1- Avant l'installation de l'eau de la ville
Jusqu'en janvier 1907, époque de la mise en service du réseau d'eau public, la commune de Sorgues n'était alimentée que de façon précaire.
À chaque élection municipale, les candidats inscrivaient dans leur programme l'établissement d'un réseau d'eau potable (conseil municipal du 3.07.1904).
La position de l'agglomération la divise en deux parties. L'une, la plus ancienne, est dénommée « le vieux Sorgues » ; l'autre qui était formée par les « quartier hauts » était à l'époque de création relativement récente, avec les parties de la ville nommées : la Peyrarde, la gare, l'Hôtel de Ville, le Badaffier et Maillaude.
Le « vieux Sorgues » est bâti sur un sol marécageux ne contenant pas d'eau potable (Conseil municipal du 9.06.1900 et du 3.07.1904). Il était équipé de 7 fontaines publiques alimentées par les sources de l'Orme, et par deux galeries de captage établies l'une au passage à niveau de la ligne de chemin de fer de Carpentras, l'autre au quartier de Chiquette, et de 8 fontaines desservies par les eaux non potables du canal du Griffon utilisées pour l'alimentation malgré les interdits. Les canalisations en terre cuite de Bollène recueillaient les infiltrations extérieures. Les eaux étaient suspectes. Les sources étaient pratiquement taries en période de sécheresse (Conseil municipal du 3.07.1904), nos concitoyens étaient alors obligés de s'approvisionner aux deux pompes publiques, avenue d'Orange, et à quelques rares puits particuliers (Conseil municipal du 3.07.1904). L'insalubrité des eaux était la cause de l'état endémique de la fièvre typhoïde (Conseil municipal du 26.02.1905). Lors de l'épidémie de choléra de 1893, l'Administration avait interdit l'usage de l'eau distribuée par le réseau existant. Les quartiers hauts s'approvisionnaient par des puits particuliers assez nombreux et 4 pompes publiques établies en 1875, sur puits, mais ici également la nappe aquifère était suspecte.
La recherche d'une nappe d'eau souterraine
Le problème qui se posait à la municipalité Bédoin était de livrer à chacun des habitants de notre commune une eau propre à la consommation. Il fut songé à la zone d'eau souterraine, secteur du Badaffier. Après étude, la nappe se révéla avoir des ressources limitées et il ne fallait pas songer ni à l'agrandissement des galeries existantes, ni à l'établissement de nouvelles galeries. Les experts arrivèrent à cette conclusion que les hauts quartiers ne pouvaient pas être alimentés par des captages naturels aux environs immédiats de Sorgues.
Le conseil municipal songea alors à une partie de territoire comprise entre Vedène et Entraigues ; il existait (il existe peut-être toujours) une masse d'eau souterraine très importante qui alimentait la commune de Vedène depuis de nombreuses années. Mais il fallait conduire cette eau par une canalisation de 4 kilomètres placée à son origine à 8 mètres de profondeur, d'où des dépenses très élevées pour un résultat problématique.
Après de longues études préliminaires, l'Administration communale fut conduite à rejeter l'adduction par gravité et à recourir, comme du reste dans la plupart des communes voisines, aux moyens mécaniques d'élévation permettant d'aller puiser, dans les nappes profondes, des eaux
pures et intarissables.
2 - Recherche d'une nappe d'eau pure
En ce début de vingtième siècle, 3400 habitants vivaient dans l'agglomération de Sorgues. Pour le Maire, Auguste Bédoin, et son adjoint Rémondon, il leur fallait trouver une nappe pouvant donner de 680 à 800 mètres cubes d'eau par jour.
Or, il n'existait sur le territoire que des puits appartenant à des particuliers et servant également à de petites industries, dont le débit était très faible.
Toutefois, le grand nombre de puits situés au quartier de Gentilly, l'existence simultanée de plusieurs sources, de l'existence du canal de Vaucluse susceptible de fournir la puissance motrice nécessaire, la proximité du réservoir de distribution, conduisirent à faire un premier essai dans un terrain situé en bordure de la ligne de chemin de fer de Sorgues à Carpentras et de la route d'Entraigues. En 1904, on creusa un puits, on le descendit à 7,50 mètres de profondeur et on se rendit rapidement compte que l'eau n'était pas assez abondante.
La commune s'orienta alors vers les nappes phréatiques du quartier de la gare, il fut rapidement reconnu que ces étendues d'eau provenant, sans aucun doute, des infiltrations des eaux de pluie n'étaient pas en grande quantité, elles non plus.
Après ces éliminations, l'idée vint aux promoteurs de rechercher des eaux artésiennes. Cette solution permettait de supprimer les pompes élévatoires. Cela paraissait la clé à tous les problèmes d'autant que des Entraiguois et des Montiliens venaient de capter une nappe artésienne.
