Dernier survivant de la saga des Gavaudan et héritier de son atavisme, Pierre Gavaudan appartient à une famille qui a sillonné le Sud-est de la France, et dont l’origine remonte au célèbre troubadour du Moyen-Âge Gavaudan le Vieux, qui vivait dans le Velay. Il est entré dans l’univers terrestre et humain le 25 juillet 1905 à Montpellier, dans un milieu où la science côtoie journellement l’art. En effet, son père Alphonse Gavaudan, né le 16 août 1877 à Sorgues, est licencié ès sciences, pharmacien, mais aussi premier violoncelle de l’orchestre philharmonique de Montpellier. « Grandir au contact même de la science et de l’art entraînait chez moi une forme de familiarité précoce avec ces domaines d’activité et paradoxalement il y avait comme une aura de mystère qui les entourait ».
Ses ancêtres comptent de nombreux artistes lyriques qui se sont illustrés brillamment à l’Opéra-Comique de Paris, en particulier Jean-Baptiste Gavaudan (1772-1840) et son épouse Alexandrine - Marie Ducamel (1781-1850), et Jean-Fulcran Bosquier - Gavaudan (1776-1843). Sa mère, Hélène Fominoff, née le 1er janvier 1881 à Tiraspol (aujourd’hui situé en Moldavie), est sage-femme diplômée de l’université d’Odessa. Attirée par le renom de la Faculté de médecine de Montpellier, elle y vient pour parfaire ses études. Ses parents sont artisans pâtissiers et ont une spécialité : les tresses en pâte feuilletée. Alphonse Gavaudan est chef de travaux à la Faculté de pharmacie en chimie et toxicologie et il tient l’officine de son père Jules au 26 rue de la Loge.
Alphonse Gavaudan et Hélène Fominoff se marient le 15 octobre 1904. Attendant vaine-ment un poste de maître de conférences à la Faculté de Pharmacie qu’il n’obtient pas, Alphonse décide d’ouvrir une pharmacie à Paris et d’y faire des études de médecine. C’est un homme laïc, démocrate, franc-maçon, patriote, attaché aux valeurs républicaines, défenseur de la dignité humaine. Ses idées politiques sont progressistes mais n’adhérent à aucun parti poli-tique ; sa philosophie est plutôt voltairienne. « Pour mon père, Voltaire représente un modèle d’intellectuel engagé pour défendre les valeurs universelles de l’humanité, de justice, de tolérance, de liberté de penser et de croire ». Il a un caractère vif et spontané, enjoué et optimiste. Il s’intéresse beaucoup à l’histoire et à la littérature provençale. Grand amateur d’art, il a une passion : l’archéologie ; il effectue des fouilles en Provence et possède une collection de pièces archéologiques. « Ce qui intéressait mon père c’est l’étude historique du contexte des découvertes préhistoriques et archéologiques. En effet, il a fallu du temps pour que la découverte des silex taillés et des peintures rupestres soient admises par la communauté scientifique ; au début on croyait qu’il s’agissait de falsifications. Lorsque Jacques Boucher de Perthes prouva l‘existence de l’homme au quaternaire par la découverte de silex taillés mêlés à des restes de squelettes de grands mammifères d’espèces maintenant éteintes, tous les savants se lancèrent dans une controverse qui durera vingt ans jusqu’à Albert Gaudry avec la reconnaissance officielle de la science préhistorique ».
En 1903, Alphonse Gavaudan écrit un texte non publié sur « L’origine de la matière vivante dans la matière brute » qui, sans doute, influencera plus tard son fils sur cette question essentielle de l’origine. « L’étude de la préhistoire nous plonge aux origines de la science, et la connaissance biologique a commencé quand l’homme préhistorique a étudié et utilisé son environnement végétal et animal pour survivre et qu’il s’est interrogé sur sa propre vie ».
La famille « monte » à Paris en 1909 et s’installe au 114 boulevard de Charonne dans le XXème arrondissement, non loin du célèbre cimetière du Père-Lachaise. L’officine est au rez-de-chaussée, et le logement au premier étage comme beaucoup de commerces à Paris. Depuis le second Empire jusqu’à nos jours, il y a toujours une pharmacie dans cet immeuble. A cette époque, la pharmacie est un lieu où l’on peut parler librement, exposer ses problèmes et demander des conseils. Le pharmacien est un notable respecté, souvent sollicité pour ses connaissances scientifiques et son service social ; en plus de son rôle principal dans la délivrance des médicaments, il réalise des préparations et fait des analyses médicales, car « plus qu’une science la pharmacie est un carrefour de disciplines au service de la science et de la santé ».
