L'ile de l'Oiselet (ou Oiselay) est séparée de la commune de SORGUES par le bras du Rhône dit des Arméniens ou Armenier en provençal*.


LE BAC À TRAILLE
Depuis des temps immémoriaux l'unique moyen de communication avec l'extérieur fut le bac à traille. En ce début de siècle il en existre trois, tous privés, celui qui conduit à SAUVETERRE (gard), par un autre bras du Rhône, dit "Rhône Vif", à hauteur de la ferme de la Dragonette, un autre au nord de l'ile qui la relie à CHATEAUNEUF DU PAPE, et celui qui communique avec Sorgues. Ce dernier d'abord établi à l'usage de la famille d'OISELAY (1) s'étendit aux nouveaux propriétaires de l'île au cours du 19ème siècle. Cependant l'utilisation du bac est source de multiples difficultés. La construction d'un pont permettrait aux "Sorguais de goûter les charmes de l'isle qui leur constituerait ainsi à une très courte dis-tance une sorte de parc immense et vraiment très agréable (2). Dans une longue pétition du mois de mai 1913, Monsieur Benoît REBOUL les énumère :



- lorsque le passeur se trouve sur l'autre rive l'attente est quelque fois très longue, - l'embarquement et le débarquement des charrettes peuvent durer plusieurs heures et être dangereux. Ces manoeuvres requièrent du personnel venu de l'ile qui pourrait être employé aux cultures. Surtout qu'une fois sur la terre ferme les charrettes sont conduites par un seul homme. - Sorgues ne profite pas de la totalité des récoltes. Afin d'avoir une distribution rapide de leurs biens les producteurs empruntent en plus les bacs de sauveterre ou Châteauneuf-du-Pape au lieu de tout livrer au commerce local,
*Il semble qu'il y ait erreur de traduction : ARMÉNIE contrée d'Asie, F. MISTRAL, Le Grand Trésor, ARMENIE Arménies en Provençal même source.

- les enfants qui se rendent à l'école à 3 km de là effectuent eux aussi de longues attentes. L'hiver, elles sont sources de nombreux refroidissements. Egalement la tempête de vent, un gros Rhône, ou bien la crue, sont autant d'obstacles à leur présence en classe. - en période d'inondation l'arrivée des secours venus de Sorgues en évitant la traversée par barques permettrait d'évacuer rapidement jusqu'au dernier moment animaux et récoltes. - le transport des blessés et le déplacement des malades sont difficiles, les chemins sont à peine marqués. La visite du médecin ou la venue du vétérinaire sont aléatoires.
Les améliorations urbaines comme l'électricité, l'éclairage public, les voies de communication, l'eau, financées en partie au moyen d'impôts payés par les propriétaires de l'ile, ne profitent pas à ceux-ci. Emprisonnés par le Rhône, l'ile est restée dans un demi isolement. Ses habitants estiment qu'elle est demeurée dans l'état où elle se trouvait cinquante ans et même cent ans auparavant (3). C'est pourquoi propriétaires et fermiers réclament l'édification de ces ouvrage. Pour ce faire, ils sont disposés à contribuer de leurs deniers à sa réalisation. La première guerre mondiale mettra requête et projet sous le boisseau. Un autre élément milite en faveur de sa construction : les rapports entre passeur et propriétaires peuvent être source de tensions. Ce sera le cas pour Louis Pierre, avant dernier passeur ; il lui est reproché, en outre, de négliger l'entretien du matériel mis à sa disposition, malgré la fourniture gratuite de planches. Le conflit ayant pris de l'importance le passeur sera congédié le ler septembre 1924, aux termes de son contrat après avoir été prévenu par exploit d'huissier (4). Il semble que l'on se trouve plus en présence d'une opposition de personnes, que de négligence dans le travail. L'association du bac de l'Oiselet, par délibération du 24 janvier 1925, reconnaît que le bateau et les appontements étaient vieux et en mauvais état. Elle fait contruire à Lyon un bac neuf. Il mettra cinq jours, à cause du mauvais temps qui règne au cours de ce mois d'octobre 1924 pour venir à Sorgues. Entre temps, le vieux bac ayant coulé, on eut recours pour les mois de septembre et d'octobre, moyennant défraiment, à un détachement du 7ème génie d'Avignon.
L'association loue le bac et son matériel à Marius Liardet, dernier passeur, moyennant le prix de six cents francs par an, pour une période de trois ans, résiliable annuellement au gré des deux parties, sous conditions de prévenir l'autre six mois à l'avance. Un nouveau tarif d'abonnement pour passage à pieds des fermiers de l'ile est mis en vigueur à cette occasion (5).


LE PONT DES ARMENIENS  
Nous l'avons déjà souligné depuis longtemps les iliens souhaitent la construction d'un pont. Les terres étant difficiles à cultiver, il aiderait à la mise en valeur d'environ 350 hectares (6).

