Elie Saint Sorny

Lorsqu'on allait se faire coiffer chez Élie Saint-Sorny, rue Auguste Bédoin, tout en arrangeant vos cheveux, il se montrait intarissable sur ses origines drômoises et sur la vie de notre cité.

« Mes parents, » expliquait-il, « Élie et Camille Saint-Sorny, étaient natifs de Mirmande. Ce village était autrefois une paroisse fortifiée. »

 Élie était allé travailler au Teil au PLM (Paris Lyon Méditerranée) dans les chemins de fer. Ce fut dans cette cité, le 16 novembre 1881, que naquit Élie, son fils. À la suite d'une mutation du père, la famille vint à Sorgues, quartier de la gare. Leur fils, à l'âge d'apprendre un métier, choisit la coiffure et devint apprenti à Avignon. À l'âge adulte, il fut appelé sous les drapeaux et fut incorporé dans un régiment destiné à l'ancienne Indochine. Entre-temps, il avait fait connaissance de Jeanne Vaute, ils se fiancèrent, première route vers le mariage. À son retour, en 1906, il épousa Jeanne. De cette union naquirent sept enfants : Elise en 1907, qui ne survécut pas, Paule en 1913, Eva en 1915, l'unique garçon, en 1917, Émile, futur « Figaro sorguais », Marie en 1920 et enfin les jumelles Alice et Raymonde dernières nées en 1927. Raymonde, 90 ans, est la seule survivante de la fratrie et son témoignage est précieux dans l'article sur son père.

En 1906, il prit à bail un local situé à l'angle de la rue Ducrès et de la place de la République ( à l'heure actuelle onglerie). L'eau de la ville n'était pas encore installée. Tous les soirs, après une journée bien remplie, c'était à la fontaine qu'il allait pour approvisionner à grand renfort de seaux le réservoir installé à l'étage. Cette citerne alimentait le magasin afin d'assurer les soins d'hygiène de la clientèle tels que le rafraîchissement des visages après le passage du coupe-chou, les capiluves (1), barbes etc. Un mélange de différentes essences envahissait le salon de parfums et des cosmétiques couramment employés : la brillantine, la gomina, l'eau de Cologne, etc.

Quelques années plus tard, son beau-père, Marius Vaute, acheta un terrain au bord de la Sorgue qu'il fit chausser et rehausser en prévision des inondations. Sur cet emplacement, rue Auguste Bédoin, il fit construire de plain-pied une maison d'habitation et un local destiné à un nouveau salon de coiffure pour hommes.

La famille était nombreuse. Pour subvenir à ses besoins, il fallait avoir du coeur à l'ouvrage. Elie en eut toujours. Il travaillait tous les jours de la semaine, dimanche matin compris, avec pour seule distraction une partie de billard, l'après-midi, au café du « Commerce ». Le lundi, la boutique était fermée, il consacrait le matin aux visites à domicile des clients incapables de se déplacer ; l'après-midi était affecté aux achats de fournitures à Avignon.

La clientèle, pour une grande partie, avait pour habitude de se faire raser avant d'aller travailler, pour certains quotidiennement. Dès six heures du matin, le salon prenait vie. Aussi, c'était quatre cents barbes par semaine en moyenne. Le dimanche, les habitués exigeaient un rasage méticuleux pour aller à la messe ou au café.

Il employa deux lavandières, « bugadiero» en provençal. La première, Julia Germain s'occupait de l'entretien du linge du salon et de la maison. À l'occasion, elle cuisinait pour les fêtes et des banquets. La seconde, Thérèse Finet prit la relève pour quelques années. Toutes deux battaient le linge au domicile. Le salon a vu passer quelques apprentis coiffeurs, notamment Jacques Biarnès, Claudius Pillet, Avon, Blachier et Émile, bien sûr, qui fit ses débuts dans le métier.

Le 11 mars 1941, Elie céda son fonds à son fils Emile, rue Neuve, c'était le nom ancien de la rue Auguste Bédoin. (2) Lors de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque Émile fut réquisitionné pour assurer la surveillance des voies ferrées, ses soeurs, pour aider leur père, se commuèrent en apprenties barbières, elles savonnaient à l'aide d'un blaireau le visage des clients.

Certains jours, Élie nostalgique se remémorait les conversations délicieuses qui animaient le salon : « Les cheveux et barbes pouvaient être rasés, il était bien connu qu'ils n'étaient pas aussi bien taillés qu'une langue ! Et les murs de l'échoppe en ont entendu des bavardages. Ils roulaient fréquemment sur les personnages burlesques de l'époque. Leur bouffonnerie les rendait populaires, que ce soit Sisson, Peppino, Couiourso et tant d'autres. »

Émile, entraîné par l'ambiance joyeuse, s'essayait à entonner des airs d'opéra, c'était bien souvent « Figaro ».

Élie travailla jusqu'à ses dernières forces. Il s'éteignit à l'âge de 84 ans, en 1965, en ayant abandonné brosses et ciseaux peu de temps avant, Émile l'avait déjà remplacé, en mettant ses pas dans les siens jusqu'à l'âge de 72 ans, en ayant conscience que lui aussi était une figure sympathique qui faisait passer aux Sorguais de bien joyeux moments.



Article de Mme Agnès Pina

Extrait de la 29ème édition des Etudes Sorguaises "Des notables aux commerçants..." 2018

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(1) Capiluve : c'est un terme médical employé pour désigner les bains de la tête, utilisés lorsque les malades sont alités.

(2) Archives départementales de Vaucluse, Elle était inscrit au registre du commerce sous le numéro 4136.