En bon pharmacologiste, Alphonse met au point un médicament pour l’appareil digestif dénommé « Hyposthénine ». Il soutient sa thèse de médecine en 1913 sur « La benzaldéhyde réaction d’Erlich dans les cardiopathies » (2) sous la direction du professeur Henri Vaquez de l’Hôpital Saint Antoine, puis exerce la médecine libérale à partir de cette date jusqu’en 1941, lorsque lui et son fils seront recherchés par la police allemande dans Paris occupé, et qu’il décidera de l’exercer dans sa maison familiale de Sorgues. C’est Laurentine Théry, née en 1881, qui est la « nounou » du petit Pierre. Jusqu'à la fin de sa vie, elle sera la confidente de ses joies et ses peines ; il y a entre eux une relation de grande affection et de confiance totale . Plus tard, elle suivra Pierre et son épouse dans tous leurs déménagements.
A quatre ans, le petit Pierre est déjà doté d’une prodigieuse mémoire : il apprend avec son père tous les os du squelette humain, et la composition de la célèbre tisane aux quatre fleurs. Il possède une intelligence rare et un esprit très créatif. Il partage sa vie avec celle des enfants du village de Charonne, parmi lesquels de nombreux enfants juifs, sous l’œil vigilant et plein de compassion de sa mère qui voit tous les enfants de la rue comme les siens. Là, entre le cimetière du Père-Lachaise et le chemin de fer de la petite ceinture, le château de Bagnolet, le tramway du boulevard de Charonne des lignes La Villette-Nation et Montreuil-Louvre, et l’église Saint Germain de Charonne, c’est la vie de tout un village qui s’offre aux yeux et aux oreilles de Pierre. A sa naissance, le XIXème siècle était encore tout proche avec ses œuvres et ses idées philosophiques, littéraires, scientifiques et politiques qui ont nourri les pensées et les rêves.
De son enfance surnage, comme après une centrifugation de laboratoire, tout un flot de sensations visuelles, auditives et olfactives de ce Paris de ce début de siècle. Pierre a un côté espiègle et malicieux à faire des farces, et gardera ce caractère toute sa vie en étant quelque peu fantasque et en se faisant remarquer par son originalité et ses facéties. Il a tous les droits, y compris celui de grimper sur le toit de l’immeuble de la pharmacie. C’est l’animation compensatrice des nombreux enfants dont le père est parti combattre au front, entre la galopade dans l’escalier, la course sur le toit, la flotte improvisée sur l’eau des caniveaux, les disputes avec la concierge… Il commence ses études à l’école communale toute proche, au 54 rue Planchat. C’est l’époque où l’enseignement scientifique à l’école primaire se donne sous la forme des « Leçons de choses », et la place donnée aux images est importante, avec les célèbres planches Deyrolle. Cet enseignement est aussi marqué par l’action du député et biologiste Paul Bert – qui devient ensuite ministre de l’Instruction publique – avec son manuel : « Cours élémentaire de sciences physiques et naturelles ».
Gavaudan hérite de l’exubérance de son père et de la générosité de sa mère, ce qui lui donne un tempérament bien équilibré, tant sur le plan affectif que philosophique, et qui sera plus tard à la base de cette attirance qui émane de lui. « Ce qui m’a formé c’est « l’école buissonnière » que mes parents me laissaient pratiquer, mais en la dirigeant intelligemment et en me commentant tout ce que je leur disais avoir vu ou découvert ». Ceci n’est pas sans nous faire penser à Anatole France : « De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a parue la meilleure »i. Il grandit dans une atmosphère pleine de richesses intellectuelles, de souvenirs familiaux et de chaleur humaine. Son père lui apprend le savoir, mais aussi la nécessité de l’action pour défendre ses convictions ; il lui transmet une philosophie « d’homme libre ». Dans cet environnement libéral et culturel intense, tout va lui sourire jusqu’à la Grande Guerre de 1914 où son père est appelé a servir l’armée française comme médecin capitaine et directeur de l’hôpital du fort de Langres, à vingt kilomètres des premières lignes de combat. A partir de ce moment-là, commence pour Gavaudan, resté à Paris auprès de sa mère qui dirige la pharmacie, une période extrêmement difficile sur le plan psychologique, et qui le marquera pour le reste de sa vie.
