Les Sorguais se sont toujours montrés admirateurs d'horloges publiques. Que l'on juge : en 1598, Javin construisit une horloge, le traité de construction portait qu'elle sonnerait au moyen d'un marteau frappant sur la grosse cloche de l'église, avec un jaquemart de « fine figure » et que les heures seraient marquées sur un cadran. La commune devait fournir toutes les matières premières, et le tout, confectionné solidement, devait être payé 45 écus (1).

 

En 1670, Pierre Camelin (1638-1670) la répara ; puis, en 1676, ce fut au tour de Louis Clauseau, horloger d'Avignon, de la remettre en état. En 1707, Claude Romain, fabricant à Carpentras, fut appelé pour restaurer le « garde-temps ». Ensuite, ce fut un réparateur de Séguret, nommé Brachet, qui officia en1760. Mouchotte, établi à Avignon depuis 1742, fit en 1753 un devis pour l'horloge publique, il intervint en 1762 mais, ayant adhéré à la Franc-maçonnerie en 1778, cela lui valut la suppression des commandes de l'église et le retrait de l'entretien des horloges municipales. (2)

L'horloge correspondait à une nécessité importante : l'acheminement à l'heure exacte du transport des dépêches, journaux, etc.

UNE HEURE POUR TOUS

En 1839, chaque agglomération avait son heure particulière, les horloges étaient réglées d'après le lieu où elles se trouvaient. Ce défaut d'uniformité avait pour conséquence des différences de quinze, vingt et même de trente minutes entre les horloges publiques distantes seulement de quelques lieues. Les méthodes employées variaient d'une ville à l'autre, certaines se basaient sur un système, d'autres sur la coutume locale.

L'intérêt de la distribution des lettres et plis « reposait essentiellement sur l'exacte coïncidence de l'arrivée et du départ des courriers. (3) Tous avaient, pour accomplir leur course un temps déterminé d'après la longueur et la difficulté du parcours et aussi d'après le mode d'exploitation des services. Ils devaient partir et arriver à heures fixes. Si l'horloge du bureau expéditeur, réglée d'après l'horloge communale, était en retard de trente minutes sur celle de la commune du point d'arrivée, il en résultait nécessairement, alors même que le courrier n'avait employé pour faire sa course que le temps qui lui était accordé, qu'il était en retard d'une demi-heure à son arrivée et que le courrier avec lequel il devait correspondre pour l'expédition des dépêches était parti quand il arrivait. Le même inconvénient se présentait quand l'horloge du bureau d'arrivée était en avance sur celle du bureau expéditeur (4) »

LES NÉGOCIATIONS QUI PRÉPARAIENT UN ACCORD POUR LE REMPLACEMENT DE L'ANCIENNE HORLOGE

En 1841, l'horloge du fronton de l'église montrait des signes de vieillissement. Monsieur Bézet prévint son neveu, Branson, serrurier de son état à Entraigues, afin qu'il fasse des propositions de remplacement de l'ancienne. C'était un artisan expérimenté : en 1835 et 1836, il avait travaillé dans différents ateliers à Genève et à Berne ; de plus, contrairement à la majorité des Français, c'était un homme qui écrivait avec soin, en formant bien les caractères. Il proposait :« ...Une horloge qu'il confectionnerait dans le genre dit à chevilles avec engrenage en cuivre [...] pignons en acier [...] au prix de 700 francs, rendue sur place avec 8 années de garantie... ». Cette offre de bonne exécution du travail, pour une période aussi étendue, était égale à celle qu'il avait offerte à la commune d'Entraigues. (5) La concurrence exercée par un artisan avignonnais n'était pas étrangère à ses propositions. Ce rival assurait auprès du maire « qu'un serrurier ne possédait pas les capacités désirables pour faire une horloge semblable à celle qu'il offrait au prix de 8 à 900 francs ». Or il était simplement revendeur et il assurait une garantie de bon fonctionnement de cinq années. Le 28 février 1842, Branson revint à la charge, il manifestait toujours avec insistance sa volonté de construire l'horloge publique. Il ajoutait qu'il était du pays et, pour cela, il ne demandait plus que cinq cents francs pour le prix de son travail. Les obligations incombant au fabricant d'assurer la bonne exécution et le bon fonctionnement d'entretien subsistaient.

