La création
Avant la Première Guerre Mondiale, Henri Rivolier était le représentant d'une grosse maison de Charlieu (Loire) spécialisée dans la construction de voitures d'enfants et de jouets : les Etablissements Devillaine. Il approvisionnait la région du Sud-est de la France où il avait su, grâce à ses qualités professionnelles, arrondir sa clientèle. Aussi il lui vint naturellement l'idée de se substituer à l'industrie charlieudine en créant sa propre entreprise.
Sa fonction itinérante lui permit de remarquer Sorgues, ville se prêtant tout particulièrement à son projet, jouxtant la Route Nationale 7 et possédant une gare de chemins de fer PLM. Le 28 février 1914, en compagnie de son ami Michel Jugnet, comptable de profession, ils créèrent la "Manufacture de voitures d'enfants charlieudine". Par sympathie, peut-être, mais également pour leur très grande habileté au travail, cinq ouvriers, eux aussi natifs de la Loire, participèrent à l'aventure : Messieurs Pillet, Brayon et Philibert et Claude Demont. Les débuts souffrirent de la Première Guerre Mondiale, Henri Rivolier fut mobilisé en 1914 et rendu à la vie civile en mars 1917. A compter de cette date, l'entreprise va prendre son essor. Elle comprendra, à son apogée économique, entre 40 et 50 ouvriers (à ce propos, les témoignages diffèrent, pour d'autres le nombre d'ouvriers atteindra 80 personnes).
Les lieux d'exploitation
au Pont de Sorgues & à la route d'Entraigues
L'exploitation va débuter près du pont de Sorgues à côté de ce qui était l'usine Sire. C'est là qu'Henri Rivolier et Michel Jugnet fondèrent, le 20 décembre 1920, la société en nom collectif "Rivolier & Jugnet", laquelle acheta, en juin 1922, les locaux de la scierie Martin dans un terrain appartenant à Monsieur Bouscarle, route d'Entraigues. Grâce à cette extension, les lieux de travail se spécialisèrent, le bois était façonné route d'Entraigues et l'assemblage, la peinture, la finition et l'expédition se faisaient à l'atelier du pont, jusqu'à sa destruction par le feu en 1924.
les ateliers à la Peyrarde
Entre temps la société avait acquis, le 17 juillet 1925, quatre hectares et demi de terrain, quartier de la Peyrarde, (au fin fond de l'avenue Paul Floret). L'ensemble de l'activité s'y transporta rapidement. Là, divers bâtiments furent édifiés. Ils correspondaient chacun à une activité particulière, la scierie avec son cortège de toupies, scies à ruban, scies circulaires etc., l'atelier du fer où se découpaient et se formaient, selon les modèles, fers plats, tubes qui, ensuite, se chromaient dans des bains, enfin le bâtiment réservé à la finition où arrivaient lits, voitures, jouets bruts, qu'on enduisait, ponçait, peignait dans des cabines. Après séchage, les voitures pour enfants passaient dans une autre partie de l'atelier où un personnel féminin les garnissait avec «varech» (sic) et moleskine. En cas de travail urgent, les capotes des voitures pour enfants étaient réalisées par des travailleuses à domicile.
Chaque atelier avait un contre-maître, l'atelier du fer était dirigé par les Frères Demont, Louis Rivolier contrôlait le chromage, son frère Jean surveillait l'atelier de peinture. En 1938 les personnes chargées de diriger les ouvriers étaient un peu différentes, à la scierie on trouvait Monsieur Reboulet assisté de Monsieur Chastel, à la menuiserie Monsieur Alfred Pètre, à la peinture et finition Monsieur Abadie, accompagné de Madame Marcello Casagni, à l'atelier des châssis Monsieur Demont, à la finition expédition Jean Rivolier "Monsieur Jean". Le bois brut était acheté soit à Cavaillon, soit à Avignon dans un établissement près de la porte Thiers. Le reste des matières premières était acquis auprès des Etablissements Berton & Sicard. Monsieur Rivolier était soucieux de s'adresser en priorité aux commerces locaux ou régionaux.
Photo 3 - Groupe d'ouvriers lors de la tempête de neige 194041 1er rang, debout de gauche à droite : Marcelle Maurin, Alberte Schierano, Charles Ferrari. 2ème rang, assis : Henriette Bottela, Laurence Villalonga (par la suite mariée à Pètre Alfred, contremaître à l'usine), Borde Robert, René Chrestian (demi-centre de l'équipe de football), Gérent Gabriel. En bas : André Rivière, Francine Casagné (soeur de Marcelle, contremaître à l'usine).
Le travail Bien qu'il faille faire une part importante à l'idéalisation d'un passé dans l'esprit du "bon vieux temps", tous les salariés interrogés - cinq au total - sont unanimes pour témoigner des qualités fraternelles qui régnaient dans l'entreprise. Nous l'avons vu, la maison employait en majeure partie des hommes mais quelques femmes travaillaient également, notamment un nom qui évoquera de nombreux souvenirs à beaucoup de Sorguais : Melle Roudet. Avant 1930, la durée du travail était de 60 heures par semaine, en 1938 elle était de 54 heures. Les heures d'entrée et de fin de travail étaient signalées au son d'une cloche agitée par le concierge. En 1938, parmi le personnel, un ouvrier souffrait d'une légère claudication qu'il avait surmontée avec courage. Il était capable de sauter par-dessus les établis en imitant le cri que poussait l'acteur américain Johnny Weissmuller, d'où son surnom de Tarzan. Le 29 avril 1924, une grève éclata aux ateliers de peinture et ressorts. Les trente et un grévistes se réclamaient de la C.G.T.U., ils tentèrent de créer un conseil d'usine. Vingt-deux salariés refusèrent de reprendre le travail (archives départementales 10 M 30).
La grève échoua car, le dimanche suivant, un incendie se déclara aux ateliers du Pont entraînant un chômage pour une partie du personnel. Le 29 juin 1936 était créé le "SYNDICAT DES OUVRIERS ET OUVRIERES de l'Usine Henri RIVOLIER" qui comptera en 1938, 40 adhérents. Mais il ne semble pas avoir eu une activité débordante puisque nous n'en avons pas trouvé trace par la suite. (AD 11 M 54)
Photo 5 - 1952, Henri Rivolier, à Sorgues.
La fin La Seconde Guerre Mondiale, le changement de goût des français et l'apport de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques vont avoir raison des Etablissements Rivolier qui disparaissent en janvier 1956. Leur fondateur décédera en avril 1958.
R. Chabert
Extrait de la 11ème édition des Etudes Sorguaises "Continuité et ruptures de 1820 à 1968" 1998
Nous tenons à remercier vivement Mademoiselle Rivolier, Madame Pètre, Messieurs Mathurin Louis, André Bayonna et Gabriel Gérent, sans qui cet article n'aurait pas pu voir le jour.