Le garçon ne se console pas de la souffrance de la guerre dont il entend le récit, ni ne supporte l’absence de son père, ou les tirs des canons allemands sur Paris. Il devient triste et taciturne ; c'est pourquoi son père décide de venir le chercher et l’emmène avec lui à Langres, où il séjourne six mois pour retrouver son équilibre psychologique. Il est pris en charge sur le plan scolaire par l’aide de camp de son père, qui est instituteur. A son retour à Paris, Pierre a retrouvé le bonheur de vivre et la joie de la connaissance : « La vie n’a repris pour moi de belles couleurs qu’après mon séjour à Langres ». C’est sa mère qui est alors son institutrice ; elle lui lit les mémoires des maréchaux d’Empire et elle pressent très tôt chez lui une sensibilité particulière, son imagination, son inquiétude, son amour de la nature ; il rêve d’apaiser les souffrances des autres. La Grande Guerre condamne au repli sur soi ; les hommes sont au front, les femmes exercent la régence. Sa mère aime et connaît particulièrement bien la civilisation française ; elle fait de son mieux pour lui donner une éducation reposant sur le dialogue et le respect. Ainsi, le malheur de la guerre contribue-t-il à développer et exprimer cet amour réciproque.
En 1917, Gavaudan est atteint d’une néphrite chronique consécutive à une scarlatine ; cette maladie évolue en néphrite aiguë avec albuminurie, et sa mère sera toujours soucieuse de sa santé. Il ne reprend ses études qu’en 1918 en entrant au Lycée Voltaire, avenue de la République. « Le silence éternel des espaces infinis » de Pascal l’interroge, et son père lui achète une lunette astronomique et sa première carte du ciel. Gavaudan passe des soirées à observer les étoiles : il est fasciné par le monde cosmique. Son parcours mouvementé et atypique lui inspire anticonformisme et antidogmatisme pour toute la vie ; cette indiscipline de jeunesse se transforme plus tard en « indisciplinarité » buissonnière du chercheur.
Le bois de Boulogne et le cimetière du Père-Lachaise – le plus grand espace vert de Paris – sont ses promenades favorites. « Je cheminais à travers les allées de ce jardin des dernières demeures à la recherche des tombeaux de nos grands hommes qu’ils soient écrivains, artistes ou scientifiques et j’admirais surtout les magnifiques sculptures qui symbolisent la vie et non la mort. C‘était pour moi comme une quête métaphysique sur la destinée humaine ». En effet, ce jardin des morts n’est pas triste et, du haut de sa colline ombreuse, il est beau de promener sur l’immense Paris un regard enivré. Jean-Pons Viennet a particulièrement bien décrit ce que l’on peut ressentir au Père-Lachaise : « C’est à pied, c’est en philosophe, que, par un beau soleil de mai, je me suis acheminé vers l’illustre rendez-vous de tous les morts de bonne compagnie. Je cherchais à dissiper les sombres vapeurs d’une mélancolie profonde. J’étais dans un de ces moments assez familiers aux poètes »1.