Cette réalisation venait à point nommé, l'administration des postes exigeait des municipalités de régler d'une manière uniforme toutes les horloges communales. Pour pallier ces inconvénients, le ministre de l'Intérieur préconisait de régler les horloges communales d'après le temps moyen et non le temps vrai, c'est-à-dire celui répondant à l'heure solaire. Il indiquait comment opérer dans toutes les communes traversées par les courriers pour se procurer facilement et d'une manière certaine l'indication du temps moyen. Il suffisait d'acheter, chaque année, l'annuaire publié par le bureau des longitudes (6) qui contenait, pour chaque jour, l'heure qu'une horloge réglée sur le temps moyen devait marquer à l'instant où le cadran solaire marquait midi.

En conséquence, le préfet invitait le maire à se procurer « L'annuaire », afin que la personne chargée de régler l'horloge ait soin chaque jour, du moins plusieurs fois par semaine de rapprocher les indications du cadran solaire de celles de « L'annuaire ». De plus, le préfet suggérait d'avoir recours à l'agent voyer (7) de l'arrondissement ; à peu de frais, il s'occuperait d'établir un cadran solaire avec un régulateur.

LES TRAVAUX PRÉLIMINAIRES AU REMPLACEMENT DE L'HORLOGE

Le 10 octobre 1841, un devis était établi, il fixait les préalables à réaliser moyennant le prix de 750 francs; savoir : la construction d'une charpente de fer pour soutenir et renfermer la cloche, la formation du cadran sur le fronton de l'église, une rainure dans les murs pour renfermer les poids, l'encaissement et le nettoyage du mécanisme, et la construction d'un passage en planches sur les arbalestiers (8) du couvert pour accéder à l'horloge.

L'INSTALLATION DE L'HORLOGE ET SON ENTRETIEN

En 1842, Pierre Branson installa l'horloge. Elle aura été soumise à l'épreuve (9) de deux années avant d'être reconnue comme ayant toutes les qualités requises. L'horloger ne fut payé que le vingt-trois juillet mil huit cent quarante-quatre. La commune lui laissait la possibilité de reprendre la vieille horloge, les frais de démontage et de transport restant à sa charge (10). Pierre Branson était un artisan consciencieux, qui honorait la fidélité au travail bien fait. Le 10 février 1852, il écrivit à Joseph Floret, maire de Sorgues : « Il y a dix ans environ, je plaçai l'horloge publique avec garantie de 8 ans. Depuis cette époque et quoique ma responsabilité soit expirée, je n'ai cessé de la visiter de temps en temps... »

Comme il l'accomplissait de temps en temps, il alla examiner l' horloge au jour précité. Il s'aperçut qu'elle n'était jamais nettoyée, les pièces mécaniques manquaient de propreté. Il est vrai que son emplacement était exposé au vent et à la poussière. À l'époque de sa mise en place, D'Albignac, maire, avait promis de l'enchâsser dans une caisse vitrée pour la préserver des intempéries. La promesse n'avait pas été tenue.

En 1875, Branson avait recommencé à employer une partie de son temps à l'entretien régulier de l'horloge, moyennant la somme annuelle de 50 francs. Cependant, il déplorait de voir son travail sous-payé. Au mois de décembre 1874, il reçut une indemnité de 26 francs alors que ses déboursés s'élevaient à 38 francs. Le déficit de la somme de 12 francs était pour lui un véritable sacrifice financier. Il voulait voir son salaire porté à cent francs par an à compter du premier juillet de la même année, à la charge pour lui de faire les réparations que le service rendrait nécessaires et de fournir les cordes lorsque le besoin s'en ferait sentir. Cette horloge l'obligeait à un entretien journalier. Au cours de l'hiver 1876, la neige tomba à plusieurs reprises ; sous l'action du vent, elle s'amoncelait contre l'horloge dont l'accès était dangereux. Branson le décrivait «comme critique », il réclamait «la construction d'un mur en briques minces ou de planches et de fermer aussi les ouvertures qui existent au fronton de l'église » afin de protéger le mécanisme. Les intempéries l'ayant contraint à l'inaction pendant deux mois (11), il en profita pour construire une horloge monumentale destinée aux frontons nord et sud de l'hôtel de ville. Il offrait au maire les mêmes conditions tarifaires que celles de 1842.

