Le château de Brantes à Sorgues (nom donné par son constructeur, Pierre Del Bianco, qui avait acquis, par delà le Mont Ventoux, le marquisat du même nom en 1696) fut inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1987. En 1988, le domaine de Brantes était déclaré à son tour zone de protection du patrimoine architectural et urbain. Ce château et ce domaine font en effet partie des principaux témoins du passé de la ville de Sorgues, et méritent à ce titre que l'on retrace brièvement leur histoire, en la précédant de celle de leurs propriétaires successifs.


Un mot d'abord sur les terres actuelles. Le domaine de Brantes s'étend sur environ 15 ha, dont une dizaine de prairies. Ce sont elles qui, avec trois coupes de foin par an et plusieurs d'herve fraîche permettent au laitier M. Bertino, et à ses vaches montbéliardes, d'offrir aux habitants de Sorgues bientôt le dernier "lait à la ferme" de la commune. Quant au bois des platanes (qui n'est en général qu'un arbre d'alignement), il passe avec ses 3 ha pour être l'un des plus grands de France : planté vers 1820, il fut coupé à blanc vers 1920 et les rejets actuels, avec leur minceur et leur hauteur moyenne de 26 m, en constituent toute l'originalité.
Le château et le domaine sont aujourd'hui la propriété de la famille de Brantes. Celle-ci est attestée dès le Xllème siècle à Florence sous le nom de del Bianco, une famille qui exerçait le métier de la banque. Vers 1600, un certain Bartolomeo del Bianco fut envoyé en Avignon comme payeur des troupes pontificales du Comtat Venaissin. Mais ce fut son neveu, Olivieri, né en 1582 et baptisé dans la paroisse de San Romolo à Bivigliano, près de Florence, qui se fixa définitivement en Avignon. Il y épousa en effet, le 19 juillet 1611, Suzanne de Calvet et il francisa son nom en Olivier du Blanc, puis de Blanc. C'est aussi lui qui, par de nombreuses acquisitions foncières, établit solidement la famille dans le pays, à Pont de Sorgo (Pont-de-Sorgues) en particulier. Le couple eut 8 enfants dont Alexandre (1621-1695) qui hérita de la charge paternelle de payeur des troupes pontificales et qui devint aussi capitaine du château de Pont-de-Sorgues. Celui-ci épousa le 15 février 1651 Marie de Piellat dont il eut 13 enfants.
L'aîné, Pierre de Blanc (1653-1735), inspecteur des troupes du pape, capitaine des portes du palais apostolique d'Avignon, gouverneur de la Roque-sur-Pernes et du château d'Entrechaux, se maria en 1690 avec Anne de Meyran d'Ubaye qui lui donna 2 enfants et, après la mort de cette dernière, à nouveau avec Françoise de Cambis de Fargues en 1696, dont il eut 12 enfants (8 entrèrent en religion). Pierre de Blanc acquit en cette même année 1696, de la famille des Laurens, pour une somme de 60,000 livres (environ 600 000 francs actuels), le marquisat pontifical de Brantes (prêtant hommage au pape pour ce fief le 16 septembre 1696), ce qui faisait entrer dans la famille le nom et le titre de marquis de Brantes. C'est aussi lui qui construisit le château de Brantes au Pont-de-Sorgues, comme demeure pour la belle saison, et qui édifia l'hôtel particulier rue de la Petite Fusterie en Avignon, contrele parvis de l'église Saint-Agricol, tel que nous le voyons encore aujourd'hui. Mais les premiers achats de maisons mitoyennes qui allaient permettre la construction de cet édifice, remontaient à son grand-père Oliver en 1622. L'hôtel de Brantes devint la résidence principale de la famille jusqu'en 1825, où il fut vendu par le comte de Cessac à une famille qui en resta propriétaire jusqu'en 1960, date à laquelle il fut acheté par M. Conil, architecte, qui le restaura. Il est aujourd'hui le siège des services culturels de la ville d'Avignon, Pierre de Blanc construisit aussi la chappelle de la Sainte-Vierge, en l'église Saint-Agricol d'Avignon, où sont enterrés certains membres de la famille.
