DISCOURS de M. Adolphe MÉRA Président de la Société


Messieurs,
Vos suffrages, m'ont causé une vive émotion ; je vous renouvelle, du fond du coeur, mes remerciements les plus sincères !... C'est avec bonheur que je continuerai, cette année encore, à m'occuper de vous, de cette société modèle, à laquelle je m'étais attaché par les devoirs que m'imposait mon nouveau titre, et à laquelle je suis irrévocablement lié par la double reconnaissance que je dois à ses membres... L'année passée, Messieurs, à cette même place, je vous ai fait part de mes appréhensions, je redoutais mon inexpérience, mais en même temps je vous donnais l'assurance que mon zèle et mon dévouement ne me céderaient à aucun autre.

 

Mes appréhensions, je l'avoue avec plaisir, se sont complètement dissipées, grâces au concours amical de mes collègues de l'administration et des plus expérimentés d'entre vous. Votre indulgence et l'excellent esprit qui règnent dans notre société m'ont facilité ma tâche que j'avais toujours cru assumer bien lourde, et que vous m'avez rendue si légère ! Quant à mes promesses de dévouement je crois, Messieurs, les avoir en partie réalisées, et c'est avec un véritable sentiment de joie que je viens, à l'occasion d'une solennité qui vous est chère, vous les réitérer de nouveau : Je mettrai en oeuvre, avec l'aide de mes nouveaux collaborateurs, tout ce qui pourra contribuer à notre bien-être commun ; à la prospérité de notre société ; je poursuivrai ma tâche résolument et sans faiblesse; avec la persuasion que je poursuis l'accomplissement d'un devoir. Mon désir incessant consistera à réaliser la fusion effective de toutes les classes de notre population ; de leur apprendre, par ce contact que chaque jour, à s'estimer et à s'aimer ; de faire naître chez tous, plus que jamais, la résolution de vivre en commun ; d'amener les sociétaires à s'apprécier réciproquement... Quel beau et noble but, Messieurs !!... Mais réussirai-je à l'atteindre ? Une théorie, quelque admirable qu'elle soit, réclame impérieusement son application, pourrai-je mettre en pratique un pareil programme ? m'en sentirai-je la force et le courage ?... je dis oui ! Messieurs, si vous m'accordez un concours efficace ; je dis oui ! si mes efforts ne sont pas obligés de se briser contre d'injustes préventions ; je dis oui ! si vous consentez à faire un sacrifice momentané qui vous assurera un société unique non-seulement sous le rapport de l'homogénéité des idées, mais encore sous celui de l'indépendance et du confort... Soyons patriotes, Messieur, soyons bons sociétaires ! persuadons-nous du beau rôle que nous avons à remplir ; forçons les étrangers à venir voir fonctionner notre institution dégagée désormais de toute pression étrangère qui pourrait être parfois malveillante ou intéressée ; grâce à nos résolutions, nous attirerons les regards de toutes les âmes honnêtes animées de l'amour du bien public et du progrès intellectuel. Que vous ai-je demandé, Messieurs, pour arriver à mes fins, pour pouvoir un jour disposer de notre libre arbitre, condition éminemment essentielle à la réalisation de nos espérances ?... Je vous ai demandé cinquante centimes par mois, pendant une période de huit années !... Réfléchissez, chers collègues, et dites-moi si vraiment ce sacrifice est au-dessus de vos moyens ; peut on mettre en parallèle cette modique rétribution avec les avantages nombreux qu'en retireront, grâce à elle, tous nos sociétaires ? Mais à ce propos, Messieurs, je me vois forcé de mettre à l'épreuve non-seulement votre indulgence, mais encore et surtout votre patience ; le sujet que je vais traiter comporte des détails qui vous paraîtront très longs et probablement fastidieux ; j'ai trouvé pourtant l'occasion si belle de vous communiquer franchement toute ma pensée, que je n'hésite pas : il s'agit de la construction du nouvel établissement, j'entre donc résolument en matière, en vous priant de m'accorder votre bienveillante attention :

