Lorsque, le 6 mars 1809, François JULLIAN, 28 ans, négociant à AVIGNON, acheta sa campagne de SORGUES, quartiers des Terres Blanches et de Bois Marron, à i Joseph MATHIEU, cultivateur, qui la tenait de M .GUERIN, pharmacien à AVIGNON, il ne se doutait pas qu'elle resterait dans sa famille pendant 163 ans. A travers les sept générations qui y vécurent, nous évoquerons le souvenir de quelques personnalités qui furent mêlées à l'histoire de SORGUES.


François JULLIAN était né à AVIGNON en 1781 d'une famille de "taffetassiers", de fileurs à soie ou de marchands, installés depuis longtemps à AVIGNON, au Portail peint, au début de la rue des Teinturiers, dans la paroisse de Saint Genest, aujourd'hui disparue; en 1806, il épousa Clarice BERARD, dont le père était aussi négociant en soie et dont la mère, Catherine DUPLAT, était de SORGUES. Très jeune, il partit chercher des débouchés pour son négoce, notamment à ROUEN, et s'installa à Paris pendant plusieurs années à partir de 1815. La fin des guerres napoléoniennes donna à l'économie un essor considérable et F. JULLIAN vendit en France, en Allemagne, en Suisse, à Venise les produits de son pays, essentiellement des florences (soies légères), de la garance pour les teintures et des chardons pour peigner les tissus.

D'un naturel serviable, il fut un des relais parisiens pour les Vauclusiens et réalisa de nombreuses démarches pour ses compatriotes. Il obtint notamment de la Grande Aumônerie de France le rétablissement, pour les Pénitents gris, de l'antique privilège de l'exposition perpétuelle du Saint-Sacrement.
Dès 1825, il s'occupa activement d'un projet de chemin de fer de Lyon à Avignon, qui ne put aboutir en raison de l'ampleur des capitaux à réunir. Nommé adjoint au Maire d'Avignon en 1820, il eut en charge les bâtiments et les travaux publics, et notamment la construction du théâtre, qui devait disparaître dans un incendie une vingtaine d'années plus tard.
A la Révolution de 1830, il fut nommé Maire d'Avignon. A ce titre, il prit la tête d'une délégation d'Avignonnais qui fut reçue par Louis-Philippe le 30 septembre 1830 ; Sa municipalité eut à s'occuper de l'assainissement de la ville, de la reconstruction du pont sur le Rhône et des secours à apporter aux nombreux chômeurs frappés par la crise (déjà!). Démissionnaire de la Mairie en 1832, F. Jullian se retira à Sorgues où il se consacra à la mise en valeur de sa propriété.
En 1837, il fut élu Maire de Sorgues qu'il administra jusqu'en 1840. Définitivement retiré des affaires publiques, il mourut à Sorgues en 1844.

 

