Jean Geoffroy naquit à Malaucène le 7 janvier 1905, et décéda à Saint-Saturnin-lès-Apt le 3 février 1991.
 
 À Grenoble, dès ses études universitaires, il adhéra à la SFIO. Jusqu’à sa mort, il demeurera fidèle à son idéal de jeunesse. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut d’abord membre du Conseil de la République, du 7 novembre 1948 à 1958 ; il sera ensuite élu au siège de sénateur de Vaucluse en 1959.

Réélu à plusieurs reprises, il a conservé ce poste jusqu’au 1er octobre 1986. Il fut distingué par la médaille de la Résistance et la Légion d’honneur.
 
Durant la Seconde Guerre mondiale, il participa activement à la Résistance. Avocat, il s’était même fait une spécialité, la défense des patriotes arrêtés. Sur dénonciation, il fut appréhendé le 7 août 1943 et interné dans la caserne Hautpoul à Avignon, devenue cité administrative en bas du cours Jean Jaurès.

Au début de l’année suivante, il était transféré au camp de Compiègne avant d’être déporté à Buchenwald, Flossenburg, et Hradischko.

Le 3 mars 1944, les nazis envoyèrent des prisonniers à Hradischko, camp de concentration et d’extermination, à 25 kilomètres de Prague. Il était minuscule par rapport à Buchenwald et Flossenburg. Les Français y étaient en majorité. De tous les captifs, les plus ignobles étaient les Polonais et les détenus de droit commun allemand : les triangles verts. Ils s’étaient adaptés aux lieux, sournois, obséquieux, ils obtenaient les bonnes grâces des Kapos. Avec leur bienveillance, ils avaient acquis la liberté de battre les prisonniers, ils étaient davantage plus redoutés que les surveillants.

Les captifs étaient battus du matin au soir à coups de nerfs de bœuf. Celui qui ne se relevait pas était conduit à l’infirmerie et personne n’entendait plus parler de lui. Les nazis éprouvaient une véritable jouissance à faire souffrir. Les séances étaient interminables et donnaient lieu à de nombreuses reprises.

Si à Buchenwald l’hygiène était suffisante, à Hradischko, la salubrité était inexistante. Le soir, au retour du travail, il y avait la visite corporelle complète pour traquer les poux par le chef de chambre ou son adjoint. Il n’y avait pas d’eau dans tout le camp. 

 



Chaque jour, les nazis installaient dans chaque block deux cuves de 50 litres chacune. Tous les matins, avant l’appel, les 150 forçats de chaque block venaient hâtivement barboter dans ces deux cuves, l’eau était rapidement impropre à la toilette. Tous les quinze jours, en principe, ils devaient faire, après le travail du soir, des ablutions plus complètes, grâce à un supplément d’eau. Ces séances s’espacèrent. Ces malheureux gardaient leur linge cinq à six semaines tous occupé par des poux et d’œufs de poux. Ils étaient infectés par des furoncles et des plaies purulentes.

La nourriture était devenue très vite insuffisante. Au début, ils recevaient, le matin au réveil, une tranche de pain tirée d’une boule de 1500 grammes divisée en dix ou onze parts. En outre, un liquide chaud dénommé café. À midi, un litre de soupe, c’était un bouillon épais qui contenait des pommes de terre ou de l’orge sassée, des farines et même des matières grasses, et des déchets de viande, plus rarement, des légumes secs ou des pâtes. Le soir, au retour du travail, avec le même liquide dénommé café, un morceau de pain, la boule divisée en 5, 25 grammes de margarine et une petite tranche d’un ersatz de saucisse. Ces morceaux de nourriture furent vite diminués, le pain du matin fut supprimé, celui du soir considérablement réduit, la part de margarine devint ténue.

La faim devint une idée fixe parmi les détenus. Les conversations entre prisonniers roulaient sur la nourriture. Ils sentaient qu’ils s’affaiblissaient rapidement. Cette faim lancinante les démoralisait et leur enlevait toute dignité.

Le travail était la grande loi des bagnes nazis. Le détenu devait gagner sa vie. À Hradischko dans un climat de terreur, les déportés terrassaient, maçonnaient, déchargeaient des wagons, de six heures du matin, à dix-neuf heures le soir, sous une chaleur accablante l’été, dans un froid de moins 20 degrés et plus, l’hiver. Sous leurs vareuses rayées, ils glissaient en cachette des sacs de ciment en papier.

Le plus souvent, les prisonniers étaient malades d’épuisement. Un seul infirmier Paul « droit commun allemand » rapidement secondé par un médecin russe qui était plus cruel que Paul. Vers un malade, il s’avançait d’un air doucereux, il lui écartait les bras pour mieux les examiner, puis brusquement il lui allongeait un grand coup de pied dans le ventre. Le plus souvent après une agonie plus ou moins longue il mourrait sans soin.

Le 26 avril, les SS évacuèrent les prisonniers du camp. Ils leur firent gagner une petite gare, et ils les entassèrent dans des wagons à bestiaux sous la surveillance des kapos. Alors commençait la plus invraisemblable des randonnées à travers la Tchécoslovaquie. Enfermés, ils ont erré sans but pendant 10 jours, sans manger, sans boire. Ils étaient tous malades, dévorés par les poux. Leurs vêtements étaient imprégnés de l’odeur fétide de leurs excréments. Beaucoup succombèrent. Les cadavres étaient laissés plusieurs jours parmi eux dans le wagon, puis poussés sur le ballast. Beaucoup ne le supportèrent pas. Ils pensaient avoir abouti à leur tombe.

Le 8 mai 1945, ils furent libérés par les partisans tchécoslovaques. Seuls 170 détenus sur 1 000 survécurent.



Dans la réédition, Jean Geoffroy écrivait que les Polonais avaient tellement souffert que cela justifiait leur comportement.

Le texte ci-dessus est extrait du livre de Jean Geoffroy, « Au temps des crématoires », édité par l’imprimerie Mistral à Cavaillon en 1948.

Personnellement, je dois ma carrière à maître Geoffroy, sous son regard attentif il a formé mon métier. Il n’a jamais affaibli l’amitié qu’il me portait, même s’il m’a jugé plus d’une fois intolérant. Je lui conserve un souvenir reconnaissant.

Raymond Chabert