Outre la grandeur et le confortable du local projeté ; la garantie de la somme déposée; la libre propriété de notre établissement ; la suppression des servitudes locatives ; la création d'un musée de curiosités scientifiques, agricoles et industrielles, qui peut devenir une source d'instruction pour nous tous et surtout pour nos enfants, de même qu'un objet de curiosité et d'admiration pour les étrangers ; enfin la possibilité d'économies à réaliser sur le coût des boissons ; outre ces avantages cités dans ma circulaire, nous aurons l'agrément et la douce satisfaction de pouvoir attirer chez nous, à titre complètement gratuit, non-seulement tous les sociétaires, mais encore les membres de leur famille, pour assister à des concerts, à des lectures ou à des cours que des artistes et des professeurs éminents ne dédaigneront pas de nous accorder. Mais avant tout, Messieurs, ne devrions-nous pas faire entrer en ligne de compte la satisfaction de notre amour-propre ? Ne serons-nous pas fiers d'avoir contribué à une oeuvre qui, tout en réalisant notre désir de bien être et d'indépendance, sera un monument que nous lèguerons à nos générations futures et qui témoignera de notre patriotisme. Je suis loin de revendiquer pour moi seul l'idée d'un projet de construction, cette bonne pensée ne m'appartient pas, elle m'a été léguée par mes prédécesseurs, je ferai tout ce qui me sera possible pour la faire fleurir et fructifier : parce qu'elle est la conséquence du progrès auquel tout bon sociétaire doit aspirer ; parce qu'elle est utile, qu'elle répond à nos besoins parce qu'elle nous mettra à la hauteur du développement du pays, de sa prospérité commerciale et industrielle, de l'accroissement de sa population. Ne vous arrêtez donc pas à ce que des gens timorés vous disent en assurant que jamais nous ne pourrons réaliser la somme nécessaire à notre projet ; savent-ils les moyens dont je dispose ? Croient-ils que je veuille me jeter tête baissée ou d'une manière irréfléchie dans un dédale inextricable ? Ne suis-je pas désireux, autant que vous tous, de conserver à notre société cette réputation de sagesse qu'elle a su acquérir dans le cours de ses 32 années d'existence ?... Je vous promets, Messieurs, je vous donne l'assurance formelle que je serai le premier à vous déclarer, s'il y a lieu, l'insuffisance de nos moyens... cela m'amène à vous soumettre un exposé rapide de notre situation financière. Le projet imprimé que vous avez tous reçu, Messieurs, et que j'avais lancé comme une espèce de ballon d'essai pour m'édifier sur vos dispositions, ce projet si incomplet et à l'efficacité duquel j'avais une confiance médiocre, ce projet dis-je a fait merveille en effet. Au moment où je vous parle, nous avons une centaine de souscripteurs, ce qui constitue, avec les dons facultatifs, une somme qui dépasse fr. 5,000. - Nous avons en outre l'espérance de voir adopter bientôt par le conseil municipal, sur la disposition de M. le Maire, un don de fr. 1,000, payables en dix annuités - enfin, Messieurs, je suis autorisé à vous dire que lorsque la commission aura résolu de mettre la main à l'oeuvre, nous aurons un prêteur qui nous avancera la somme de 6,500 fr., que nous pourrons toucher immédiatement, soit pour acquérir le terrain, soit pour commencer les travaux ; cette somme serait placée comme première hypothèque sur l'immeuble à construire, et nous aurions a en supporter l'intérêt à 5 pour cent l'an. Voilà un total de 12,500 fr., auquel certes, bon nombre d'entre vous ne s'attendaient pas ; joignez-y la presque certitude de recueillir, avant le ler janvier 1855, 80 signatures de plus, et nous réalisons la somme de fr. 16,500 ; ce dernier chiffre, Messieurs, je ne crois pas me faire illusion en disant que nous arriverons à le dépasser. Pour m'éclairer sur les éventalités à venir, j'ai fait faire un devis d'un établisseemnt composé d'un rez-de-chaussé et d'un étage, ayant 25 mètres de longueur sur 10 de large ; renfermant le laboratoire et l'habitation du concierge, la salle de la bibliothèque et du Musée, ainsi que celle des consommations, le tout mis en parfait état pour recevoir nos 240 sociétaires, nos livres et notre matériel. Ce devis fait par un homme compétent coûterait 12,000 francs. Supposons qu'avec les frais nombreux qu'il faudra ajouter à cette somme, frais que je crois d'une importance réelle, nous ne puissions arriver à notre but au moyen des ressources citées plus haut, dans ce cas, Messieurs, ne pourrait-on pas diminuer les dimensions du nouveau local ? Si au lieu de 25 mètres de longueur nous réduisions à 15 mètres, croyez-vous que nous serions alors trop à l'étroit ? vous ne pouvez le penser, Messieurs, car le local ainsi réduit serait encore beaucoup plus spacieux que le siège actuel de nos réunions. Si donc 150 mètres de superficie au rez-de-chaussée et au premier étage, en tout 300 mètres, sont plus tard jugés suffisants, il faudra retrancher du prix précité des 2,5e soit 4,800, ce qui réduirait le devis de 12,000 à 7,200 francs... veuillez remarque que ce dernier chiffre pourrait encore être diminué en établissant toutes les pièces de plein-pied, c'est-à-dire au rez-de-chaussée, ce qui nous éviterait la dépense d'un escalier, d'un parquet, d'un plafond, etc. -Vous voyez donc que la chose est non-seulement faisable mais assurée ; pour peu que vous m'aidiez. Fiez-vous à mon zèle, Messieur, accordez-moi un peu de votre confiance ainsi que votre bon et loyal concours ; grâce à votre aide, le jour viendra bientôt où nous