De son mariage, F. Jullian n'eut qu'une fille, Rosine, qui épousa, en 1827, Joseph César THOMAS dont le frère aîné devait devenir l'un des négociants et industriels les plus importants de la région et le propriétaire de Roherty au Pontet. Restée veuve très jeune, Rosine épousa en secondes noces, en 1837, Joseph FLORET.
Né en 1796, Joseph FLORET était issu d'une ancienne famille d'hommes de loi de Carpentras. Son grand-père, François Floret, avait été Vice-Recteur du Comtat Venaissin en 1776. Comme pour beaucoup de ses compatriotes, la Révolution fut pour sa famille une période de vicissitudes, particulièrement marquée par la personnalité de son oncle, François BARJAVEL, le frère de sa mère. Celui-ci, avocat en 1789, devint très vite un révolutionnaire acharné. Disciple de ROBESPIERRE, il fut accusateur public du Tribunal révolutionnaire d'Avignon et membre de la sinistre Commission populaire d' Orange qui fit tant de victimes en 1794. Après la réaction thermidorienne, il fut décapité et son corps jeté dans le Rhône . Joseph FLORET fit ses études de droit à Aix où il se lia d'une amitié durable avec THIERS et MIGNET. Rentré dans son pays natal, où il s'installa comme avoué, Joseph FLORET manifesta très tôt des idées politiques libérales dont il vit la réalisation dans la Révolution de 1830. Celle-ci marqua pour lui le début de sa carrière administrative. Sous-préfet de Carpentras en août 1830, il fut ensuite sous-préfet d'Aix puis Préfet du Var en 1832. A ce poste, il eut à faire face à la grande épidémie de choléra qui ravagea les départements méridionaux en 1835 (il y eut 1500 morts à Toulon). Son dévouement et son attitude courageuse lui valurent la reconnaissance de ses administrés sous la forme d'un portrait que le conseil général décida de faire placer dans sa salle des séances. De son côté, le gouvernement le récompensa en le nommant Maître des Requêtes au Conseil d'État et Préfet de l'Hérault où il demeura jusqu'en 1838. Préfet de la Haute-Garonne de 1838 à 1841, Joseph Floret termina prématurément sa carrière administrative à Toulouse. Il fut en effet limogé par le Ministre de l'Intérieur pour avoir de sa propre initiative suspendu le recensement des portes et fenêtres destiné à établir un impôt tellement impopulaire que les Toulousains étaient au bord de la révolte. Joseph FLORET entreprit alors une carrière politique. Il fut élu député de Saint-Pons en 1843. De 1848 à 1868, il fut sans interruption Conseiller général du canton de Bédarrides et Président du Conseil Général de Vaucluse de 1848 à 1852. C'est sous sa Présidence que le Conseil Général vota à l'unanimité une adresse au Pape Pie IX exprimant "le désir ardent que Votre Sainteté choisisse, pour y passer ce temps d'épreuves, le sol hospitalier de France "et le suppliant de "fixer sa résidence dans l'ancienne Métropole de ses prédécesseurs." Pie DC exprima sa reconnaissance au Conseil Général, mais déclina sa proposition. C'est à l'administration de Sorgues que Joseph FLORET consacra l'essentiel de son temps. Il fut en effet Maire de 1850 à 1868. Au cours de ces 18 années, Sorgues connut une transformation rapide, passant d'une petite ville essentiellement rurale à une ville industrielle importante. Il fallut donc l'adapter, non seulement à son expansion démographique, mais aussi aux progrès techniques. Le développement du chemin de fer, l'embranchement de Carpentras pour lequel Sorgues était en concurrence avec Bédarrides, l'assainissement et la lutte contre les inondations, l'éclairage de la ville au gaz, le développement des écoles, l'installation du Télégraphe en 1859 nécessitaient toute l'attention de la Municipalité. La grande affaire fut aussi la construction de la nouvelle Mairie et l'aménagement de la Place. Terminé en. 1860, cet ensemble fit l'admiration des voyageurs de l'époque qui estimaient qu'il était digne d'une grande sous-préfecture! L'achèvement de la place ne se fit toutefois pas sans quelque difficulté. Voici, en respectant l'orthographe, le rapport qu'adresse l'agent de police THOURON à Joseph FLORET qui se trouvait à Paris: "Depuis le 2 janvier, une cinquantaine d'hommes travaillent à la propriation de la place des aires; Les travaux sont dirigés par Monsieur Julian et une commission composé de MM. Leenhardt, Gonnet, Brunel, Roux, Simon, Guinas. Je dois, M. le Maire vous faire observais qu'il sait fait beaucoup de fosses manoeuvres vu que personne n'était dacord sur un plan définitif. Quant un partais l'autre arrivais, fesais défaire ou changer les ouvriers où le premier les avait fait placer et continuellement ainsi. La surveillance est faite par Richard et moi et tous les samedi je les paye. Vous devez savoir que ces Messieurs fournissent des fonds à la commune. Depuis que les travaux ont commençait, j'ai payé 4281,15 et les travaux ne sont pas encore terminés. De ce moment, ils tracent un bassin au milieu de la place, qu'on dirait qu'on va y faire un lac. "