Son fils puîné, Joseph-Ignace (1706-1779), épousa Anne-Louise de Monteynard de Montfrin, qui mourut après lui avoir donné 5 enfants (tous du sexe féminin), et se remaria à Paris en 1758 avec Louise-Angélique de Caulaincourt, soeur du Marquis de Caulaincourt dont le petit fils fut l'ambassadeur et le ministre de Napoléon ler, et soeur de la comtesse d'Orsay dont le fils épousa une princesse Hohenlohe. De ce second lit naquit Marc-Louis (1759-1830), payeur comme son père et ses aïeux des troupes pontificales d'Avignon.

Marc-Louis de Blanc, marquis de Brantes, fit une carrière à la fois militaire (d'abord comme capitaine des portes du palais apostolique et comme gendarme du roi, ensuite comme capitaine dans les armées républicaines puis impériales sous le nom de Bianco-Brantes) et scientifique. Il est surtout connu pour ses expériences en montgolfières, les premières à être tentées en Provence. Il épousa à 19 ans Thérèse-Françoise de Bonnety, dont il se sépara en 1788 et qui mourut en 1835 (elle avait néanmoins sa chambre au château du temps des Cessac). Leur unique enfant qui survécut, Louise-Augustine-Sibylle (1779-1848), vécut jusqu'à l'âge de 8 ans à Sorgues, puis fut envoyée aux Pays-Bas chez sa parente la princesse de Hohenlohe, chanoinesse de Thom, où elle apprit à parler couramment l'allemand. Elle revint en France en 1807 et épousa en 1809 Jean-Gérard Lacuée, comte de Cessac.
Jean-Gérard appartenait à une très ancienne famille de la région d'Agen. Un Jean Lacueye est attesté en 1626 comme bourgeois et jurat de la ville de Penne. Jean Chrysostome de Lacuée (1680-1750) acquiert la seigneurie de Cessac, proche d'Agen, en 1732. Son deuxième fils, Jean-Gérard, né le 4 novembre 1752, est celui qui nous intéresse. Elève chez les dominicains, il se destine à la carrière militaire. Il entre en 1768 à l'Ecole de préparation de Montargis. En 1769, il est sous-lieutenant au Dauphin-Infanterie, en 1777 lieutenant en 1783 capitaine. Il est envoyé en garnison à Strasbourg et à Metz. C'est un militaire-philosophe qui, dans ses 4 à 6 mois de congés annuels, dits les quartiers d'hiver, participe aux travaux des sociétés académiques d'Agen et de Metz, effectue des recherches sur la technique militaire et publie un certain nombre d'ouvrages. Il était d'idées avancées et, en 1789, mêla le loyalisme monarchique et l'idéologie révolutionnaire, tout en combattant le terrorisme et ses excès. Ralliant donc les idées nouvelles, il fut nommé membre externe du Comité militaire composé sur ordre de la Constituante. Puis procureur-général-syndic du Lot-et-Garonne le 13 juin 1790, avant d'être élu à l'Assemblée législative le 30 août 1791. Il était très lié à Servan et Carnot et se situait politiquement au centre. Il fut chef d'état-major de l'armée des Pyrénées de 1792 à 1793. Le 21 février 1793, il est nommé maréchal de camp, soit général de brigade, et fort bien vu de Beurnonville alors ministre de la guerre.
Mais il est bientôt rayé de la liste de confiance des généraux par le Comité de Salut public en 1793. Destitué, il est poursuivi pour Fédéralisme jusqu'en 1795, et se cache dans l'Agennais. Après le 9 thermidor, mis à la retraite, il se marie à 40 ans avec la baronne de Frégose, fille d'un procureur général de Pondichéry et d'une créole, qui, deux fois veuve à 43 ans, ne lui donnt pas d'enfant. Il revient à la vie politique de 1795 à 1799, aide Carnot et est élu aux 500. Il entre alors au service de Bonaparte qui le nomme au Conseil d'Etat. Avec l'Empire, il est fait général de division et élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'Honneur. Membre de l'Institut, section littéraire, il est de 1804 à 1808 gouverneur de l'Ecole polytechnique et directeur général de la conscription et des revues. Il perd deux neveux, l'un colonel à la bataille d'Ulm en 1805, l'autre, colonel aussi, à celle d'Eylau en 1807, année où sa femme meurt également. L'empereur le nomme ministre d'Etat à vie et, le 26 avril 1808, le fait comte de Cessac, avec dotation et gros traitement. Ses armoiries nouvelles sont : "De gueules à l'autruche d'argent portant la tête à gauche et prise par un lacet d'or vers le milieu de la patte dextre, au franc quartier des comtes militaires".