L'HORLOGE AUX FRONTONS DE L'HÔTEL DE VILLE

Sorgues, à partir de la construction du chemin de fer, tendait à se développer côté Sud du bourg, des constructions nouvelles apparaissaient quartier de la Peyrarde. L'installation d'une horloge publique aux façades Nord et Sud du nouvel hôtel de ville devenait nécessaire, les habitants la réclamaient depuis de nombreuses années parce qu'ils étaient trop éloignés de l'église pour entendre les heures. (12)

Le 2 novembre 1882, Branson informa le maire de l'achèvement de la construction « de la grosse horloge ». Il ajoutait : « [...] Je ne vous ferai pas la description des pièces de cette horloge, vous et d'autres pouvez la visiter, je n'ai rien épargné pour la construire en rapport avec l'édifice et l'emplacement qu'elle doit occuper, elle est d'une solidité satisfaisante pour assurer une longue et régulière marche et de vous la garantir pendant longtemps... » (13)

Il expliquait que l'horloge sonnerait la demi-heure, les heures seraient répétées, elle serait remontée une ou deux fois pas semaine, suivant la hauteur que l'on aurait pour la chute des poids. Il conseillait de la monter à nouveau deux fois par semaine ; c'était une manière préférable car elle serait mieux entretenue par la personne chargée de ce soin.

Branson s'obligeait à livrer et à l'installer convenablement moyennant le prix de douze cents francs, ce qui fut accepté par délibération du conseil municipal du 12 novembre 1882. Dans ce prix n'étaient pas comptés la cloche, le campanile et les travaux de menuiserie et de maçonnerie. Il accepta d'être payé par annuités de 150 francs par an, pendant huit ans, avec un intérêt au taux de 5% sur le capital restant dû.

Le 7 juillet 1883, Branson adressa une note de frais pour la fourniture d'une « charpente beffroi » en fer forgé d'un poids total de 491 kg, moyennant le prix de 442 francs.

La cloche fut coulée par l'entreprise Burdin aîné à Lyon spécialisée dans ce genre de travail. Le 28 janvier 1954, le conseil municipal décida de changer l'horloge mécanique, (l'une des plus anciennes du département) par une horloge électrique, tout en laissant le campanile en place. Ce fut monsieur Laynaud, horloger à Avignon, qui se chargea du remplacement. 

À présent, vieux de cent vingt-six ans, le petit clocher qui ornait la face sud de la mairie a été démonté. Seuls, quatre piquets corniers se dressent vers le ciel, il serait temps de le reconstituer.


Raymond CHABERT

Extrait de la 21ème édition des Etudes Sorguaises "De tout un peu des temps passés" 2010

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1- Les horloges publiques à Avignon et dans le départemet de Vaucluse, imprimerie de Fr. Seguin aîné, année 1877, page 79.

2- Tous ces renseignements préalables sont dus à l'érudition de Mme et M.Baierlein, atelier d'horlogerie ancienne-musée, moulin de Valobre à Entraigues sur la Sorgue.

3- De l'Italien correre- courir. Anciennement celui qui précédait les voitures de poste pour préparer les relais, le préposé qui portait les lettres en malle-poste, porteur de dépêches. À présent, le sens de courrier est l' ensemble des écrits adressés à quelqu'un : lettres, cartes, imprimés, etc., envoyés ou à envoyer.

4- Archives départementales de Vaucluse, lettre du Préfet de Vaucluse du 14 mars 1839.

5- Archives départementales de Vaucluse, lettre du 25 janvier 1841.

6- La création du Bureau des longitudes par la Convention thermidorienne le 7 messidor an III (25 juin 1795) intervint en plein coeur d'une période de bouillonnement culturel et de reconstruction institutionnelle prenant pour cadre le Paris savant. Tandis que l'Académie des sciences n'avait pas encore connu sa première résurrection au sein de l'Institut national, l'astronomie française se voyait dotée d'une entité propre, ayant tutelle directe sur les observatoires de Paris et de l'Ecole militaire, et responsable de la publication des éphémérides officielles de la Connaissance des temps et d'un Annuaire.

7- Nom porté naguère par les ingénieurs du service vicinal (Petit Robert . dictionnaire de la langue française). 8 Arbalestier, terme de charpenterie, c'est une pièce de bois. Dictionnaire Furetière 1690.

9- Essai, expérience qu'on fait de quelque chose. Faire l'épreuve d'une machine nouvelle. Dictionnaire de l'Académie française, 1762.

10- Convention signée entre la mairie et l'horloger le 23 juillet 1844, archives départementale du Vaucluse.

11- Lettre de Pierre Branson au maire de Sorgues du 13 février 1876, archives départementales de Vaucluse.

12- Délibération du conseil municipal de Sorgues du 12 novembre 1882.

13- Lettre de Pierre Branson au maire de Sorgues du 2 novembre 1882, archives départementales de Vaucluse.