Le 1er mai 1924 se constitue entre quinze propriétaires, une nouvelle association dénommée "Association du Pont de l'île d'Oiselet" qui se donne pour vocation la construction de l'ouvrage dont elle sera maîtresse d'oeuvre. Elle dépose le 28 janvier 1925 le permis de construire. Il sera bâti à 160 mètres en amont du bac existant, d'une travée de 157,5 mètres. Chaque culée supportera deux pylones d'une hauteur totale de 18,25 m. Le tablier sera établi pour une seule voie charretière de 2,3 m, avec deux trottoirs de 0,5 m chacun et un garde corps de 1,08 m de hauteur. La chaussée proprement dite comportera des files non jointives de madriers de chênes, lesquelles seront recouvertes par des madriers jointifs en sapin, des plaques de tôles striées recouvriront les trottoirs. L'accès au pont sera interdit aux camions automobiles d'un poids supérieur à 6 tonnes, et il ne devra être engagé qu'un de ces véhicules à la fois. Il sera formellement interdit à plus de quatre véhicules à un collier et à plus de deux véhicules à deux colliers... Le pont sera visité tous les cinq ans par l'Ingénieur d'arrondissement aux frais de l'association (7). Le devis de construction, établi par le Génie Rural en 1924, s'élève à 390 000 francs, dont 130 000 subventionnés par l'Etat. Le surplus devant être assumé par tiers entre le Département, la Commune et les Propriétaires. Sorgues, en définitive, ne participe qu'à hauteur de 15 000 francs. Ses finances sont lourdement grevées par les dépenses d'assistance à 2 à 3 000 ouvriers (sic) habitant sur son territoire et qui travaillent dans des usines situées dans les communes avoisinantes et desquelles communes Sorgues ne retire aucune subvention (8).
Les travaux de maçonnerie et de terrassement, confiés à l'entreprise Bourrely de Montfavet, sont achevés au cours du mois de février 1926. Ceux concernant le tablier et les suspensions à la charge de l'Ingénieur constructeur Backer de Lyon, dont la délivrance est prévue pour le 14 juillet suivant, prendront vraisemblablement du retard puisque le pont sera livré à la circulation à la fin du mois de septembre.
Par suite de renchérissement rapide des prix, les chiffres de 1914 triplent à la fin 1919, et quadruplent un an plus tard (10). Le devis subit une majoration sensible. Il se monte au 25 juillet 1925 à six cent mille francs. Cette somme sera, après de nombreuses délibération payées de la façon suivante :
* cent trente mille francs au moyen d'une subvention de l'Etat,

* deux cent cinquante mille francs au moyen d'un emprunt souscrit au Crédit Agricole par l'association, remboursé par le département et la commune,

* soixante dix mille francs de deniers personnels aux propriétaires,

* et cent cinquante mille francs par un nouvel emprunt au Crédit Agricole entièrement à la charge des propriétaires (11).


Le 16 septembre 1926, c'est enfin l'inauguration en présence de Messieurs Du Laurens d'Oiselay, Président, Benoit Reboul, Directeur et du Sénateur Serre qui avait beaucoup contribué à la réalisation de ce dossier (12). L'Indépendant Music donnera l'aubade et le Curé de Sorgues bénira la manifestation, ils seront gratifiés chacun de cent francs par l'association pour frais.
Le bac n'ayant plus aucune utilité sera vendu à CHARMES (Ardèche) pour la somme de trois mille francs pris sur place (13). Rapidement la gestion du pont devient lourde. A plusieurs reprises il va être demandé son classement en voierie communale. Il ne faudra pas moins de huit délibérations et sûrement bien de démarches auprès de l'administration, peu encline à accepter, pour que cela aboutisse le ler avril 1950.
A l'heure actuelle il n'existe que deux ouvrages d'art de ce type en Vaucluse, Mirabeau et Sorgues. La Direction Départementale de l'Equipement démolit systématiquement de pareils ponts. Pour cette raison il conviendrait de protéger et de classer le Pont dit des "Arméniens".

R. CHABERT
Extrait de la 6ème édition des Etudes Sorguaises "Mémoire et promenades Sorguaises" 1993

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(1) ARCHIVES DÉPARTEMENTALES. Lettres du 28 mars 1823 et arrêté préfectoral du 2 novembre 1823.

(2) Lettre de Monsieur Benoit Reboul mai 1913, archives familiales REBOUL.

(3) Lettre de Monsieur Benoit Reboul déjà citée.

(4) Assemblée générale du 12 avril 1924 de l'association du Bac de l'Oiselet A.D.

(5) A.D. dossiers bacs sur le Rhône, délibération du 24 janvier 1925 de l'Association du Bac de l'Oiselet dont le siège était à Avignon, 15 rue Saint-Etienne.

(6) Délibération du conseil général de Vaucluse du 27 mai 1924.

(7) Décret du Président de la République Gaston Doumergue du 11 août 1926.

(8) Rapport Tissier séance du conseil général du mardi 27 mai 1924

(9) A.D. dossiers bacs sur le Rhône, lettre de l'Ingénieur TPE Niel.

(10) Histoire de la France Contemporaine - Messidor.

(11) Délibération de l'assemblée générale de l'association du 12 novembre 1925

(12) Délibération du 28 février 1926 de l'association

(13) Délibération du 31 octobre 1926 de l'association.