Il y a 100 ans, en octobre 1913, Siméon Ternier ouvre le cinéma leTivoli,événement immortalisé par Braque qui, travaillant à Sorgues avec son ami Picasso sur la technique du papier collé, utilise l’affiche d’annonce d’ouverture pour un tableau devenu célèbre: LeDamier de Braque. Sur l’affiche utilisée par ce dernier, on trouve les films projetés, LaPetite Fifi, Effort Suprême et Vers le Pardon,suivis d’autres représentations dont un western, Cow-boy Millionnaire ainsi que Petits métiers du Caucase, Polycarpe sur lefil et Revanche d’un Brave. Les films muets, en noir et blanc, avaient souvent un accompagnement musical donné par un orchestre. 

 

Sorgues a donc été une commune de France rapidement équipée d’un cinéma exceptionnel pour cette époque, car cette technique en était à ses tout débuts, puisque la première projection en France a été faite à La Ciotat en 1896 par les frères Lumière avec Arrivée du train en gare, très court métrage d’une minute. Par la suite, Sorgues a eu deux autres cinémas, le Modern, devenu le Provence, et le Lux.

Le plus ancien des cinémas, le Tivoli

Il était situé place de la République, face à l’imposant moulin à farine, La Minoterie duPortail, et nous ne disposons que de rares photos de ce cinéma avant de devenir le Tivoli. L’emplacement était utilisé pour un bal en plein air, on l’aperçoit à l’angle de la rue, sur cette photo prise en 1904. 

Les quelques photos du Tivoli sont souvent des cartes postales, et la plus ancienne semble être celle-ci, que nous avions nommée la photo du tirailleur sénégalais, lors de notre recherche de datation.

Cette dernière pourrait se situer entre 1914 et 1918, il y avait un campement de tirailleurs sénégalais installé place de la gare où se trouve actuellement Dia.

Après agrandissement de la photo ci-dessous, on peut lire l’affiche du Tivoli qui est La Mère coupable, d’après une pièce de Théâtre de Beaumarchais.

La date de la photo ci-dessous a été plus facile à identifier car, en agrandissant l’image, on y voit des annonces de films dont la Flèche d’Or, d’Alfred E Green, tourné en 1936, c’est donc autour de cette période qu’elle a été prise.

Les deux photos suivantes semblent avoir été prises à la même époque, très certainement aux alentours de la Seconde Guerre mondiale, avant ou après, mais rien ne permet de l’affirmer car la qualité de l’image ne permet pas de lire le titre du film annoncé.

 

Dans l’historique du Tivoli, tout a commencé par Siméon Ternier qui, après avoir bâti lui-même l’immeuble sur un terrain loué à Mme Dumas pour douze ans, ouvre le Tivoli le 31 octobre 1913, avec les représentations déjà citées. Il décède en avril 1918 à Sorgues, sa veuve continue à l’exploiter et le vend en 1921 à messieurs Julien Vidal, Pierre et Étienne Genevet. Vidal cédera ses parts en 1937 à la famille Genevet qui va le gérer jusqu’en 1953, date où elle le vendra à monsieur Calid. Il était l’homme à la jambe de bois qui tenait aussi le bar devenu plus tard le Chiquito. Ce dernier le loue en 1955 à René Cherry qui, à son tour, va l’exploiter jusqu’en 1965. Ensuite, c’est Pierre Boudon qui le rachète, mais il est contraint de le fermer, car il avait aussi le Lux et le Provence et, surtout, parce que la télévision commençait à s’implanter dans les foyers.

C’est la fin de la période de gloire du cinéma en France, et Sorgues n’est pas épargné. Aussi Pierre Boudon le vend à M.Vial qui va le transformer en local commercial, puis en immeuble locatif auquel il a donné le nom de Tivoli. Dans ma recherche, j’ai contacté R.Cherry, c’était peu avant son décès, et il m’a confirmé n’avoir aucune photo de cette époque. Quant à ses souvenirs, la maladie était trop avancée pour les évoquer, et c’est avec regrets qu’il n’a pu me répondre.

Le Modern devenu plus tard le Provence,

En 1923, Agricol Bonneaud le créa, sous le nom de CasinoModern. Pourtant bien situé, la réussite ne fut pas au rendez-vous, obligeant A.Bonneaud à s’associer avec les frères Genevet en 1924, avant de fermer rapidement. Ouvert à nouveau en 1941, le Modern fonctionna jusqu’en 1956, date où il fut encore fermé, puis repris et transformé en 1960 par René Cherry pour devenir Le Provence. Ce dernier l’exploite jusqu’en 1965, date où il est acheté par P.Boudon qui continue à le gérer pendant une décennie. En 1975, il le vend à M.Champanhet qui transforme l’intérieur pour en faire une "quincaillerie", Plus tard, il est réhabilité en un lieu de spectacle, pour devenir ce qu’il est actuellement : Le Théâtre l’Astrolabe.

