèi, la mino au dialèite d’Avignoun ». Sermoun, p.63.
5 « Ei dounc amé bonur qu’anan la lausa dins nosto lengo ; e me perdonarés se noun parle voste dialèite dins touti si nuanço. Avignoun e Tarascoun, pèr lou lengage, soun coume doues sorre qu’an un meme èr de famiho, mai que
se destingon l’uno de l’autro pèr la variacioun di ligno de la figuro. Aco lis empacho pas d’èstre bono sorre, de se sembla e de s’ama ». Sermoun, p.173.
6„Belèu qu’en m’entendènt precha pèr lis endigèn, en lengo prouvençalo, n’i’a d’uni que dison: „Aco vai bèn ensèn de precha pèr li paure dins la lengo di paure“. Valènt-à-dire, fau parla francés, e que lou prouvençau n’ei que lou
lengage di pàuri gènt... Oh! Pèr aco noun! Siguen plus fièr de nosto lengo! Lou prouvençau es plus vièi que lou francés e, au-jour-duuèi, gràci à sa resurreicioun es plus jouine! Vai autambèn i bouco fino di letru coume i bouco
rustico dou menut poupulàri“. Sermoun, p.303.
7 „Lou plus libre dis abitant dou globo. L’oubrié depènd de soun patroun, lou soudard de soun chèfe, lou matelot de soun coumandant, lou mouine de soun superiour, l’endustriau de soun publi. Pèr lou cultivatour i’a rèn de tout aco. A ni patroun, ni chèfe, ni coumandant, ni superiour, ni publi: Depènd de soun travai, de sa cousciènci e de soun Dièu“. Sermoun, p.133.
8 „fiéu de païsan e païsan éu meme a seis ouro“ Sermoun, p.223.
9 « Pèr courre i vilo e vous faire artisan“ Sermoun, p.339.
10 „La vatesta d’aquelo Baselico, que n’ei pas simplamen uno Glèiso de Roumo, mai mou Tèmple grandaras de touti li nacioun de la terro, a segur restounti dóu langage de tóuti li pople (...) . Adounc, gis de faus respèt, e parlen ardimen prouvençau. Sermoun, p.343.
11„Mai d’ounte vèn que nous parlas de Jano d’Arc dins uno lengo qu’ero la siéuno, que coneissié pas, que coumprenié pas e, qu’aurié viscut cènt an, n’aurié proubablamen jamai agu l’oucasioun d’entèndre sus la terro.
Perqué douna un èr de prouvençalo a-n-uno figuro qu’eis avans tout lo tipe ideau de la femo franceso.
12„En lengo prouvençalo d’aquèu téms“ Sermoun, p.342.
13 « A Brignolo, au mes de mai 1429, se faguè uno grando proucessioun de rejouissènço, e, a Mont-Pelié, i’a un camin qu’au-jour-d’uèi encaro s’apello lou camin de Bono-Nouvello, pèr ço que, ei d’aqueu que venguè, brido abatudo, lou Messagié de Franço anounçant la deliéuranço d’Ourleans pèr la vaiantiso de Jano d’Arc. Vesès, dounc, qu’avèn cènt resoun d’eisalta li vertu e la glòri de Jano dins la lengo de Prouvenço. » Sermoun, p.342
14 „De séduire divinement les âmes“. Sermoun, p.24.
15 „éro subretout assaventado e sènso mesclo d’aquèli subre-fais que s’apellon supersticioun Sermoun, p.119.
16„ Autambèn, miéus que lo Jupiter d’Oumère, poudèn prouclama Sant Gènt Lou grand assemblaire de nivo“. Sermoun, p.165.
17 « Fau sèmpre, dins noste siècle de coumbat, faire d’ate publi de noste estacamen imbrandable à la santo religioun de nòsti rèire, à la religioun catoulico“ Sermoun, p.147.
18« Se la tradicioun engano pas dins soun ensemble, pòu s’enebla dins si detai. Eis alor qu’aparèis la Scienci ! » Sermoun, p.203.
19« uno espèci de couloubro espetaclous qu’avié la tèsto d’un brau, lis alo d’un aucèu e la co d’un serpatas, e que tout aco èro caparassouna d’escaumo lusènto coum’aquéli di peissoun de la mar » Sermoun, p.207.
