Brièvement tenté par l’enseignement secondaire et la préparation à l’agrégation de sciences naturelles, il préfère s’orienter vers la recherche et débute en 1925 au laboratoire de physiologie pathologique de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes dirigé par le docteur William Mestrezat, situé dans l’ancien laboratoire de Claude Bernard au Collège de France. Puis il traverse la célèbre rue Saint Jacques, ancien cardo maximus de Lutèce, et se rend au laboratoire de botanique de la Sorbonne, dirigé par le professeur Pierre Dangeard (1862-1947), cytologiste spécialiste de la reproduction des cham-pignons. Il est impressionné par ce maître au caractère fortement trempé et à l’adresse expérimentale remarquable.
Connaissant depuis l'enfance Jean Roche dont le père, le docteur Gaston Roche, est ami d’Alphonse, Pierre Gavaudan se lie d’amitié avec lui. Né à Sorgues en 1901, Jean Roche devient biochimiste, professeur au Collège de France puis Recteur de l’académie de Paris ; il présentera les notes de Gavaudan à l’Académie des sciences. Ses recherches portent sur les hormones thyroïdiennes, l’évolution moléculaire des pigments respiratoires chez les animaux, et les hémoglobines. Intéressé par l’histoire et la philosophie des sciences, Gavaudan suit les activités du Centre international de Synthèse qui vient tout juste d’être créé par le philosophe Henri Berr. Ce Centre a pour vocation d’animer des réflexions situées au carrefour entre la philosophie, l’histoire des sciences et l’histoire générale, en encourageant les recherches et les échanges entre les disciplines.
Très attiré par l’art, Gavaudan suit des cours de dessin et peinture à l’Ecole nationale supérieure des Beaux Arts. Il acquiert une formation théorique et pratique en arts plastiques qui lui sera utile toute sa vie. Il fait sa première publication scientifique en 1927. Très tôt dans sa carrière il a choisi selon lui « Entre le royaume transcendant des idées, de la connaissance, de la création et les ténèbres ». Gavaudan prend conscience de l’universalité de la recherche, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, et de l’importance de soumettre sa réflexion à la rigueur scientifique. En 1927, il est d’abord boursier de la Fondation Arconati-Visconti et soutient sa thèse de doctorat ès sciences préparée au laboratoire de botanique le 17 juin 1930 : « Recherches sur la cellule des hépatiques ».1
Lors de vacances familiales à Sorgues, il rencontre Noëlie Bouissou2, qui irradie la beauté, la connaissance et la gentillesse. C’est une jeune femme calme et posée, étudiante en pharmacie mais déjà licenciée en droit, qui aime aussi la poésie et la musique ; son père, Edouard Bouissou, possède une officine3 à Sorgues. Noëlie deviendra « sa colonne vertébrale affective ». Ils se retrouvent chaque année dans l’intimité de leur famille, se marient le 30 avril 1932 à la mairie du XXème et habitent à Paris, au 51 boulevard de Charonne.
Leur vie culturelle est très intense, mêlant la musique – avec les concerts au théâtre des Champs Elysées –, les beaux arts au Louvre et le théâtre à l’Odéon… Il existe encore à Paris une bourgeoisie riche et bien assise, une société fort cultivée qui donne le ton à la vie culturelle. Le Paris de Gavaudan, ville encyclopédique par excellence, est à la fois celui de la rive droite et celui du quartier latin, dans une union complexe, témoin du rayonnement de la capitale du début du XXème siècle. A cette époque, la magie de l’Opéra, la vie des Grands Boulevards, l’animation des grands cafés rythmée par les sorties de spectacles, les salons feutrés des artistes et écrivains, fascinent la jeune génération. Il y a encore des salons où se font bon nombre de carrières et de réputations ; la musique, la littérature, les arts et la science sont les grandes préoccupations de ces milieux, et Paris est encore la capitale européenne de la culture, ce qu’elle n’est malheureusement plus aujourd’hui. Rappelons que le Palais de la Découverte est créé en 1937.
C’est en 1932 que Gavaudan fait sa première traduction, il s’agit de l’ouvrage de Albert Charles Seward : Les plantes. Ce qu’elles font, ce qu’elles sont.4
En 1933, Gavaudan et son épouse suivent l’enseignement supérieur de microbiologie de l’Institut Pasteur, ce qui leur donne l’occasion d’entrer en relation avec les grands maîtres de cette discipline, comme Jules Bordet, Albert Calmette, Constantin Levaditi, Charles Nicolle, Gaston Ramon. Ces enseignants aînés avaient été des disciples de Pasteur et assurent ainsi la continuité ; dans leurs cours, ils rappellent les batailles qu’ils ont dû livrer pour faire triompher la vérité scientifique. C’est aussi l’année où Gavaudan est inscrit sur la liste d’aptitude à l’Enseignement supérieur par le Comité consultatif des universités.