Cessac épouse alors, sur les instances de l'empereur et au grand déplaisir de la tante chanoinesse, Sibylle de Brantes le 9 février 1809. En effet, l'empereur lui écrit le 27 octobre 1808: "Un homme qui travaille autant que vous a besoin d'un intérieur. Je verrai avec plaisir votre mariage avec mademoiselle Bianco de Brantes, et je désire que vous ne tardiez pas à avoir des enfants dignes de vous". Un premier fils naît dès la fin de 1809, qu'ils prénomment Napoléon. L'empereur et l'impératrice acceptent d'être le parrain et la marraine de l'enfant, qui sera baptisé dans la chapelle du palais de Fontainebleau en même temps que le fils de la reine Hortense, le futur Napoléon III. Mais le petit Napoléon s'éteint en 1811. La tante chanoinesse mentionne ainsi l'évènement dans son journal : "Je vois dans cette mort prématurée, un châtiment pour le père, une expiation pour la mère, du choix d'un parrain ennemi de notre-Seigneur Jésus-Christ, d'un persécuteur de l'Eglise". De 1810 à 1813, il est ministre de l'administration de la guerre, poste extrêmement important on s'en doute.

Il prépare la guerre d'Espagne et organise la Grande armée. Il est contre le mariage autrichien et la campagne de Russie. En 1813, il quitte donc le ministère. De 1814 à 1830, il se retire de la vie publique, rallie la première restauration mais est destitué de son poste de gouverneur de l'Ecole polytechnique. Le 8 janvier 1815, il reçoit la croix de Saint-Louis, reste à l'écart pendant les 100 jours et, en septembre de la même année, est mis à la retraite définitive de son poste de général de division. Il se retire à Sorgues dans le château de sa belle-famille en 1816 ; puis il achète en 1819 un hôtel à Paris, rue du Bac, et se partage désormais entre ces deux résidences. La monarchie de Juillet lui rend une certaine activité politique ; il est fait pair de France par Louis-Philippe en 1831, est élu à l'Académie des sciences morales et politiques le 26 octobre 1832, rédige une autobiographie en 1835. En 1840, il assiste à 88 ans au retour des Cendres, disant à ceux qui veulent le retenir : "Je le dois, je le veux, dussé-je y rester !" Il meurt le 14 juin 1841. Il est enterré au cimetière Montparnasse.
Cessac avait racheté à son beau-père, Marc-Louis de Brante, son domaine de Sorgues en 1810, vivement encouragé par son épouse, qui y était restée très attachée. Sibylle de Brantes, qui portait comme armoiries "d'azur au chevron d'argent chargé en chef d'une croix ancrée de gueules et en flanc de deux fleurs de lys d'azur accompagné en pointe d'un croissant d'argent et surmonté d'une étoile d'or" et comme devise "Facta et fata constantem probant", donna à son mari six enfants dont trois survécurent. Les deux fils, François et Gérard de Cessac, épousèrent deux soeurs Montesquiou, Zilia et Cécile, filles du Comte Alfred de Montesquiou, et de Madeleine Perron, fille du général Perron (1753-1834), ancien généralissime des armées de Sindhia et du Grand Mogol aux Indes. François Lacuée, comte de Cessac (1812-1885), et Zilia de Montesquiou eurent une fille, Louise de Cessac, qui épousa en 1863 Roger Sauvage, un élégant bourgeois de Paris. A l'occasion de son mariage, celui-ci obtint par un décret du Conseil d'Etat, selon un processus normal en France, l'autorisation d'ajouter à son patronyme celui de Brantes (nom de famille de l'aïeul de sa femme, Marc-Louis de Brantes, qui n'était désormais plus porté du fait de l'absence de toute descendance masculine). C'est pourquoi la famille s'appelle aujourd'hui Sauvage de Brantes. Leur fils, division, eut avec son épouse, Marguerite Schneider,

Paul Sauvage de Brantes (1864-1950), général de deux fils, François et Louis. Le premier épousa en 1929 Aymone, princesse de Faucigny-Lucinge. Ce sont les parents d'Anne-Aymone de Brantes, épouse de l'ancien président de la république, M. Valéry Giscard d'Estaing. Le second Louis de Brantes décédé en 1985, redevint le propriétaire du château et du domaine de Brantes à Sorgues en 1855. Il est aujourd'hui remplacé par son fils Charles-Hubert.