Le garçon aime les animaux, et ses parents lui offrent un chien ; c’est pour lui un accompagnement lié au bonheur de vivre, mais aussi une première manifestation de son questionnement et de son attachement au mystère de la vie. Au cours de sa scolarité, il se montre un élève brillant et doué en lettres, sciences et arts. Il est séduit par les mathématiques, dont la rigueur satisfait son esprit logique : il est fasciné par leur efficacité et leur beauté. Curieux de tout, il possède déjà cet esprit très ouvert et pluridisciplinaire qui le caractérisera durant toute sa vie ; il s’enfièvre d’ouvrages en tout genre, et il perçoit le côté philosophique et poétique des sciences naturelles en emplissant et nourrissant son imagination fantaisiste et débordante de tout ce qu’il lit : « Je papillonnais à travers les livres et les magazines scientifiques de l’époque : la Science et la vie, la nature, Sciences et voyages, Je sais tout; je ne lisais pas seulement, je pensais, construisais ...Curieux des problèmes relatifs aux origines, je rêvais de construire une sorte de cosmogonie qui engloberait toutes les idées sur les origines de l’univers et de la vie. …Cette quête de l’homme depuis son origine sur les origines me passionnait. La science, pour moi, se personnifiait en Camille Flammarion avec la Pluralité des mondes habités, Charles Darwin avec la descendance avec l’homme, Louis Pasteur avec la théorie des germes …Les plus archaïques légendes mythologiques, les plus vieux livres sacrés des religions commencent toujours par un récit de la création du monde et il semble que l’une des premières questions que l’homme primitif se soit adressée à lui-même, aussitôt qu’il a eu le loisir de réfléchir sur son propre sort, ait été précisément celle du « Commencement » de la nature au sein duquel il vivait. »
L’aventure cosmique de la vie le passionne dès l'enfance ; cela le poursuivra durant toute sa vie : il est remarquable de constater que, soixante ans plus tard, il élaborera une théorie du vivant soumis au code général de l’univers. Son père lui procure un microscope de la pharmacie et il se plonge avec passion dans l’infiniment petit biologique, passant des heures à observer les merveilles de ce micromonde. La plupart des substances de la pharmacie, ainsi que des bouillons de culture et des prélèvements de mare et de plantes, passent sous son objectif grossissant. Pour lui, la vie dans sa complexité interne, cachée, n’exclut pas la beauté quand l’homme sait la voir avec des yeux d’artiste. A partir de ce moment, la microscopie ne le quitte plus et devient son premier et principal thème de recherche.
Pierre est attiré par toutes les expressions artistiques : il apprend le piano et façonne très jeune sa propre technique : « Le piano représentait pour moi comme l’instrument aux ressources universelles. Instrument de musique dans lequel l’homme se projette jusqu’à l'humaniser, le personnifier ; le piano est l’instrument le plus apte à recueillir toute la sensibilité et l’imagination humaine ». Il fait ses gammes non seulement en musique mais aussi en littérature. Il manifeste un véritable « élan vital » en transposant un concept de la philosophie biologique à l’homme, et apparaît manifestement comme un élève très sérieux et consciencieux, qui se voit décerner des récompenses lors des distributions solennelles des prix. Dès l’adolescence, il forge son écriture d’adulte : une étonnante graphie à la fois si personnelle et si lisible, véritable guirlande d’arrondis, de boucles et de spirales, sans nul doute expression graphique de la beauté de la vie. Très tôt, il acquiert l’amour des langues et se révèle passionné de philologie, ce qui l’amènera plus tard à être traducteur.
Le jeune Gavaudan fait la connaissance au lycée de deux condisciples qui deviendront des personnalités : André Lwoff (1902-1994), biologiste, et Edgar Faure (1908-1988), homme politique. Il est marqué par l’enseignement de son professeur de philosophie, Charles Lalo (1877-1953), personnalité connue du monde universitaire, auteur de plusieurs ouvrages sur l’esthétique, en particulier « L’expression de la vie dans l’art ».2 Au lycée, Gavaudan dirige un petit journal interne des élèves de l’établissement, « La Gazette de Voltaire ». Pendant sa jeunesse, il lit beaucoup de livres de littérature et de philosophie : il souligne des phrases, écrit des notes dans la marge, créant des marginalia contemporaines, fait ses commentaires à son père.
Il se passionne pour les grandes questions métaphysiques : la nature de la vie, la signification de la mort, l’existence de Dieu, et il a envie de faire des études de lettres ou de philosophie, mais… « Cela ne nourrit pas son homme, à moins de devenir professeur ! » lui dit son père. Très tôt, il est attiré par le désir de comprendre les phénomènes de la vie. Son goût pour la biologie est développé par son père, qui l’emmène dans ses tournées. En bon pharmacien, il lui apprend le nom des fleurs, des champignons et l’initie à la vie merveilleuse de la forêt, comme celle de Fontainebleau dont il connaît le nom de toutes les espèces d’arbres. Recherchant des fossiles avec son père, Pierre participe aussi à des fouilles géologiques. Les premières leçons de science données en peine nature, sont accueillies avec une avidité extraordinaire, et le père reste confondu devant une vocation si précoce et si passionnée. Les circonstances sont telles que cette vocation peut se préciser, se satisfaire, et conduire à l’œuvre admirable que Gavaudan le biologiste a laissée. Son père l’emmène au musée des Arts et Métiers : en ce temps-là, ce n'est encore qu'un bric-à-brac surréaliste et poussiéreux, qui laisse une impression mystérieuse. Les automates mécaniques qu’un fil d’or fait mouvoir émerveillent le jeune garçon : « J’étais fasciné par cette vie artificielle des automates ; cela éveillait en moi la question de la vie et, sinon de sa synthèse du moins de son imitation ». Quarante ans plus tard, il écrira : « Toute pâle imitation, à peine plus perfectionnée que le canard de Vaucanson, l’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam ou que nos robots électroniques modernes les plus sages, décevrait profondément ceux qui, se souvenant que l’être animé a engendré la pensée, espèrent inlassablement qu’en retour la puissance créatrice de la raison redécouvrira peut-être ce chemin encore si mystérieux pour nous qui conduisit à la vie.»3
Comment ce jeune homme, nourri des humanités gréco-latines et des spéculations abstraites de la philosophie, aborde-t-il la science positive et la rude tâche d’arracher petit à petit ses secrets à la nature ? Et comment arrive-t-il à cette universalité et à cette unité du savoir qui le caractérisent ? Voilà ce qui est marquant dans sa vie, si pleine de contrastes et pourtant si équilibrée. Très jeune, il est intéressé par différentes expres-sions artistiques, comme le cubisme avec sa géométrisation de la nature ; c’est déjà sans doute le désir de formalisation de la biologie qui influence ses goûts esthétiques.