20 « autri-fes, nosti plano èroun de grand palun e nosti mountagno d’impenetrablo fourest. Ero pèr cousequènt causo naturalo qu’aquèli palun e aquèli mountagno fuguessoun lo recatadou e coume lou reiaume de touti li bèsti fèro dis enviroun ». Sermoun, p.208.
21 « Adounc, dins lis alentour de Tarascoun trevavo la Tarasco » Sermoun, p.261.
22« La proumiero persouno d’aquelo proucessioun misteriouso que se presentè, amé la permissioun de Diéu, fuguè Adam, lou maje de l’Umanita. S’avancè jusquo vers lou bres, e, après agué fa’n grand salut, diguè à Santo Ano « Ei vous que sias la maire d’aquelo tant belo enfant ? Eh bèn, rejouissès-vous ! sias la maire de l’Evo nouvello, e, eis en visto de sa vengudo sus terro que lou Segnour, dins lou Paradis qu’avèn perdu, diguè au serpatas : Eis elo que t’escrachara la tèsto ». Sermoun, p.80.
23 « Ei lou diable en persouno que descaunassè touti lsi elemen contro nous autre. Jalous de vèire que venian eisalta la glori de la Crous dou Sauvaire, enfuria d’entèndre clanti noste cantico d’alegresso, enmalicié a la fes touti li varieta de la tempesto ». Sermoun, p.260.
24 « En picant dou pèd sus lou flanc dou Ventour, enmantelè de soun brutalitge touto la cimo de la mountagno pèr avali, se l’avié pouscu, la Crous e sis adouratour ». Sermoun, p.262.
25 « I’a trege ans » Sermoun, p.31.Le sermon étant prononcé en 1883, cela ramène effectivement à 1870, dernière année de l’Empire.
26 « chauchado souto lou taloun di rèitre alemand », Sermoun, p.30.
27 « La guerro civilo a’strassa la raubo de la Franço ; la persecucioun l’a sagatado, sis istitucioun an cabussa coum’un castèu de carto souto la ràbi de l’infer ; e, toujour, nous semblo que vai senti s’pesanti sus sa tèsto l’iro trop justo dou cièr », Sermoun, p.32.
28 « Se n’as gi d’ome, as aqui uno celesto Dono, la plus bello, la plus santo, la plus pouderouso, la Vierge di Vierge, l’inmaculado de Lourdo ». Sermoun, p.32.
29 « coume s’avié fa jouga uno vedigano de fado, desvirè touti li boulet, que se perdien dins lou vuide ». Sermoun, p.95
30 « espanta, espavourdi, s’imaginant que quauque esperit fantasti ensourcelavo si soudard, sis armo, soun artiharié, virè brido, e jamai lou veguèron plus ». Sermoun, p.95.
31 « Enfin, la Revolucioun, que pertout jitavo au vènt li relicle di Sant, ausè pas touca lis oussamen de Santo Ano, emai lis aguèsse dins sis arpo ; e, coume un lioun que lacho un agnèu menaça de lou devouri, rendeguè li Santi caisso à si legitìmi pastour. E, desempièi, dins aquèli nonanto an que nous desseparon d’aquèu tèms de malur, quau poudra dire li temouniage de vosto fidelita ». Sermoun, p.95.
32 « nostro paure soucieta, travaiado d’autri fèbre bèn plus malino qu’aquéli que pougnon li cors e que soun garido pèr vosto miraculouso founteto » Sermoun, p.143.
33 « La Revolucioun de quatre-vint-nou, qu’a tout treboula ». Sermoun, p.197.
34 « an clina la tèsto ensèn souto lou meme bastoun pastourau ». Sermoun, p.197.
35 « Ei pèr aco que sian vengu dins l’estiganço de proutesta contro asquelo abouminacioun de la desoulacioun, de crida, d’un cris que mounto jusqu’is estello, que Roumo ei pèr la voulounta de Diéu, la counsecracioun di siècle e lou counsentamen di pople, la prouprieta dóu Papo, e qu’esperan bèn que nòsti proutestacioun, nòstis aclamacioun, e subre-tout nòsti preièro, i’encourounaran mai la tèsto de soun diadèmo de Rèi. L’an di e lou disèn plus aut que res : Roumo eis intangiblo ! Malur dounc à la man que toco à sa courouno ! La courouno de Roumo toumbo jamai souleto ! » Sermoun, p.229.