Les biens achetés au Pont-de-Sorgues par Olivier de Blanc entre 1619 et 1641, puis par son fils Alexandre jusqu'en 1691, venaient à l'origine du grand domaine de Gentilly défriché et mis en valeur par les moines célestins. Le 5 avril 1619, Olivier de Blanc acquérait donc de Marie de Sarraval, veuve et héritière de Pompée de Sylvan, Romain, de ses enfants Guillaume et Hercule de Sylvan, de Claire de Sylvan et de Laurens de Restre, seigneur de Montreuil, un bâtiment, une grange et tènement, c'est-à-dire terres en dépendant, au lieu-dit Le Badaffier. Ce tènement comportait à l'origine un jardin, un pré, des friches et hermes, un bosquet et une étendue de garrigue dans l'enclos de Leutières, plus les terres dites blanches, une autre terre le long de la Sorgue et d'autre pièces à divers endroits. C'est à côté de ce vieux bâtiment que Pierre de Blanc construisit, dans les premières années du XVIIIème siècle, un petit château de style Louis XIV, dont les dimensions sont encore indiquées par les pieds droits d'une porte latérale et des oeils-de-boeuf actuellement noyés dans la maçonnerie. Quant au domaine, il pouvait avoir de l'ordre de 60 ha et s'étendait jusqu'à la route royale, l'actuelle nationale 7, en face de la Poudrerie. Nous possédons quatre inventaires du château. Le premier est du 26 juin 1805. Il y est question du grand bâtiment avec vestibule sur l'escalier, de la salle à manger, de la première galerie, de la chapelle avec son autel en bois sculpté et doré, d'une antichambre, d'une deuxième galerie, de la grande galerie neuve, du cabinet de bains, du boudoir, des lieux à l'anglaise et du pavillon du jardin. Au premier étage de ce grand bâtiment sont signalés l'antichambre, le salon, un cabinet sur canal à droite, des chambres... Dans le vieux bâtiment sont mentionnés la cuisine, la fouillarde, la dépense, un caveau, quatre celliers, les cuves, l'écurie, l'ancienne cuisine du rentier ou fermier, le passage entre les deux corps de bâtiments, plusieurs chambres, la chambre dite de Monsieur, la bibliothèque, un cabinet de physique, des greniers, l'orangerie et la maison du jardinier. La présence d'un cabinet de physique n'a rien qui puisse étonner, puisque nous savons que Marc-Louis de Brantes était un excellent amateur de physique. Emule des frères Montgolfier, il avait inventé des fourneaux portatifs et un système de lampes conjuguées pour gonfler les ballons. C'est dans le parc de son château de Sorgues qu'il tenta au début de 1784 sa première ascension (rappelons que Joseph de Montgolfier venait de découvrir, en novembre 1782, le principe de l'aérostation dans sa maison d'Avignon). Ce premier ballon était fait de papier collé rouge et blanc, et mesurait 6 m 80 de haut sur 4 m de diamètre. Il portait dans sa nacelle un réchaud et pour le lest une boule où était attachée une pancarte mentionnant "Parti de Pont de Sorgues dans le Comtat à 1 h 25 mn". Le ballon poussé par le mistral, après avoir survolé Saint-Rémy, vint se poser à Orgon. Ayant atterri à 2 h 14 mn, il avait fait 24 km en 69 mn à une hauteur d'environ 2 000 m car on ne pouvait le voir qu'avec des lunettes. Il fut déchiré par des paysans à son atterrissage. Encourage par ce succès, Marc-Louis de Brantes prépara une ascension publique et fit construire un grand aérostat de 13 m 64 de diamètre, constitué en papier gros raisin soutenu par un réseau de rubans de fils et doublé de papier brouillard. Le ballon fut lâché le 4 avril 1784 dans l'enclos de l'actuel château de Gentilly, avec des personnes à son bord. Il s'éleva en 7 mn à 1 000 toises de haut. Mais des amis des voyageurs les obligèrent de redescendre. Le marquis de Brantes projeta alors une troisième expérience, avec une galerie plus petite où il serait le seul aéronaute. Mais ses proches l'obligèrent de prendre encore avec lui un physicien d'Avignon. Le ballon s'éleva donc tout seul, monta très rapidement et, après consommation du combustible, alla se déchirer entre les branches d'un grand arbre. M. Artaud, rédacteur du courrier d'Avignon, à l'occasion de l'ascension du marquis de Brantes, composa ces quelques vers :

Le Génie est du Ciel le don le plus parfait,
Montgolfier qui l'obtint, maître de l'Empirée,
M'entraîne sur ses pas à la voûte éthérée !