Fils unique, Gavaudan est choyé par ses parents et a pour eux un amour très profond. C’est un fils affectueux : il y a chez lui une tendresse filiale et, déjà, une angoisse de la fuite du temps. Il baigne dans un milieu où sont respectés l’idéal et les hommes qui fondèrent la IIIème République. Avec son père, il a des échanges fructueux sur la science, la médecine, la politique. Sa mère, toujours bienveillante, souvent in-quiète pour lui, notamment pour sa santé a, dès son enfance, une admiration pour sa quête scientifique.
Il passe son baccalauréat de philosophie en 1922. Pour ses études supérieures, hésitant entre la géologie et la biologie, il opte pour cette dernière à la Sorbonne et obtient sa licence ès sciences à vingt ans. « La biologie par sa singularité parmi les autres sciences faisait s’épanouir en moi des fleurs non seulement de connaissances scientifiques mais aussi de sagesse philosophique ». A la Sorbonne se côtoient la Faculté des lettres et la Faculté des sciences, ce qui favorise le croisement des savoirs. La nouvelle Sorbonne de l’architecte Nénot, achevée en 1901, est encore toute proche avec son dédale de galeries, couloirs, amphithéâtres et escaliers ; elle exhale déjà cette odeur si caractéristique mêlée de boiseries, de vieux livres et de pierres humides. A cette époque il n’y a qu’un cycle, et la licence se compose de trois certificats. Mais Gavaudan, avide de savoir, en passera quatre : la géologie avec Gustave Haug, la physiologie générale avec Louis Lapicque, la botanique avec Louis Blaringhem, la chimie biologique avec Gabriel Bertrand. Il trouve l’esprit de la Faculté des sciences un peu figé, et souhaiterait davantage d’interactions entre l’enseignement supérieur et la recherche ; aussi ne se limite-t-il pas à suivre ses cours de sciences naturelles mais s'inscrit également à la Faculté des lettres pour suivre les cours de Gaston Bachelard en philosophie des sciences. Il a Marie Curie en physique et Louis de Broglie en physique théorique. Gavaudan a besoin d’exprimer ses idées et, se trouvant brimé dans le milieu universitaire où il se trouve, il crée en quelque sorte son écosystème humain.
Daniel Girard
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(1) Il existe au musée Carnavalet de Paris une peinture d’Henri-François Rievener le représentant.
(2) Alphonse Gavaudan : La benzaldéhyde réaction d’Erlich dans les cardiopathies, Jouve, 1913.
(3) Laurentine Théry sera la première parmi les trois personnes que Pierre tutoiera, avec la fille et le petit fils de celle-ci, Jean-Claude Fondeville, qui sera son élève et collaborateur. C'est dire la force des liens entre eux.
(4) Anatole France : Le petit Pierre, Calmann-Lévy, 1918.
(5) Jean-Pons-Guillaume Viennet : Promenade philosophique au cimetière du Père-Lachaise, Ponthieu, 1824.
(6) Charles Lalo : L’expression de la vie dans l’art, Alcan, 1933.
(7) Pierre Gavaudan : Remarques et commentaires. Traduction Oparin : L’origine de la vie sur la terre, Masson, 1965.