Un expert, Joleaud, agrégé de géologie de la Faculté des sciences de Paris, après une étude attentive de la région fit connaître son point de vue « On pouvait arriver à trouver une nappe artésienne à une profondeur plus ou moins grande, mais son débit serait très probablement faible, étant donné que le puits était placé sur le bord du bassin présumé d'alimentation formé par les collines de Sorgues et de Bédarrides, tandis qu'au contraire les puits artésiens de Monteux et d'Entraigues étaient placés au niveau du bassin du Ventoux et des monts de Vaucluse et par suite dans des conditions plus favorables au point de vue de l'abondance de la nappe ; d'ailleurs, les argiles de Sorgues ne sont pas de la même formation que celles de Monteux et d'Entraigues ». La ville d'Avignon qui avait entrepris les mêmes recherches renonça à ce moyen de captage.
Il fut décidé que le puisage de l'eau se ferait dans la nappe souterraine existant au quartier Chaffunes, les constatations faites avaient permis de reconnaître, en ce point, l'existence d'une nappe haute et large. Le Doyen de la faculté des sciences de Lyon, qui avait été appelé à donner son avis, s'était montré favorable au nouvel emplacement du puits de captage.
C'était un lieu peu habité, les cultures s'y faisaient généralement sans épandage d'engrais. Le sol formé d'alluvions de sable et de graviers constituait un excellent filtre naturel. Il fut arrêté que son refoulement, à l'aide de pompes électriques, se ferait dans un réservoir, à bâtir, quartier du Caire. Ce lieu de stockage était suffisamment élevé pour permettre la distribution d'eau à toute la ville. Un architecte, B. Carle, fut chargé de réaliser le projet.
3 Réservoir de distribution
Le réservoir était en béton armé. Ce mode de construction offrait toutes les garanties de résistance et d'étanchéité pour un réservoir en élévation.
Les travaux avaient été divisés en trois lots dont les deux premiers furent donnés en adjudication publique, le troisième par un marché de gré à gré.
Le premier lot comprenait les travaux de terrassement, de bâtiment, de canalisation et de construction des éléments de distribution d'eau. Il avait été exécuté par l'entreprise Gérin de Nîmes pour la somme de 73.415 francs.
Les travaux du deuxième lot consistaient en la construction du réservoir entièrement en béton armé. Ils furent exécutés par l'entreprise Martin Henri d'Avignon, concessionnaire de la maison Hennebique. Lorsqu'en 1903 la municipalité, pour les raisons invoquées en début d'article, eut décidé de faire construire un château d'eau, elle demanda à des maisons spécialisées en béton armé des références sur les travaux qu'elles avaient exécutés. Une seule, la maison Hennebique put lui fournir une liste de près de deux cent cinquante millions de travaux en béton armé et notamment plusieurs milliers de réservoirs dont quelques-uns ayant 10.000 mètres cubes de capacité. Les autres maisons n'avaient à leur actif que des travaux de planchers et de cuves à vin sans importance.
Or, en 1903, le béton armé était presque inconnu en France, aucune opinion officielle n'était venue dire que les constructions faites en béton armé présentaient les mêmes « caractères de stabilité et offraient au public les mêmes garanties de sécurité que celles qui étaient édifiées avec des matériaux traditionnels. » (Instruction du ministre des travaux publics du 20 octobre 1906). Les ingénieurs de l'État, eux-mêmes, n'avaient aucune règle précise pour établir les projets en béton armé.
Dans ces conditions, seule l'entreprise Hennebique fut admise.
Pour le troisième lot, comprenant la fourniture et la mise en place des pompes élévatrices et leurs accessoires, le choix porta sur la maison Jadin, à la suite d'un concours restreint.
Le 17 décembre 1906, une commission, comprenant notamment Auguste Bédoin, maire de Sorgues, Ricard, directeur de l'usine du Griffon, Remondon, premier adjoint et Carle, directeur des travaux, procéda aux essais de réception. Pendant ces essais, la commission constata que le béton n'était pas fissuré et n'avait subi aucune déformation.
Le 18 novembre 1906, la même commission avait procédé aux essais des pompes électriques sises ancienne route de Caderousse. La durée des essais fut de 12 heures. Le 1er décembre 1909, cette même commission constatait que les appareils électriques ne présentaient aucune trace d'usure.
Le montant total des travaux s'éleva à la somme de 136.846, 50 francs.
L'installation de l'eau de la ville fut d'un apport abondant : 230 litres par habitant desservi.
C'était un chiffre élevé, étant donné que l'alimentation du bétail et le linge lavé s'effectuaient par les cours d'eau qui sillonnaient l'agglomération. Bien des grandes villes comme Lyon, Madrid, Avignon n'étaient pas aussi bien desservies.
Raymond CHABERT
Extrait de la 17ème édition des études sorguaises "Histoires et chroniques sorguaises" 2006