Et je rends aux Dieux le tribut du bienfait.
L'autre jour en quittant mon manoir
Je fis rencontre sur le soir
D'un globiste de haut parage.
Il s'en allait tout bonnement
Chercher un lit au firmament
Et moi je lui dis "bon voyage!"

Le deuxième inventaire du château fut dressé le 31 mai 1810, à la suite de l'achat qu'en avait fait le comte de Cessac le 11 février de cette même année. Le troisième inventaire est de 1819. Il donne à nouveau un état des lieux. Dans le bâtiment neuf, il signale en particulier au rez-de-chaussée une salle de billard, une salle à manger avec antichambre sur le jardin, un salon de compagnie et un petit salon, l'antichambre et la chapelle avec un autel en bois peints, deux tableaux et 16 portraits, la cuisine et sa batterie. A l'entresol sur la cuisine deux chambres (celles de Badran et d'Espiègue)... au premier étage sont notés la chambre de Madame, son cabinet de toilette, les chambres de Sophie et de François, les deux enfants, le cabinet de Vallier, la chambre à coucher de Monsieur le comte (de Cessac), son cabinet de travail... puis l'appartement de Madame de Brantes, belle-mère du comte, avec son antichambre, sa chambre à coucher, son cabinet de toilette, une chambre pour la femme de chambre et un cabinet noir. Au second étage, sont mentionnés l'appartement de l'Est avec une chambre à coucher, son antichambre et un cabinet, des chambres (dont celles de Jeanneton et Bailly), l'appartement de l'institutrice... Dans le vieux bâtiment, ont leurs chambres Mrs Gateau, Vincent, Mathieu, Franchon, puis, hors du château, sont mentionnés la maison du jardinier, la buanderie, le fournil, le poulailler, l'écurie et la cave avec son contenu (vins de 1819 à 1823, rouge ou blanc, en général de la production directe du domaine, ou de Bordeaux). Le quatrième inventaire fait état de tous les objets qui se trouvaient à l'intérieur du château le 25 octobre 1829.
L'action de Marc-Louis de Brante dans son domaine fut beaucoup plus modeste que ses résultats en physique. Le 15 mais 1784, il vend à Roch-Antoine Générat, baron de Buisson, une grange (bâtiment, cellier, écurie, remise, jasse, four, grenier) et son tènement à Sorgues, à Badaffier et dans d'autres quartiers, faisant 55 saumées, 11 cosses, et compoé de terres, prés, vignes, vergers, oliveraies, jardins, pâturages, "arrentés à Jean-Baptiste Establet depuis 1780, pour 600 livres par an, avec directe de la Revérende chambre et des Célestins de Gentilly, pour 15 824 livres 13 sols 4 deniers de grosses monnaies, soit 1 750 livres monnaie de France". La famille Générat en est toujours propriétaire à l'heure actuelle. Nous avons vu que Marc-Louis de Brantes avait vendu son domaine à son gendre le général de Cessac, en 1810, après le lui avoir décrit en termes enchanteurs. Celui-ci a laissé à ce propos des notes très intéressantes. "Né loin de la Provence, n'y étant jamais allé, n'y connaissant personne, n'ayant aucune idée des biens en vente, je ne pus être et ne fus déterminé que par le désir de complaire à ma femme et par celui d'arranger les affaires de mon beau-père... Lorsque j'achetais le domaine, il était dans le plus grand état de délabrement : beaucoup de terres en friches et les vignes vieillies et mal cultivées. La maison en très mauvais état et sans mobilier... Les défrichements que j'y ai faits, les vignes que j'ai plantées, à fossés larges et profonds creusés dans la poudingue, 20 000 pieds de platanes, tous bien venants et plantés par moi, une très grande quantité d'arbres fruitiers, des bosquets superbes, des promenades charmantes telles que le cours Cessac, l'allée du marquis et l'île Justine... A cela ajoutez la maison presqu'entièrement refaite à neuf et plus que triplée, l'entourage de la cour par une belle grille... M. Chabert, logé au château, est chargé de l'administration de Brantes. En particulier de la surveillance des plantations et des vignes ; j'ai porté son traitement à 1 000 francs par mois, et lui donne une pièce de vin, du bois, etc. Il rend ses comptes une fois par mois. Il a besoin qu'on stimule son activité ; sa comptabilité n'ayant pas toute la lucidité qu'elle devrait avoir." On l'a compris, le général de Cessac a transformé le domaine et même le château en réunissant l'"ancien" et le "nouveau" bâtiments qui, avec l'orangeraie, n'en formaient désormais plus qu'un. Il marqua de son sceau les balcons en fer forgé de la cour.d'honneur en y plaçant les initiales L.B. (Lacuée Brantes) et surmonta le toit d'une cloche en 1826. Ce fut une période heureuse pour Brantes, comme en témoignent ces quelques lignes relevées sur la tombe d'un chat :

A Brantes, j'habitais
Sous les ombrages frais
Asile solitaire Feuillage désséchés
Refuge des amants
Se disant leurs secrets.