De ce cinéma, je n’ai pu rassembler que deux photos, l’une du Modern est de 1938 et d’une excellente qualité, car elle permet de voir le décor de l’époque, ainsi ce fameux balcon avec, au milieu, le panneau de protection des appareils de projection. On y voit aussi, au fond de la salle du bas, les tuyaux des deux poêles à charbon qui servaient de chauffage, zone très recherchée l’hiver. 

La seconde photo du Modern, devenu le Provence, a été prise en 1961 car, après agrandissement, on y voit les films à l’affiche, Les Rodeurs de l’Aube avec Rodolf Scoott, et Le voleur de Bagdad.

Nombreux sont ceux de notre génération à avoir connu cette transformation; aussi, dans nos souvenirs, les deux noms sont intimement liés.

Le cinéma Lux… Pierre Boudon se souvient…

Tout a commencé après la guerre, en 1945, quand Pierre Boudon transforme le bâtiment dans lequel son père et son grand-père commercialisaient les "Grains & issues".Celui-ci deviendra une salle de bal qui portera son prénom "Pierre".

La salle était magnifique avec, à l’entrée un vestiaire et un bar, ainsi que des tables et des chaises, une scène en bout de piste pour l’orchestre, plein de bancs tout autour de la piste pour les mères qui, à cette époque, accompagnaient leurs filles.

Hé oui !...les filles de cette époque étaient sous surveillance !!! 

Nombreux ont été les filles et garçons de cette génération à se marier, après s’être connus dans cette salle de bal, seul lieu de rencontre, et c’est avec nostalgie que bien des années plus tard, ils ont assisté à la démolition des bâtiments.

En 1952, Pierre Boudon transforme la salle de bal en cinéma qu’il appelle le Lux, non pas comme diminutif de luxueux, mais par analogie à l’unité de lumière « le lux » car, comme le montrent les photos ci-dessous, il y avait des rampes de lumière importantes des deux côtés. La salle disposait de 720 places en quinconce avec, en plus, 100 strapontins en décalage afin de permettre le passage de la sécurité sur les côtés.

La salle était en dénivelé du fond vers l’écran pour éviter la gêne occasionnée par les spectateurs de devant. Il y avait un passage très large sur le tiers avant de la salle permettant d’aller d’un côté à l’autre sans devoir passer par les extrémités de cette dernière.

Elle servait non seulement de salle de cinéma, mais aussi de lieu culturel pour des pièces de théâtre, de salle de remise des prix pour les écoles, de salle de spectacle pour des chanteurs et des groupes musicaux.

Photo du hall d’entrée qui donnait sur la route Nationale, avec les deux portes vitrées, pour l’accès à la salle et au bar qu’on devine sur la droite de l’image.

Hall côté Bar dont l’accès, à droite de la photo, donnait sur la rue Auguste Baudoin.

La salle avec les rideaux publicitaires apparents.

Photos de Raymond Chabert sur les rideaux publicitaires du Lux

Photo prise dans les années 60, lors d’une projection pour le Noël de l’école des filles.

Autre photo du Noël des écoles des garçons, prise dans les années 60.

Projection de dessins animés pour le Noël des enfants, années 60.

Photo du Noël des enfants de l’usine Pechiney St Gobain, année 1966.

Photo des écoles, projection de film ou de remise de prix, prise en juin 1964.

Photo non datée, et que P.Boudon situe aux alentours de 1964.

 

Photo de Noël de l’usine La Rochette CENPA en 1966.

Photo de l’entrée principale du Lux, côté route d’Orange en 1986.

En 1986 Pierre Boudon, après de bons et loyaux services, et à cause de la venue de la télé, des multimédias et tutti quanti, ainsi que du temps qui le fait vieillir…me dit-il, a dû se résigner à fermer la salle. Les bâtiments ont été achetés par la mairie, puis transformés pour en faire un parking …de Luxe !

Démolition du Lux le 03-10-1994.

J’ai rencontré Pierre Boudon en décembre 2012 avec son épouse car, depuis la disparition de René Cherry, il est la dernière mémoire vivante de l’histoire des cinémas de Sorgues. C’est avec une extrême gentillesse qu’il a accepté de me raconter ce qui a été pour eux cette vie avec le cinéma, afin que ceci ne se perde pas un jour. Pour le plus grand bonheur de nous tous, il a recherché et classé les photos qu’il avait gardées de cette époque, elles attendaient bien sagement au fond d’un tiroir, et des gens de notre génération pourront s’y retrouver.

Je l’avais sollicité car je voulais faire un diaporama, afin de le projeter à la salle des fêtes de Sorgues lors des rencontres annuelles que nous faisons entre copains de la classe 46 élargie. Il connaît bien l’historique des cinémas de Sorgues pour avoir été, pendant une période, propriétaire et gestionnaire des trois cinémas qu’il a dû malheureusement dans le temps se résigner à fermer l’un après l’autre.

