Un dépôt de réfugiés politiques à Avignon
Vers la fin de l'année 1831, Avignon accueille des centaines de réfugiés polonais. Fatigués, pour la majorité en piteux état, faute de nourriture, usés par de longues marches forcées..., le gouvernement de Louis-Philippe leur assigne l'ancienne cité des Papes comme résidence.
Ainsi, un dépôt de réfugiés fut mis en place par décision ministérielle du 5 novembre 1831. Au pic de sa fréquentation, dans le premier semestre 1832, le regroupement avignonnais compta près de 800 hommes. Si l'on veut comprendre les raisons qui ont motivé la venue et le séjour des Polonais dans le Vaucluse, il convient de replonger notre mémoire une aimée plus tôt, en novembre 1830, vers les bords de la Vistule, en Pologne...
Las de sa condition de plus en plus étouffante et de la tyrannie du Tsar Nicolas 1er, le peuple polonais, alors sous tutelle russe, se lance avec toutes ses forces et tous ses espoirs dans la révolte contre l'oppresseur. Un instant, le patriotisme exalté par les échos révolutionnaires venus de l'ouest : les troubles qui secouèrent Paris en juillet 1830 et la Belgique, Varsovie se lève pour s'émanciper du joug russe et de sa servitude. S'ensuit un épisode célèbre de l'histoire polonaise : l'insurrection de novembre 1830 et la guerre russo-polonaise. Les événements plongent environ 10.000 Polonais sur les routes de l'exil, dont quelque 3.000 proscrits qui viennent chercher refuge en France. Avignon est alors désignée pour accueillir uniquement des militaires non amnistiés par Nicolas 1er.
Cette présence dans la ville des bords du Rhône fut d'assez courte durée puisque c'est au mois de mai 1833 que le gouvernement prononça la dissolution du dépôt avignonnais. Il ne s'agit pas ici de narrer les "aventures" des réfugiés polonais à Avignon, mais on imagine aisément que ces hommes, loin de leurs familles, abîmés par la défaite et incertains de leur avenir, perturbèrent quelque peu la tranquillité publique...
Les militaires furent, suite à la dissolution, dirigés et répartis sur d'autres dépôts (Aurillac, Bergerac, Guéret, Lunel...) mais les traces polonaises en Vaucluse ne disparurent pas avec ces départs.
Stanislas Godlewski : un jeune sous-lieutenant devenu médecin, installé à Sorgues
Quelques militaires polonais, les éléments les plus brillants, ont bénéficié et saisi des opportunités d'intégration à la société française offertes par l'État. C'est le cas de Stanislas Godlewski. Le destin remarquable de ce jeune sous-lieutenant, âgé de 25 ans à son arrivée à Avignon, en 1831, et le parcours exemplaire de sa famille installée à Sorgues méritent notre hommage.
Stanislas Godlewski est né le 4 décembre 1807 dans l'ancien palatinat de Plocit. Fils de Jean Godlewski qui travaillait dans un tribunal et d'Anne Jakrzewstia, dès les premiers soulèvements de son pays, il prend les armes, ce qui va le mener sur le chemin de l'exil, suite à la répression russe, et rejoindre les rangs de ce que les historiens ont appelé la "Grande Émigration Polonaise". Arrivé en France et dirigé sur Avignon, le jeune patriote Godlewski ne se laisse pas sombrer dans les maux de la défaite et de l'isolement en terre étrangère.
Si le gouvernement français, le ministère d'Argout notamment, était particulièrement méfiant à l'égard des proscrits qu'il suspectait d'entretenir des relations complices et malfaisantes avec les milieux révolutionnaires, les témoignages d'amitié et de reconnaissance envers les Polonais n'étaient toutefois pas inexistants. L'époque où Français et Polonais avaient combattu côte à côte sous les ailes napoléoniennes n'était pas si lointaine...
Bon nombre de Français, les libéraux en tête, estimaient que c'était un peu plus que le droit d'asile et la solde que les "Français du Nord" méritaient. Les Polonais n'avaient-ils pas dévié l'attention de Nicolas 1er qui projetait d'attaquer l'Europe occidentale en précipitant leur révolution ?
De ce fait, le gouvernement de Louis-Philippe s'efforçait de récompenser les Polonais les plus dévoués et les plus méritants : des carrières leur étaient proposées dans la Légion Étrangère, ou encore ils pouvaient reprendre et terminer leurs études dans les écoles françaises. Stanislas Godlewski fit partie de ce deuxième cas de figure puisqu'il fit de brillantes études et fut diplômé de la Faculté de Médecine de Montpellier. C'est à la suite de ses études que le Médecin Godlewski s'installa à Sorgues où il exerça sa profession avec la reconnaissance de toute la localité. Il est à noter, par ailleurs, que la ville de Sorgues ne fut pas insensible au sort des malheureux réfugiés. Une liste de souscription fut même ouverte à l'initiative du Comité Polonais d'Avignon.
