Louis Jou naît en Espagne le 29 mai 1881, dans le village de Gracia, maintenant quartier de Barcelone. Il était le fils aîné d’une modeste et honorable famille. Son père, maître d’atelier dans une fabrique et sa mère, couturière, l’ont placé vers huit ou dix ans, selon l’usage, comme apprenti à l’importante imprimerie barcelonaise Torquato Tasso. Là, le destin lui fait rencontrer le conseiller artistique de l’imprimerie, par ailleurs Conservateur de la Bibliothèque Arus, Eudald Canibel qui, séduit par la vivacité d’esprit et la voracité intellectuelle du jeune garçon, le garde dans sa sphère d’érudit, lui donnant ainsi la possibilité de se familiariser avec les trésors de la bibliothèque : manuscrits, incunables, belles reliures et, surtout, avec les riches calligraphies et typographies du monde hispanique.

A seize ans, il devient peintre en lettres. Il gagne mieux sa vie et peut commencer à aider financièrement sa famille. Il fait alors partie d’un cercle de jeunes gens intellectuels, musiciens, artistes, plus ou moins exaltés, plus ou moins anarchistes (c’est l’époque des émeutes ouvrières menées par Francisco Ferrer qui sera fusillé en 1909), et tous rêvent de tenter leur chance à Paris où la vie artistique est intense dans les années 1900. Jou se décide à y rejoindre son ami organiste Joseph Civil, en 1906. Il survit assez misérablement grâce aux dessins qu’il vend à l’Assiette au Beurre, au Rire, à Panurge, etc.

En 1908, il rencontre François Bernouard, imprimeur-éditeur, et crée avec lui La Belle Édition. S’affirme alors son talent de typographe, de graveur et de compositeur de beaux textes.

C’est pendant cette période, dite de la rue Dupuytren, qu’il fréquente Dunoyer de Segonzac, Apollinaire, Van Dongen, Edgard Varèze, Raoul Dufy, Léon-Paul Fargue, Émile Bernard qui fera son portrait, puis Paul Iribe, t’Serstevens, Léo Larguier, Albert Marquet qui lui fera découvrir Les Baux, Maurice Rostand, Jean Cocteau, Francis Carco, toute une bohème impécunieuse de joyeux compagnons.

Il s’abstrait de cette vie d’atelier, d’amitié et de cafés pour commencer avec fièvre son œuvre de typographe original et d’artiste-graveur. Ses premiers travaux sont inspirés par Anatole France auquel il vient présenter ses illustrations pour Les Opinions de Jérôme Coignard, livre qui sort en décembre 1914 (commande des Cent Bibliophiles).

En 1917, il rencontre André Suarès chez l’imprimeur Frazier-Soye ; ce jour-là naît une amitié de toute la vie ; ou plutôt ce sont les deux visages de Janus, tant leurs génies se complètent.

Si Eudald Canibell, bibliothécaire de Barcelone, avait ouvert à l’adolescent les portes de l’instruction, André Suarès ouvre à l’homme celle de la culture. (André Feuille in Louis Jou).

Mais son grand rêve reste depuis toujours de dessiner ses propres caractères typographiques.

En 1921, il rapporte d’Espagne ses premières polices, avec lesquelles il réalise Le Prince, sous la bannière Jou-Bosviel, éditeurs (le docteur Bosviel l’ayant toujours soutenu financièrement depuis un passage dans son service d’hôpital pour cause de surmenage et de malnutrition).

Maintenant, Jou veut avoir son atelier, ses presses et des ouvriers formés par lui. En 1925, il installe enfin cet atelier au 13 de la rue du Vieux-Colombier, proche de Saint-Germain-des-Prés et du Quai-aux-Fleurs, son premier logement parisien. Là, il fabriquera sans relâche jusqu’en 1939 ces livres splendides, réalisant alors ce que nul n’avait fait avant lui : dessin et gravure des caractères, papier, encre, composition ; mais aussi, dessin et gravure des illustrations, pressage, décoration de reliure, il se mêle généralement de tout. A part le papier pour lequel il ne peut qu’émettre des désirs et donner des recettes, tout est conçu et réalisé au Vieux-Colombier. Il est bien l’Architecte du Livre décrit par André Suarès.

En 1939, après avoir déchiré son Espagne natale, la guerre déchire l’Europe.

Dans le Paris de 1940, ayant accompli la plus grande partie de son oeuvre, découragé par les difficultés quotidiennes et les grands drames (son pressier a été tué et ses autres ouvriers sont il ne sait où), il décide de s’installer aux Baux où il possède une maison dans le village depuis 1921.

Il y grave, y restaure l’Hôtel Jean de Brion, en ruines et fait des travaux dans le bâtiment qu’il destine à son nouvel atelier ; son disciple et ami, Pierre Seghers, lui apportera ses presses et ses caractères en 1944. Il y travaillera seul et aidé par Poppy jusqu’en 1967.

Louis Jou meurt le 2 janvier 1968. Il repose au cimetière des Baux.


(Texte extrait du site internet Louis Jou)