Lors de cette projection, il est venu avec son épouse en tant qu’invité d’honneur, car il est resté pour ceux de notre génération, monsieur Cinéma. C’est avec une grande émotion et les larmes aux yeux qu’il a commenté la projection, agrémentant celle-ci de nombreuses anecdotes comiques de cette époque glorieuse où Sorgues avait trois cinémas. Ce fut pour nous tous un moment inoubliable, empreint d’une intense émotion car, au travers de ses commentaires, on voyait cette vie passée avec le cinéma qui s’écoulait, alors que pour nous …c’était notre jeunesse qui défilait !

Pierre Boudon, chez lui autour de ses photos souvenirs, fin décembre 2012.

Des pièces exceptionnelles ayant traversé les années, grâce à des passionnés.

 Annonce d’ ouverture du Lux de 1952 et calendrier du Lux de Pierre Boudon de 1960 :

 Tickets de cinéma de Martine Garcia, de Jean-Paul Blandiniéres et tampon de l’imprimeur du Lux, de R.Chabert, daté 1965

Programmes annonce du Lux de 1954 et 1955 de Raymond Chabert.

Que de souvenirs nous ont laissés ces trois cinémas qu’étaient le Lux, le Tivoli et le Moderne devenu plus tard le Provence. Ils ont marqué notre enfance, à une époque où le « noir et blanc » était roi. Chacun possède en soi les souvenirs de cette période où la seule distraction de la semaine était une place au cinéma. Ces projections du dimanche avaient quelque chose de magique, instant empreint d’une intense émotion quand la lumière s’éteignait, que la pellicule se mettait en marche et que les images s’emparaient de l’écran.

On se souvient encore de cette publicité Jean Mineur où le petit garçon arrivait avec sa lampe de mineur et sa pioche qu’il lançait sur la cible où le 1000 se transformait en 001 Balzac Champs Élysées, ainsi que la pub de Dubo…Dubon…Dubonnet qui vantait les mérites d’un apéritif au quinquina! On avait aussi droit aux actualités du moment, souvent des évènements récents, politiques ou autres et surtout aux courts métrages qui, dans le temps, sont devenus des chefs-d’œuvre; Charlie Chaplin, Laurel et Hardy en étaient les vedettes.

Ensuite venait l’entracte, avec la traditionnelle ouvreuse qui circulait avec la pub Miko sur le tablier, elle nous proposait des friandises, et la lumière s’éteignait à nouveau pour laisser la place au film.

L’apparition de la télévision a apporté sa part de responsabilité dans l’individualisation de la société, car le cinéma, hormis ce côté agréable, avait un côté social. C’était aussi un lieu de rencontre, les gens se disaient bonjour et se parlaient de ce qui s’était passé dans la semaine, et les « potins » allaient bon train jusqu’à la semaine suivante !

 

Les Cinés d’antan

 

Je garde en moi les noms de ces trois cinémas,

 

Souvenirs lointains que le temps n’efface pas,

 

Magie que le noir et blanc nous ont apportée,

 

Chantant à nos oreilles ces films du passé.

 

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Au Lux, au Tivoli, ainsi qu’au Provence,

 

Ces films d’antan ont bercé notre enfance.

 

Ils ont marqué ces moments au fond de nos cœurs

 

Qui, tant d’années après, en gardent ce bonheur.

 

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Il y avait ces courts métrages en tout début,

 

Chefs-d’œuvre amusants et tant attendus,

 

Dans lesquels Laurel et Hardy se taquinaient

 

Et Charlie Chaplin, sur sa canne, se dandinait.

 

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C’était une époque sans médias ni télés,

 

Le bon temps de la cheminée et des soirées,

 

Celui de ce passé ancien qui nous revient

 

Et qui, pour notre âme, reste toujours divin.

 

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Hélas ! le désert est venu sur nos cinés,

 

Petit à petit, il les a tous submergés.

 

Et ces souvenirs que le temps jadis retient,

 

Nous en sommes devenus les derniers gardiens.  

 

Remerciements

 Je tiens à remercier les personnes qui m’ont permis au travers de cet article de regrouper le maximum d’informations sur les trois cinémas de Sorgues.

- Martine Garcia pour son ticket d’entrée du Tivoli, version balcon, qui a été le déclencheur de cette recherche.

- Jean-Paul Blandinières pour son ensemble complet de tickets des trois cinémas, Tivoli, Provence et Lux.

- Paul Establet pour cette photo unique du Modern de 1938, et sur laquelle se trouve son oncle.

- Alain Sicard pour la datation de la photo du tirailleur sénégalais

- Raymond Chabert pour son aide précieuse dans la réalisation de cet article, pour l’ensemble de l’historique du Tivoli, et du Modern, ainsi que pour toutes les photos du Tivoli, des programmes d’annonces du Lux, des rideaux du Lux, de la démolition du Lux, ainsi que du tampon de l’imprimerie des annonces du Lux qui était le seul imprimeur des cinémas de France, sauf de Paris.

- Pierre Boudon, pour la totalité de sa collection de photos du Lux, pour la photo du Provence qui est unique, et pour la gentillesse qu’il a eue d’avoir accepté de partager avec nous ses nombreux souvenirs. Il est et restera le Monsieur Cinéma de notre génération !

 

François Quinonéro