Et, moins indiscrets qu'eux,
Je ne parlais jamais.

Le général de Cessac fut un bienfaiteur de la commune de Sorgues, comme le rapportent ces extraits des délibérations du Conseil Municipal :
"24 août 1818 - M. le comte de Cessac, propriétaire du château de Brantes, outre ses nombreux dons en nature aux pauvres de la ville; fait un don en espèces de 20 000 F. Plus tard, la ville reconnaissante donnera son nom à une avenue très importante."
"Juin 1841 - Un bienfaiteur de la commune, le comte de Cessac est mort. Son dernier don : 600 F pour les pauvres de la ville et une partie de ses habits."
"7 novembre 1841 - Le Conseil Municipal vote la somme de 62 F 40 pour les frais du service funèbre que la commune a fait célébrer au mois de juin pour le repos de l'âme du comte de Cessac."
Il existe toujours dans la ville une allée Cessac, ainsi qu'une allée de Brantes et un chemin de Brante (et, depuis 1990, une place Louis de Brante, inaugurée en présence de M. Valéry Giscard d'Estaing, neveu par alliance, nous l'avons vu). Le général vendit quelques terres en 1837 à Mlle Aymard, rentière à Sorgues, et, après sa mort, ses héritiers François, Gérard et Sophie, ainsi que Mlle Aymard, vendirent le domaine en 1842 à la famille Chabert, déjà installée au château. C'est alors que la construction de la voie ferrée Paris-Lyon-Marseille coupa le domaine en deux. Les Chabert vendirent aux Le Camus en 1891. M. Louis de Brantes, qui visita le château à son retour de Florence en 1922, n'en avait qu'une impression pitoyable. La compagnie des produits chimiques d'Alès, Forges et Camargue, devenue Péchiney, racheta le domaine en 1930, mais laissa le château à l'abandon. En 1936, M. et Mme Michel, de Sorgues, qui était tombés amoureux des bâtiments, les rachetèrent à leur tour, laissant à la Compagnie la partie située au nord du chemin de Brantes, qu'elle posède encore aujourd'hui.
M. et Mme Michel relevèrent tout d'abord les bâtiments d'exploitation de la ferme en faveur d'un laitier d'origine italienne, M. Vincent Bertino, aidés des conseils d'un voisin du domaine, M. Julien. Ils firent arracher les vignes et les mirent en prairies, de même que toutes les terres emblavées. La famille Bertino put ainsi nourrir une dizaine de vaches, comme elle le fait encore aujourd'hui. Dans le château, les Michel firent restaurer les toitures, relevèrent de 25 cm une partie du sol et aménagèrent la nouvelle cuisine. Ils occupèrent eux-même le centre et louèrent les appartements des ailes (entre autres à M. de la Pommeray, époux de Mlle Générat, et à M. Deryck qui mettra plus tard la famille de Brantes au courant des travaux de restauration en cours). En 1943, le château connut une occupation par les Allemands qui l'amènagèrent pour y installer l'organisation du génie Todt. Ils furent suivis par les troupes de l'armée polonaise Anders en 1946. La même année s'installèrent M. Mario Guccini, jardinier, et son épouse, Augusta, qui y habite toujours.
