Marius Chastel, deuxièmne maire communiste à Sorgues

Marius Chastel naquit le 16 mai 1883 à Vedène. Il avait donc trente et un ans lors de la déclaration de guerre en 1914, il s'était marié avec Marie-Louise Granier le 14 janvier 1905 et il était père de quatre enfants. A l'aide d'un charreton à bras, pour le compte de son beau-frère Masse, il fut d'abord livreur de charbon à Avignon. Il avait quitté l'école de Vedène avec le certificat d'études primaires. C'était un lecteur passionné par l'histoire de France.

 

Il fut militaire, appelé au 58ème régiment basé a Avignon, du 16 novembre 1904 au 18 septembre 1906, puis renvoyé dans son foyer en sa qualité de soutien de famille. Il avait été nommé soldat de première classe le 27 août 1906.

Il resta sous les drapeaux du début août 1914 au 8 août 1916, et la plus grande partie de ce temps sur le front comme première classe.

Des le premier jour, il tint un journal de guerre qu'il écrivit sur trois petits carnets de moleskine noire et un de couverture claire. En même temps, il envoyait de très nombreuses lettres à sa femme. Marius Chastel fut un bon témoin : l'infanterie, c'était de la chair à canon... « à 150 mètres de notre tranchée, au moins 100 morts qui ne sont pas encore enterrés, ce sont des choses bien tristes a voir.. » (1). « Dans une cahute, il y a 3 blessés, ils sont là depuis 18 heures ; grièvement blessés, ils ne peuvent marcher et les pauvres vous tirent les lames... » (2)

Il vivait dans la boue : « Toujours la pluie, c'est écoeurant de falloir rester dans ces trous maudits, le jour on est obligé de faire son « nécessaire » dans un mauvais récipient.. » (3)

Il logeait parmi les rats et les poux : « Après être passé la nuit dans le fumier, je me décide à aller faire ma toilette, j'en profite pour faire la chasse aux poux et j'en trouve passablement, ça me dégoûte à un tel point que je suis fou de rage » (4) « J'ai passé toute la nuit à me gratter ; aussi, au point du jour, je prends mon linge propre dans mon havresac et je cours a la rivière, je me mets complètement à poil, me lave tout sans exception...» (5)

Il témoignait de la brutalité du conseil de guerre :« ..L'après-midi, je vais assister au conseil de guerre qui siège à la mairie, il y a deux accusés, leur motif est « désertion à l'intérieur en temps de guerre. » Le premier, nomme Bourguel, n'a qu'à demi ses facultés, il attrape cinq ans d'emprisonnement, le deuxième qui a passé huit mois dans un asile d'aliénés à Nice, malgré un bon défenseur, attrape encore deux ans de travaux publics.. » (6) « ..On a fusillé à Souilly le nommé Dauvergne, soldat à la sixième compagnie, ça faisait trois fois qu'il était passé au conseil de guerre, il était le fils du docteur Dauvergne d'Avignon.

La guerre est une chose si horrible qu'il s'écriait :« je m'en rappellerai longtemps de ces actes de barbarie auxquels les peuples sont livrés... » (8)...D'autant qu'il est témoin, le 14 novembre, d'actes de cruauté quand les hommes sont arrivés aux tranchées ennemies, il y avait un seul gradé, un sous-lieutenant, et quelques hommes de troupe, ils n'ont pas eu trop de peine à les faire prisonniers ; au retour, ils ont été zigouillés »...« Quel malheur que cette maudite guerre qui dure tant de temps ! » (9)

Le 8 août 1916, à Terre-Froide, une balle lui fractura le bassin, «ce qui le gênera dans l'avenir », avait conclu le médecin militaire. Le 26 juillet suivant, il fut cité à l'ordre de la division dans les termes suivants : « Soldat très courageux, bien que père de quatre enfants ne craint pas de s'offrir pour les missions périlleuses. Est un bel exemple du devoir pour tous ses camarades. Du 23 juin au 22 juillet, sous les bombardements incessants et très violents, a assuré avec beaucoup de sang-froid sa mission d'agent de liaison, montrant le plus complet mépris du danger » (10). En 1916, grâce à cette fracture, il fut rendu à la vie civile. Cette blessure lui avait laissé des troubles circulatoires qui l'obligeaient à porter des bas à varices aux deux jambes.

En 1919, il vint habiter dans notre commune, dans l'avenue Gentilly. Démobilisé, il était devenu garde à la Poudrerie Nationale de Sorgues et trois autres enfants vinrent agrandir le cercle de famille. Il avait pour distraction quotidienne l'entretien de son olivette. C'était un bon ouvrier qui professait des idées radicales : le ciment qui assurait au bloc radical-socialiste sa cohésion, c'était l'anticléricalisme.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il était employé comme magasinier à l'entreprise Ero.

À la Libération, il adhéra au parti communiste français et il fut, de 1954 à 1959, le second maire communiste de notre commune. En compagnie d'Albert Meisterhams, il oeuvra à l'achat, à Lachau (Drôme), d'un ensemble de terres et de bâtiments qui furent destinés à la colonie de vacances de Ballons. Il facilita l'installation de la Caisse d'épargne, on lui doit aussi la réalisation des maisons basses de la cité Langevin. La maladie l'éloigna rapidement de son mandat et il décéda le 8 septembre 1959.

Son enterrement civil eut lieu en présence d'une foule nombreuse, le cortège funèbre fit une halte devant le perron de la mairie où il fut observé une minute de silence. Ce fut le docteur Gavaudan, nouveau maire de Sorgues, qui lui rendit hommage.

André BRUN & Raymond CHABERT

Extrait de la 21ème édition des Etudes Sorguaises "De tout un peu des temps passés" 2010

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1- Journée du 14 novembre 1914

2- Journée du 19 novembre 1914

3- Journée du 3 janvier 1915

4- Journée du 3 mai 1915

5- Journée du 4 mai 1915

6- Journée du 31 janvier 1915

7- Journée du 20 mai 1915

8- Journée du 19 novembre 1914

9- Journée du 30 mars 1915

10- Extrait de l'ordre de la division 78, signé par le général Castaing. Document prêté par monsieur Roger Chastel, son fils.