Le passage de la chaîne à Sorgues
La chaîne, organisée par l’institution pénitentiaire, assurait le transfert des condamnés aux fers vers les bagnes portuaires. Elle naissait dans la cour de la prison Parisienne de Bicêtre, immuable point de départ.
Ferrés par le cou, les bagnards, liés par deux, étaient attachés à une longue chaîne regroupant 26 à 30 forçats qui se dirigeaient par étapes vers Brest, Rochefort, Lorient, Toulon. D’après les mémoires de Benjamin Appert (1846), alors qu’il logeait dans une auberge, une forte rumeur l’attira vers la fenêtre de sa chambre :« Je vis arriver plusieurs centaines d’hommes enchaînés deux par deux par escouades de 26 personnes liés par de gros colliers de fer.J’appris que ces hommes, plus mal traités que des bêtes féroces, étaient des criminels allant au bagne. »Le long de son parcours, la chaîne absorbait dans chaque ville de nouveaux condamnés.En fin de voyage, elle rassemblait parfois plus de 500 forçats.
1815 - 1816
Les premières années de la restauration connurent un accroissement des condamnations aux fers où étaient mélangés les condamnés politiques et de droit commun.
Sorgues le passage de la chaîne en 1815 (A.D. Vaucluse 2 I 11)
Par un courrier daté de 08 décembre 1815, le ministre de l’intérieur informa monsieur le maire de Sorgues qu’une chaîne partirait de Bicêtre prés de Paris, en direction de Toulon, composée de 340 bagnards, et qu’elle passerait par la commune de Sorgues le 23 janvier 1816.L’arrivée au bagne de Toulon, était prévue pour le 03 février.L’irruption de la chaîne des bagnards dans le quotidien de la ville de Sorgues provoqua l’émotion et la crainte des honnêtes gens.Le maire* prit immédiatement des dispositions afin d’assurer l’ordre et la tranquillité du pays :Il ordonna aux deux gardes champêtres d’augmenter les rondes en campagne, y compris la nuit. La gendarmerie fut mise a contribution lors du passage des forçats. Informé de la crainte exprimée par le maire qui relayait celle des habitants du lieu, Monsieur le ministre de l’intérieur, par la voie préfectorale se chargea de rassurer les Sorguais : « La chaîne est un moyen de transport des bagnards efficace et sûr, affirmait-il. Le service des chaînes … est si bien ordonné … afin que les condamnés ne puissent se soustraire a la vigilance de leurs gardiens. » (A.D. Vaucluse 2 I 11)
* en août 1815 Bédoin Joseph
Effectivement, tous les historiens confirment le faible taux d’évasions.
Lors d’une étude sur le bagne de Brest, pour une période de 50 ans au cours de laquelle furent transportés 26474 bagnards, il a été répertorié 48 évasions, soit 0,18%.(Source la chaîne des forçats – Sylvain Rappaport)
Des conditions météorologiques très dures
Partie le 24 décembre 1815, arrivée à Toulon le 03 février 1816, c’est la chaîne la plus dure de l’année par rapport aux conditions climatiques difficiles endurées par les bagnards au cours de plus d’un mois d’étapes longues et parfois de nuit, afin de compenser les jours plus courts en période d’hiver.Les conditions météorologiques ont miné les forces des galériens qui traversent Sorgues le 23 janvier. À celles-ci se sont rajoutées les violences et les privations exercées par la chiourme des gardiens. L’accumulation de ces contraintes est la cause essentielle des maladies. Sur les 325 bagnards qui traversent Sorgues, 33 arrivent à Toulon atteints de maladies graves. Le responsable du bagne qui les réceptionne estime que ces hommes sont dans un état satisfaisant :« … plus satisfaisant, dit il, que la mauvaise saison ne pouvait le faire espérer ». (A.D. Vaucluse 2 I 11)
Le trajet emprunté par la chaîne à destination de Toulon est modifié
A compter de 1825, le trajet de Paris à Lyon est toujours effectué par la route, par étapes de 20 à 30 km, parfois la nuit en période hivernale. À partir de Lyon, les forçats, embarqués sur des « PENELLES* », descendent le Rhône jusqu’à Avignon.Ils reprennent ensuite la marche à pied vers le bagne de Toulon. Le convoi ne peut partir sans être accompagné d’un commissaire chargé de veiller, pour l’administration, au parfait respect des clauses fixées pour le voyage.Les derniers jours d’avril 1825, le commissaire de la chaîne, Jean Batiste André Noizeux, se présente au maire de Sorgues pour l’informer de l’impossibilité de la navigation sur le Rhône pour les barques transportant les forçats (Archives nationales 16.487) Le mauvais temps et la crue importante du fleuve s’y opposant, le convoi s’arrêtera aux confins de la commune de Sorgues, probablement au lieu – dit de la Traille.Le commissaire Noizeux se présente à la mairie pour dresser, en présence de M. le maire, un constat de début et de fin du séjour des forçats stationnés sur le territoire de Sorgues. Les archives sont assez discrètes sur le passage de la chaîne en Vaucluse.Seuls, ces deux témoignages concernant la ville de Sorgues ont pu être retrouvés dans un dossier classé POLICE – POLITIQUE 1807 – 1889. (A.D. Vaucluse 2 I 11)
* penelles : grandes barques
Les Sorguais condamnés à la chiourme de Toulon
Nombreux étaient les chemins qui pouvaient conduire à la condamnation aux fers qui sanctionnait un large éventail de crimes.La grande rigidité du code pénal en 1791, renforcée en 1810, conduisit vers le bagne beaucoup de petits voleurs cherchant tout simplement de quoi se nourrir et se vêtir.Nous savons, grâce aux archives pénitentiaires, qu’un vol d’une miche de pain valait le bagne.
Trois exemples à Sorgues
I - pour une tentative de vol dans une maison habitée, Antoine Girard, né à Sorgues en 1804, est condamné à l’âge de 19 ans à 5 années de fers par la cour d’assise de Carpentras et conduit à la chiourme de Toulon sous le n° 18948.Il sera détaché de la chaîne le 2 juin 1828.
II - pour le vol d’une botte de foin dans un pré, Jean Batiste Turcay, cultivateur à Sorgues, est condamné le 07 juin 1827 à un an de fers à Toulon.
III - le forçat Louis Neveu, libéré du bagne en 1827 est autorisé à résider à Sorgues sous la surveillance de la haute police et ceci jusqu'à la fin de sa vie. Il faut imaginer le silence de la campagne Vauclusienne, la vie quotidienne des Sorguais, perturbée par le passage des forçats reliés par des colliers de fer marquant le châtiment et la honte des bagnards qui cheminent vers Toulon. Le chemin de croix des forçats ranime la peur des citoyens et donne lieu parfois à des manifestations de joie populaire célébrant ainsi la victoire de la justice sur le crime. La dureté de la chaîne suscite peu à peu l’émotion et l’indignation. Pour l’administration l’abandon de cette pratique est justifié par la morale publique et l’humanité. En octobre 1836, Gasparin* ministre de l’intérieur propose un projet de réforme : « La morale, dit il, impose la suppression de l’appareil des chaînes. »Le 09 décembre de la même année, une ordonnance royale rend cette décision exécutoire :« Le transport vers les bagnes portuaires se fera désormais à l’abri des regards humiliants, en voitures fermées. »
* Gasparin : (Pierre, comte de) 1783 – 1862, Né et mort à Orange (Vaucluse), sous – secrétaire d’état à l’intérieur en 1835 - ministre de l’intérieur en 1836 - 1837
Alain Sicard, Le 20 octobre 2006