En septembre 1954, M. Louis de Brantes rend sa première visite à Mme Michel, qui lui dit aimablement : "Je vous attendais !". A la suite de cette visite, M. Louis de Brante et son épouse Madelaine Gohier, de nationalité canadienne, achètent le domaine et son château, qui allaient être vendus à un hôtelier. L'acte fut signé en novembre 1955. Les Brantes aménagèrent dès 1956 l'aile sud du château pour que les Michel puissent continuer à résider au domaine. La même année mourut M. Julien, qui avait dit aux nouveaux propriétaires : "Madame le Camus m'a fait brûler autrefois une armoire de vieux papiers... on appelle çà, je crois, des archives..." Une perte fort regrettable ! En 1958, avec l'aide du décorateur Fred de Cabrol, les Brantes commencèrent à envisager des travaux de restauration intérieure du château. Mais c'est par le jardin qu'ils débutèrent réellement, avec l'aide du paysagiste danois Mogens Tvede, qui leur fournit le plan des bassins. Ceux-ci furent creusés en 1959 et bordés de pierres taillées provenant d'un autre vieux bassins démoli à cet effet. L'eau de la Fontaine de Vaucluse, qui coule dans le parc, fut détournée pour les alimenter. C'était un jardin à la française, imprégné d'un fort esprit florentin, fruit des racines familiales... Le grand magnolia, planté par le général de Cessac et son épouse Sibylle (il passe aujourd'hui pour être le plus grand de France, avec ses 5 m de circonférences et ses 20 m de haut). Le cyprès centenaire l'accompagna jusqu'à ce mardi 22 septembre 1992, où une tornade le renversa, faisant par ailleurs tant de mal dans toute la région.
En 1960, la visite du décorateur Pierre Scapula apporte de nouvelles idées. En 1961, des boiseries sont posées dans la salle à manger. Une copie du portrait en pied du général de Cessac y est accrochée, faite d'après l'original de l'Ecole Polytechnique. Le peintre provençal Gérard Delpuech réalise dans le château de nombreux décors ou trompe-l'oeil. Toutes les chambres sont réinstallées. Un grand poêle de faïence et des gypseries XVIIIème étaient tout ce qui restait de toute façon de l'ancien château Cessac...
En 1962, une chapelle et un cloître sont élevés à l'emplacement de l'ancien chai, sur les plans de l'architecte Bernard de la Tour d'Auvergne. Les pierres de l'autel viennent toutes du domaine. Le Christ moderne en bois est l'oeuvre du sculpteur Gubel. En 1974, Charles-Hubert de Brantes construit une maison dans le vieux village de Brantes, derrière le mont Ventoux, exprimant ainsi, par-delà les remous de l'histoire, sa fidélité à un lieux exceptionnel et sa participation à une renaissance qui y a pris cours depuis quelques années. Le 3 septembre 1977, le Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, accompagné de son épouse Anne-Aymone, atterrissent en hélicoptère dans le pré devant le château, juste hommage au marquis de Brantes et à ses montgolfières ! En 1978, c'est le départ des Michel qui, devenus très âgés, préférèrent s'installer en Avignon. Ils avaient beaucoup contribué à créer dans ce château une atmosphère de "maison du Bon Dieu". En 1984, M. Louis de Brantes et son épouse, pour marquer la fin de leurs travaux de restauration, et pour rendre un hommage posthume au général de Cessac, qui en avait fait autant avec son épouse un siècle auparavant, firent élever une petite pyramide au bout d'une longue allée de buis, d'après un plan de l'architecte Philippe Guibout.
Ainsi se termine l'histoire, jusqu'à nos jours, du château et du domaine de Brantes à Sorgues, qui fut aussi celle de leurs habitants. Une même famille et une même maison... malgré les intermèdes et de nombreux changements. Qui tendrait à prouver que le lieu, à travers le temps et tous ces changements, doit bien avoir une âme, et que la commune de Sorgues y trouve une parcelle de la sienne.

 

Henri Dubled (Conservateur honoraire de la bibliothèque Inguimbertine des Archives et des Musées de Carpentras).

 Extrait de la 6ème édition des Etudes Sorguaises "Mémoire et promenades Sorguaises" 1993