Un événement plus pittoresque survint à Sorgues à l'occasion du Carnaval de 1860. Il s'agissait de la farandole des cornes. Ce divertissement populaire et traditionnel, qui nous fait aujourd'hui sourire, fut pris très au sérieux par une Administration tatillonne et férue d'ordre moral. Le rapport au Préfet du commissaire de police de Bédarrides, M.Maginot, (en annexe) eut son effet puisque le Préfet pria instamment le Maire de Sorgues de prendre un arrêté interdisant cette manifestation. En outre, le brave et trop impulsif curé fut muté et remplacé par le propre neveu de Joseph Floret, l'abbé Illy. Le carnaval de 1861 se déroula donc dans le calme.
Au demeurant, la vie à Sorgues à cette époque devait être plutôt heureuse. Voici ce qu'écrit le Secrétaire de Mairie, M.Somnier, à son Maire: "La population augmente tous les jours et les journaliers sont toujours de plus en plus rares. Je ne trouve pas de travailleurs pour mes vignes et nous payons 2 frs 75 par journée. Nous avons besoin de deux cantonniers et nous n'en trouvons pas à Sorgues. Un traitement de 600 frs ne paraît pas convenable. Heureusement que nous voyons arriver à chaque instant de nouvelles familles qui viennent s'établir à Sorgues, sans cela le propriétaire ne trouverait pas à faire cultiver ses propriétés.." Joseph Floret démissionna de la Mairie, pour raisons de santé, en 1868 et fut remplacé par Antoine Isnard, propriétaire et filateur en cocons. 11 décéda dans sa propriété de la Floride en 1871, laissant, de son union avec Rosine Jullian, deux filles et un fils, Paul.
Paul FLORET naquit à Sorgues en 1847. Après des études de Droit à Paris, il fit la guerre de 1870 comme sous-lieutenant dans les mobiles de Vaucluse. Il entra alors dans l'Administration. Sous-préfet d'Arles, Aix, Bastia, Vienne, il fut nommé Préfet d'Eure-et-Loir en 1880, puis de Saône-et-Loire, de la Manche et enfin des Bouches-du-Rhône de 1896 à 1900. Il termina sa carrière comme Trésorier-Payeur-Général du Loiret, puis de l'Hérault. Ayant pris sa retraite en 1908, il s'installa alors définitivement à Sorgues, profitant des agréments de la propriété acquise par son grand-père. Ayant probablement vécu de trop près, au cours de sa carrière préfectorale, les grandeurs mais aussi les servitudes de la vie politique, il ne sollicita jamais de mandat électif, même local. En revanche, très attaché à Sorgues et aux Sorguais, il mit inlassablement à la disposition de ses compatriotes ses relations et sa connaissance des arcanes de l'Administration pour faire aboutir un dossier, obtenir un poste ou une pension. Il essaya ainsi d'atténuer, pendant la guerre de 14-18, les inquiétudes et les souffrances de nombreuses familles. Ses qualités morales lui valurent d'être choisi comme arbitre dans des affaires délicates . En 1896, son arbitrage permit d'éviter un duel entre Achille Maureau et Auguste Bedoin, alors adversaires politiques, en raison d'un article de M.Bedoin, considéré comme désobligeant par M.Maureau.
Souvent sollicité, Paul Floret ne pouvait pas toujours répondre favorablement, même s'il s'agissait de procurer à la toute jeune Espérance sorguaise un terrain pour le football (cf en annexe la lettre de son Président).
Paul Floret s'éteignit à Sorgues en 1936, âgé de près de 90 ans.
Sa fille unique, Madame Lugagne Delpon, qui se maria à Sorgues en 1913, revint habiter à Sorgues, avec sa famille, en 1939. Elle fut, pendant la guerre, conseillère municipale chargée des questions sociales, et déléguée du Secours National, fonctions qui l'amenèrent à s'occuper des nombreux problèmes sociaux nés de cette période troublée et à organiser les colonies de vacances de la ville. Elle y demeura jusqu'en 1972, époque à laquelle la propriété fut vendue à M. René Lafont, ancien Maire de Saint-Saturnin. Madame Lugagne se retira alors à Montpellier où elle décéda en 1989, âgée de 97 ans, ayant conservé jusqu'à la fin de sa vie le souvenir de tous ses vieux amis sorguais. Elle laissait, nés de ses neuf enfants, 39 petits-enfants et 41 arrière-petits-enfants. L'un de ses fils, Henri, né à Sorgues, prêtre du Diocèse d'Avignon, fut supérieur du Petit Séminaire d'Avignon de 1955 à 1968. Nommé Évêque de Pamiers où il succéda à un autre Vauclusien, Mgr Rigaud, il reçut l'ordination épiscopale le 2 juillet 1968, dans la cour du Palais des Papes. Il décéda accidentellement en 1970. Cette énumération aura probablement paru fastidieuse au lecteur. Qu'il y voie seulement le désir de souligner la fidélité et l'attachement à leur pays dont témoignèrent ces habitants de la Floride.

F. LUGAGNE DELPON 

Extrait de la 7ème édition des Etudes Sorguaises
"Des figures et une histoire derrière le nom de nos rues" 1994