verrons briller sur le fronton de notre société régénérée, les rameaux fleuris du laurier traditionnel !!... Selon moi, Messieurs, la difficulté ne git pas dans le manque de fonds, elle sera dans le choix de l'emplacement ; je vais essayer de vous en expliquer les motifs, et vous dire les moyens que je crois propres à les combattre. Tout d'abord je dois vous avouer, Messieurs, que quelques membres n'ont voulu signer qu'à la condition que le choix d'un terrain serait un fait accompli ; j'ai dû renoncer à leur souscription. Pouvais-je promettre une chose qu'il n'est nullement en mon pouvoir d'obtenir ? Puis-je vous désigner un terrain dont je n'aurais préalablement réglé le prix ? Ne faut-il pas avant tout que la commission de 20 membres, que vous devez nommer, soit régulièrement constituée, qu'elle ait eu le temps de noter tous les emplacements disponibles, leurs dimensions, leurs prix, pour vous les proposer ? N'aurez-vous pas le droit, tous les sociétaires sans exception, de choisir parmi les dits emplacements celui qui pourrait être susceptible de vous convenir ? Ne pourriez-vous désigner vous-mêmes un certain rayon au-delà duquel l'érection du monument serait d'une impossibilité notoire ? En agissant ainsi ne trouverez-vous pas plus de garantie que si vos intérêts étaient confiés à une seule personne ? Un fait avéré indiscutable, c'est qu'il sera impossible, à cet égard, de contenter tout le monde ; quel que soit le choix fait par la majorité, il produira toujours une minorité mécontente, c'est inévitable... c'est pourquoi j'en appelle à votre bon sens, Messieurs, c'est pourquoi je désire que vous fassiez abnégation de votre désir personnel, quoi qu'il arrive, pour satisfaire l'intérêt général ; envisageons les choses comme patriotes et non comme particuliers ; sans ces conditions il ne serait pas possible de fonder d'une manière sérieuse et durable ; nous sommes tous trop fiers de faire partie de notre société pour subordonner son bien-être ou son extension à de puériles questions personnelles ; nous aurons d'autant plus de mérite que nous aurons su sacrifier notre volonté et nos désirs aux besoins de la communauté. Veuillez considérer, Messieurs, combien est favorable le moment de s'occuper d'une pareille entreprise. Notre bail sera-t-il éternel ? Que ferons-nous, où irons-nous lorsqu'il sera périmé ? Devons-nous laisser une société aussi nombreuse que la notre dans une pareille alternative ? Devons-nous nous exposer à nous voir augmenter la rente ou à nous dissoudre faute d'un local pour nous réunir ?... On m'objectera sans doute que vu les termes de notre contrat il nous est facultatif de prolonger notre bail cinq ans de plus, c'est vrai, Messieurs, mais avez-vous songé à la difficulté de nous réunir tous dans le local actuel pour les grandes circonstances ? Faut-il vous citer les exemples ? A l'époque de la mort de notre regretté collègue, le pauvre Amédée Simon, ne nous a-t-il pas fallu recourir à l'hospitalité d'une société voisine ? Aujourd'hui même ne serez-vous pas forcés d'avouer l'exiguité du local ? Et d'ailleurs, savons-nous si le successeur de notre propriétaire actuel nous accordera les mêmes faveurs concernant le service ? Trouverons-nous toujours des bailleurs de fonds en échange d'une hypothèque sur un immeuble à construire ? L'administration du pays dans sa sollicitude pour le progrès et les choses utiles nous a fait la promesse de nous aider pécunièrement, savons-nous si celle qui lui succèdera sera animée des mêmes intentions ? Ne nous laissons pas aller à l'insouciance, Messieurs, songeons à l'avenir, édifions sur un terrain solide et immuable, ne nous endormons pas dans une confiance difficile à justifier ; pensons aux probabilités pénibles qui peuvent surgir du statu-quo ; enfin, Messieurs, méritons par notre désintéressement, par notre esprit de conciliation, par la persévérance que nous mettrons à prendre les intérêts de notre société, méritons l'admiration et la reconnaissance de ceux qui sont destinés à nous remplacer. Je suis loin de me dissimuler que notre projet rencontrera des résistances, toutes les bonnes idées ont toujours eu, dans tous les temps, des détracteurs ou des critiques, faudra-t-il s'étonner des difficultés que je m'attends à voir s'accumuler sur nos pas ? Que nos désirs s'accomplissent ou non, vous me trouverez constamment à mon poste, désireux de faire progresser une institution qui a toutes mes sympathies et tout mon dévouement

Quoi qu'il en soit, et avant de nous séparer, je tiens à vous convaincre, Messieurs et chers collègues, que le moment venu, je saurai mettre à contribution, vos avis et vos conseils ; c'est en commun que nous nous appliquerons à introduire, dans le projet, les modifications dont l'expérience nous aura fait connaître l'utilité ; j'espère que sous ce rapport votre initiative ne sera jamais en retard ; et vous verrez que notre société, soigneusement étudiée dans tous les détails de son fonctionnment, s'élèvera par des améliorations successives, à la hauteur d'un bienfait également précieux pour le pays et pour nous mêmes.
Le souvenir de vos bontés à mon égard raffermit tellement ma confiance, Messieurs, que je n'hésite pas à vous proposer de réunir dans un même toast :
La réalisation du projet ! Le brillant avenir de notre société ! La santé de son cher et vénéré fondateur ! Enfin, Messieurs, la santé de tous ses membres !! Vive la société littéraire !!!

Extrait de la 6ème édition des Etudes Sorguaises "Mémoire et promenades Sorguaises" 1993