Dix aimées après son arrivée en France, M. Godlewski épouse, le 20 juillet 1842, dans la ville de Courthézon, une française Thérèse Gontard. Cette union est particulièrement soulignée puisque, sur une quinzaine de mariages entre françaises et anciens militaires polonais du dépôt d'Avignon, c'est la seule qui semble avoir souche dans le Vaucluse. En effet, ce mariage entre Thérèse Gontard et Stanislas Godlewski va fournir, à Sorgues, une de ces familles les plus appréciées. L'ultime reconnaissance pour le Docteur Godlewski est désormais la naturalisation française, démarche ô combien délicate à l'époque ! S'armant de patience, il écrit lui-même au Préfet de Vaucluse, le 12 avril 1847, afin d'obtenir sa naturalisation qu'il sollicite depuis 1845. Cet homme qui est diplômé de la Faculté de Montpellier, Docteur en Médecine, installé à Sorgues avec son épouse française a, selon les dires des autorités, de fortes chances de voir sa demande aboutir. Ainsi, remplissant toutes les conditions administratives : il a dû produire un extrait de naissance, l'état de son service militaire, un certificat de moralité délivré par la Mairie de Sorgues..., le 6 juin 1848, soit plus de trois ans après sa première requête, sa naturalisation est enfin acceptée.
Une famille respectée qui fait figure de référence
Le Docteur Godlewski fut un personnage de la société sorguaise, fort apprécié par ses concitoyens, si bien que lorsqu'il s'éteignit le 27 janvier 1872, à l'âge de 65 ans, la famille Godlewski faisait alors figure de référence et jouissait de l'estime de tous. Le tombeau familial, dans la nécropole sorguaise, porte une inscription qui rappelle encore aujourd'hui ses origines "Réfugiés Polonais". Les pas de cette famille ne s'effacèrent pas avec ce décès puisque le Docteur Guy Godlewski fut l'héritier de trois générations de médecins ! Une véritable tradition familiale qui fut, par ailleurs, soulignée dans la préface signée Marcel Dunan, professeur honoraire à la Sorbonne, d'un ouvrage historique écrit par Mr Guy Godlewski : Trois cents jours d'exil, Napoléon à l'He d'Elbe, Editions Hachette, Paris, 1961 (284 pages). Le Docteur Godlewski se passionnait pour l'époque Napoléonienne... clin d'oeil familial.
Enteric Zablowski : tin autre Polonais à Sorgues
La réussite d'intégration de Stanislas Godlewski peut être encore aujourd'hui citée comme modèle, mais ce ne fut pas la seule installation polonaise à Sorgues. Un autre ancien militaire du dépôt avignonnais s'installa dans la commune avec une toute autre réussite... Il s'agit de Napoléon Emeric Zablowski qui tint une fabrique de garance à Sorgues dans le milieu des années 1840. Cet ancien capitaine, qui avait alors 26 ans à son arrivée en France en 1832, connut une fortune différente de celle de Mr Godlewski. Ayant installé son activité de garance à Sorgues, Mr Zablowski fit une demande de naturalisation française dans les années 1850. Marié à une Avignonnaise Magdeleine Four, fille d'un commis négociant, le 19 juin 1838, lui aussi espérait une issue favorable à sa demande, le destin en a fait autrement Il faut savoir que, pour toute demande de naturalisation française, les rapports de police dressés étaient très méticuleux, rien n'échappait à la vigilance des autorités locales. Ces enquêtes rapportèrent que la conduite de Mr Zablowski était sans reproches mais sa situation financière désastreuse... Sa fabrique à Sorgues, peu prospère, ne lui apportait guère de ressources. En 1848, il dut suspendre ses paiements et la faillite ne put être évitée que par les accords passés entre les divers créanciers. Ainsi, il ne put s'acquitter des 172 francs, droits attachés à la délivrance du titre d'admission à domicile, essentiel pour l'obtention de la naturalisation française. Ce montant pouvait faire l'objet d'une remise si le demandeur avait rendu des services au pays, ce dont Zablowski ne put se vanter. Mr Zablowski connut également des problèmes liés à l'insalubrité de sa fabrique de garance à Sorgues. Des Sorguais se plaignaient du déversement des eaux usées dans un canal qui servait à l'abreuvage des bestiaux et à l'usage domestique. Par une délibération en date du 5 février 1851, le conseil municipal de Sorgues exigea une réglementation de cette fabrique.
La présence polonaise à Sorgues
La ville de Sorgues présente un autre témoignage de la présence polonaise dans le Vaucluse, visible aussi dans le cimetière. C'est le tombeau de Mr Pagowski, surmonté de très beaux emblèmes familiaux. Sur cet homme, quelques précisions permettent de dire qu'il a croisé et connu l'illustre poète polonais Adam Mickiewicz. Le "barde" fit en effet un séjour à Avignon en 1833. Il accompagna son ami d'enfance, Stefon Etienne Garczynski, venu dans le midi trouver un climat propice à guérir sa maladie : la tuberculose. Garczynski décéda le 20 septembre 1833. Sa tombe, visible au cimetière St-Véran à Avignon, offre un poignant hommage du poète à son ami : une épitaphe en latin, vantant son mérite. C'est ce même Pagowski, installé à Sorgues, qui fut présent aux côtés du malade tout au long de son agonie, le veillant sur son lit de mort, comme le révèle la correspondance de Mickiewicz...
Aimé Beaumier Maîtrise d'Histoire Contemporaine
Extrait de la 11ème édition des Etudes Sorguaises "Continuité et ruptures de 1820 à 1968" 1998