Noëlie est enceinte d’un enfant de sexe masculin, mais malheureusement sa grossesse doit être interrompue pour de graves raisons de santé ; les conséquences de cet évènement ne permettront pas à Pierre et Noëlie d'avoir une descendance.
En 1935, Gavaudan obtient une bourse de la Caisse Nationale des Sciences, créée cette année-là. En France à cette époque, le chercheur n’a pas encore de statut officiel et, à l’Université, seuls les enseignants font de la recherche.
L’importance et la rigueur des recherches biologiques de Gavaudan attirent l’attention du directeur de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, Clément Bressou (1887-1979), qui lui propose un laboratoire et l’accueille très rapidement avec son épouse. En 1936, Gavaudan s’installe alors au laboratoire de génétique de l’Ecole, dirigé par le professeur Simonnet, en raison de la nouvelle orientation de ses recherches qui le font passer de la cytologie descriptive à la cytophysiologie. Clément Bressou est un anatomiste réputé, spécialiste du cheval, et très ouvert non seulement sur la médecine vétérinaire mais aussi sur la biologie générale ; il présente ses notes à l’Académie des sciences. Gavaudan apprécie particulièrement cette Grande Ecole qui effectue des recherches de qualité ; durant toute sa vie, il gardera un bon souvenir de ses relations avec les vétérinaires, notamment lorsqu’il fera appel à eux pour son élevage félin.
C'est alors qu'il décide d’entreprendre des études de pharmacie ; ces études influencent sa carrière de chercheur en l’inclinant vers la physiologie générale et la pharmacodynamie. Noëlie est son assistante dévouée, dotée d'une très grande habileté manuelle, et ils publient ensemble. En 1936, il participe également, avec le physicien Pierre Grivet et le géologue Marcel Roubault, à la création du groupement « Jeune science » – dont Frédéric Joliot-Curie est le président honoraire – pour l’organisation et la défense de la recherche scientifique française. Il apprécie particulièrement Frédéric Joliot-Curie avec lequel il aime discuter de l’avenir de la recherche et des rapports entre science et société. Lors de la manifestation de mai 1936 des partisans du Front populaire contre la droite et l’extrême droite, Pierre et Noëlie sont emmenés par la police au commissariat où ils passent la nuit jusqu’à ce que le docteur Gavaudan viennent les rechercher. Bien qu’intéressé par les idées politiques, Gavaudan n’a aucun désir de s’enrôler dans quelque parti que ce soit, sans doute pour conserver toute sa liberté.
Gavaudan se situe hors des sentiers battus et s'inspire des « Nouveaux sentiers de la Science » chers à Arthur Eddington et qu’il a lus dès leur publication en 1936. Il y écrit : « Se rendre compte de l’insignifiance de notre origine devant la majesté de l’univers est peut-être salutaire, mais cela fait naître en nous une pensée alarmante »5. Son tempérament reflète les angoisses et les rébellions d’une génération qui sent venir la catastrophe de 1939, mais qui sera quelques années plus tard remplie de compassion pour ses ennemis.
En 1939, Gavaudan est chargé de recherche au CNRS, dès sa création ; il y restera attaché jusqu’en 1942. Le gouvernement du Front populaire crée pour la première fois en France un sous-secrétariat d’Etat à la Recherche, qui est d'abord attribué à Irène Joliot-Curie, puis à Jean Perrin. Ainsi renaît en France le concept de politique scientifique. C’est aussi en 1939 que Gavaudan s’inscrit à la Faculté de médecine ; mais malheureusement, à cause de la guerre, ses études sont interrompues et ne reprendront jamais.
Daniel Girard
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1 Pierre Gavaudan : Recherches sur les hépatiques, Jouve, 1930.
2 Née le 24 décembre 1903.
3 67 cours de la République.
4 Albert Charles Seward : Les plantes, ce qu'elles sont et ce qu'elles font, traduction Pierre Gavaudan, Hermann, 1932.
5 Arthur Eddington : Nouveaux sentiers de la Science, Hermann, 1936.