36 Léon XIII continue comme son prédécesseur Pie IX à se considérer comme un souverain temporel, et un prisonnier confiné dans l’enceinte du vatican. Rappelons que l’année du sermon (1891) est également celle de l’encyclique Rerum novarum. Georges Weil, dans L’histoire de l’idée laïque en France au XIX° siècle (Paris, 2004, p.331) fait allusion à un incident
qui compromit l’apaisement des rapports entre l’église et la République, et qui ressemble beaucoup à ce qu’aurait pu provoquer le sermon du chanoine. « L’apaisement fut aussi compromis par les incidents qu’amène chaque jour la
vie politique. En 1891, par exemple, une manifestation de quelques pèlerins français en faveur du pouvoir temporel du pape suscita en Italie un mouvement de colère. La lettre du ministre des cultes aux évêques sur ce sujet, la virulente réponse qui lui fut adressée par Gouthe-Soulard, l’archevêque d’Aix, et le procès intenté à celui-ci défrayèrent assez longtemps les polémiques ».
37 « L’istori à la man, que lou Crist eis esta lou soulet Liberatour de l’oubrié». Sermoun, p.230.
38 « Doulour patrioutico », Sermoun, p.242.
39 « De nanet qu’an renega tout aqueu magnifique passa de glori per l’embecile plesi de ié trapeja dessus. An crida, sus li téulisso, que celebravon la libracioun d’uno longo tiranio, de la tiranio pontificalo ; e, pèr que rès s’enganesse sus sis entencioun, an simbouleja soun abouminable messorgo dins un monumen qu’es uno pourquarié, e qu’es en trin de deveni la moucarié dou mounde ». Sermoun, p.245.
40 « Venèn estrassa, dins Roumo meme, aquelo pajo de nosto istori », Sermoun, p.245.
41 Sian Francés dins l’amo ! Mai, se sian Francés, sian tambèn pountificau (…) e s’à-n-Avignoun, cridan : Vivo la Franço, qu’es nosto maire ! cridan tambèn dou founs dou cor : Vivo lou Papo, qu’es nosto paire ! ». Sermoun, p.244.
42 « Un tèms venguè, tèms de malur e de maladicioun, ounte la destrau impio couchè pèr lou sou touti aqueli signe subre-sant de noste salut e n’en restè quasimen gis de dre sus touto l’estendudo dau terraire naciounau. De noste tèms, avèn tambèn couneigu lou brut d’uno crous que toumbo. Avèn vist la crous derrabado de l’encilamen dou Panteoun e dins l’amo de touto la Franço, a passa uno inmènso e doulourouso fernisoun ». Sermoun, p.274.
(Le Panthéon a été transformé définitivement en temple républicain en 1885, sept ans avant le sermon).
43 « i’a de que nous douna l’envejo d’èstre paure ». Sermoun, p.311.
44 « Au-jour-d’uèi, aubouro de barricado, descalado li carriero e aquèiro à grand cop de caiau li generau de is armado. Fau de chaple espetaclous pèr n’en agué rasoun ». Sermoun, p.314.
45 « En pourgissènt d’uno man lou pan que nourris lou cors, de l’autro, mostro lou Cièr qu’espero l’amo (…). La Carita prècho au paure la resignacioun e l’esperanço, en ié fasènt vèire, saluda e baisa la crous de Jèsu-Crist ». Sermoun,
46 « Quau douno au Paure, presto à Diéu ». Sermoun, p.328.
47 « Qu bèu calcul que lou calcul de la carita ! Plaçan pas noste argènt au tres pèr cènt, coume sus l’Estat ; au quatre, coume sus lou camin de ferre ; au cinq pèr cènt, coume pèr li particulié ; au siès pèr cènt coume dins lou coumerço. Plaçan au cènt pèr cènt. Au-jour-d’uèi ana gounfla voste cofre-fort am’aquèu plaçamen evangeli ». Sermoun, p.328.
48 Le dernier sermon du livre, qui porte sur Jeanne d’Arc, a été prononcé en 1896. Il est vraisemblablement placé en fin d’ouvrage pour la cohérence du recueil.