Ce dimanche-là, tous les Sorguais étaient dans la rue, le nationalisme avait gagné leur esprit. Il régnait une atmosphère de fête foraine, les derniers survivants de la guerre de 1870 donnaient leur point de vue. (4) « La population était enthousiaste ».(5) « La mobilisation qui atteignait toutes les familles avait été reçue avec le plus grand patriotisme ». (6) Les grands-parents accompagnaient les petits-enfants à la gare pour voir passer les trains qui se dirigeaient vers le nord. Les locomotives étaient pavoisées ; sur les wagons, ces mots étaient tracés à la craie : « destination Berlin » « de retour dans 3 mois ». (7) « D'ailleurs, les Allemands seront bientôt vaincus, nous allons écraser cette fameuse Allemagne ». (8)
Première défaite et une campagne calomnieuse
À la déclaration de guerre, tous les conscrits du Sud-Est de la France, de Nîmes à Menton, furent incorporés dans les régiments du quinzième corps d'armée. Dès le 6 août, ils étaient envoyés en Lorraine, à Dombasle et à Saint-Nicolas du Port, afin d'ouvrir la route de Sarrebruck. C'était un plan simpliste, mais nos soldats ne devaient faire qu'une bouchée des troupes allemandes !
Le 10 août, ils réussissaient une attaque sur Lagarde où six de nos concitoyens perdaient la vie, ils se nommaient : Bézert Ludovic, Delazubertariez Étienne, Jouve Auguste, Pascal François, Saint Pierre François, Vache Justin. Le lendemain, devant la contre-attaque allemande, nos troupes enregistraient de grosses pertes et se repliaient sur Dieuze. L'ennemi était en nombre supérieur et nos compatriotes, dans un accoutrement irrationnel : pantalon rouge garance, lourde capote et tunique bleue, servaient de cibles idéales. De plus, ils eurent à supporter une canonnade de plus de quarante-huit heures Elle fit d'énormes dégâts parmi nos rangs, quatre de nos concitoyens furent tués : Labat Théodore le 14 août, Amen Victorin, Combe Auguste, Gallas Auguste le 20 août. Devant la gravité des faits, et pour les masquer, le ministre de la Guerre Messimy, une des plus grosses fortunes de France, peu compétent et matamore, lança une campagne xénophobe à l'égard de nos compatriotes. Le 24 août, le journal parisien « le Matin » publiait sous la signature de Gervais, sénateur radical socialiste de la Seine, un article consacré à la bataille de Morhange : « .Les troupes de l'aimable Provence ont été prises d'un subit affolement. L'aveu de leur impardonnable faiblesse s'ajoutera à la rigueur des châtiments militaires. » Ainsi reparaissaient des propos véhiculés au dix-neuvième siècle que l'on croyait oubliés. Cette attitude du sénateur journaliste, homme lige du ministre Messimy, réprimandant du fond d'un douillet bureau nos soldats écrasés par les obus, avait un mobile : cette première défaite française apportait un cruel démenti au chauvinisme officiel qui parait notre nation de toutes les supériorités et nos adversaires des pires infamies. Le tollé soulevé dans le Midi montra au gouvernement l'étendue de sa faute. « Il convient de protester énergiquement contre l'accusation que l'on a lancée contre la conduite des troupes du XVème corps, entre autres le 58ème régiment d'infanterie d'Avignon, qui se sont fait glorieusement décimer à leur poste de combat » déclarait Auguste Bédoin, maire de Sorgues, le 30 août, en séance du conseil municipal. Des démentis comme celui que nous venons de citer pleuvaient sur le gouvernement.
La censure, alors, préféra désormais dissimuler les défaites plutôt que de leur chercher semblable explication. Cependant, le mal était fait et, pendant de longues années, le mythe de la lâcheté du quinzième corps résista.9
En France, ces préjugés grossiers devaient être répandus. Dans une lettre du 18 mai 1915, Emile Sauvage expliquait à son épouse que les habitants de Reims « sont gentils mais fainéants, peu intelligents. Ils ne savent rien faire par eux-mêmes et ceux qui sont débrouillards ont vite fait de ramasser une petite fortune car la terre est excellente. »
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4 Souvenirs d'Aimé CHABERT
5 Lettre du 8 août 1914 d'Émile SAUVAGE
6 Conseil Municipal du 13 août 1914
7 Souvenirs d'Aimé CHABERT
8 Lettre d'Émile SAUVAGE du 8 août 1914
9 Histoire de la Provence - PRIVAT Editeur - article signé Maurice AUGULHON
Extrait de la 16e édition des Etudes Sorguaises (2005) : "Souvenirs des Poilus Sorguais : 1914-1918"