Le canal de Vaucluse prend naissance dans les eaux de la Sorgue sur le territoire de la commune du Thor, au moyen d’une digue qui était appelée la Cordelière, plus anciennement « la Prise du prévôt », plus antérieurement « Fourches de l’abbé » (furchas abbatis). À présent, cette prise a repris son nom initial. Ce canal avait été construit à une époque dont la date reste inconnue. On en trouve mention dans la charte de donation faite, le 9 juin 1101, par Rostaing de Béranger au chapitre métropolitain d’Avignon. Il conduit d’abord les eaux à l’ancien château d’Eguilles. Là, elles se divisent : une branche se rend à Avignon, l’autre à Sorgues.
Le canal faisait partie du domaine privé des souverains pontifes. À une époque très reculée, ceux-ci en avaient fait concession perpétuelle et incommutable à divers propriétaires, soit pour l’irrigation, soit pour actionner les machineries de leurs usines. De là, pour ces derniers, un droit exclusif et privatif dont ils avaient joui de tout temps, il avait été consacré par une foule d’actes et de sentences judiciaires.
Les droits des propriétaires des moulins de Sorgues sur ces eaux ont été d’abord mentionnés dans une transaction de l’an 1204. Dès cette époque, les frais de curage et d’entretien du canal avaient été supportés par les mêmes propriétaires. La transaction de 1204 avait eu pour but de fixer la part contributive de tous les intéressés.
Au début du 14ème siècle, le cardinal Ceccano institua la communauté des Célestins de Gentilly, et il leur donna les moulins alimentés par le canal.
Par une autre transaction de 1405, un garde commun avait été établi.
Dans une troisième transaction de l’année 1733, autorisée par le vice-légat d’Avignon Bondelmonti, les propriétaires des moulins du Pont-de-Sorgues étaient qualifiés de : propriétaires incommutables des eaux de la Sorgue depuis le moulin de Vedène jusqu’à la grande Sorgue dans laquelle se jette le canal. La force hydraulique et le vent étaient des éléments indispensables de l’économie : c’étaient les seules énergies qui faisaient fonctionner les fabriques. Au cours des siècles, les propriétaires des moulins ont eu aussi à lutter pour défendre leur droit. Par ruse, les fraudeurs obtenaient des vice-légats ou de la chambre apostolique de nouvelles concessions qui provoquaient la baisse du niveau des eaux, privant les usines d’un volume d’eau nécessaire à leurs activités. La preuve en est dans une sentence du 7 mars 1674 contre VANY qui avait obtenu par des moyens indélicats des autorités une concession d’arrosage. Le tribunal de l’auditeur général de la légation d’Avignon, s’appuyant sur l’accord conclu en 1204, avait prononcé un jugement en faveur des maîtres des moulins. Depuis lors, cette sentence fut toujours exécutée jusqu’au 29 décembre 1783 où messieurs Vernety et Guérin obtinrent une concession d’eau de la chambre apostolique de Carpentras, à l’insu des propriétaires. La Révolution française empêcha de donner suite à une nouvelle procédure. À la suite de quoi la propriété du canal devint propriété nationale et d’utilité publique. Le canal de Vaucluse fut régi et administré, sous la surveillance du Préfet, par un syndicat composé de neuf membres pris parmi les propriétaires intéressés à sa conservation, soit comme usiniers, soit comme arrosants.
Des règlements particuliers furent établis :
1) un arrêté du 5 frimaire an VII réglait l’établissement des divers déversoirs, tant pour l’usage des usines que pour l’irrigation des terres circonvoisines.
2) un décret impérial, du 22 octobre 1808, établissait un syndicat chargé de l’administration du canal,
3) une ordonnance royale, du 16 mai 1842, portait réorganisation du syndicat,
4) un décret impérial, du 23 juin 1853, soumettait la pente du canal et la hauteur des aubes des roues dans l’intérieur de la ville.
Il fut défendu aux propriétaires des roues d’établir dans le canal tout ouvrage de nature à gêner le cours de l’eau et en exhausser le niveau. Il leur fut pareillement interdit de faire dans leurs établissements tout changement qui aurait pour effet d’accroître le travail des roues et d’opposer au mouvement de l’eau une plus grande résistance.
Le syndicat délibérait sur tout ce qui avait rapport à l’amélioration et à l’entretien du canal, il faisait dresser des devis de travaux et des réparations jugées nécessaires Le préfet nommait des gardes chargés de la surveillance de chaque branche. Il votait les taxes nécessaires.
Chaque année, au printemps, le canal était mis en chômage, et les propriétaires riverains devaient enlever les arbres, broussailles et autres objets qui pouvaient gêner le libre cours des eaux.
A défaut, il était procédé d’office à l’enlèvement de tous ces objets par les agents du syndicat.
Les propriétaires ou les locataires des maisons riveraines sur le lit du canal, à l’intérieur de la commune, étaient tenus, sur la réquisition des agents du syndicat, d’ouvrir les trappes par lesquelles les déblais de repurgement étaient retirés.
Dans le but d’empêcher l’abus d’usage des eaux, tous les concessionnaires d’espassier servant à dériver les eaux pour l’irrigation ne pouvaient avoir une ouverture qui dépasse la forme qui était déterminée par les règlements. Nul ne pouvait pratiquer des tranchées sur les bords du canal pour arroser son terrain.
Les propriétaires d’usines ne devaient pas mettre d’obstacle à l’usage des eaux directement ou indirectement. Pendant la saison des arrosages, les eaux ne pouvaient être détournées du canal que hors le temps accordé pour l’arrosage. (Arrêté préfectoral du 1er septembre 1812).
Les actions en justice entre propriétaires étaient fréquentes, malgré le règlement précité qui tentait d’assurer l’égalité entre usiniers et propriétaires arrosants. Ainsi, en 1850, on vit se réactiver le procès qui avait été entamé sous l’ancien régime, en 1674, entre messieurs VANY et GUERIN, par leurs ayants droit respectifs : messieurs de Roussas, Imer et de Montfort d’une part contre messieurs Floret et d’Albignac.
En 1875, le canal de Vaucluse permettait à neuf fabriques de travailler, c’étaient les usines Beaudran, route de Vedène, Jullian sur l’emplacement de laquelle se trouve la salle des fêtes, Michaëlis, à présent les bâtiments communaux de la rue de la coquille, de Roussas au quartier du Ronquet, de Montfort, à l’emplacement du rond-point de la fontaine, enfin l’usine Leenhardt, à présent l’immeuble englobant la bibliothèque « Jean Tortel »… De plus, un bief alimentait l’usine Roux, rue Saint-Hubert (anciennement rue de la Ferraille), l’usine Floret à la Floride et l’usine Granier au domaine de Fontgaillarde.
Raymond Chabert