Le 2 novembre 1896, l’automne fut particulièrement peu clément dans plusieurs régions de France, les pluies avaient gonflé de nombreux fleuves et rivières, notamment l’Yonne, la Marne, la Seine. Le Rhône inondait la région. À Beaucaire et sa contrée, les fermes des environs ne communiquaient plus que par bateau. Pour les malades, le pain, les pommes de terre et la viande, étaient expédiés de Nîmes sur du matériel d’artillerie nécessaire au transport des pièces. 1Dans Avignon, cinquante rues étaient sous l’eau. Le 7éme régiment du génie était fortement mobilisé pour venir en aide à la population. Durant ces épisodes douloureux, le personnel militaire manquait de sommeil. La fatigue, sans doute, fut la cause d’un évènement relaté par le Général Largier. Il l’évoquait dans ses souvenirs du temps où il était capitaine du 7éme génie en Avignon. Le maire, qui était alors Pourquery de Boisserin, était parti en barque rendre visite aux sinistrés de maison en maison. De son côté, l’Évêque en faisait de même. Or il advint qu’ils se rencontrèrent. Il s’ensuivit une altercation. Le capitaine du 7éme génie, Caustine, énervé par la fatigue du service, au cours de la discussion assez vive qui s’était engagée en arriva à gifler le magistrat municipal. Il lui en coûta trente jours d’arrêt de rigueur. L’affaire dut en son temps faire du bruit, car l’édile jouissait d’une extraordinaire popularité. À partir du 23 octobre 1896, Avignon était sous les eaux et la décrue s’amorça le 3 novembre.
Le 2 novembre, en revanche à Sorgues, la crue avait été particulièrement catastrophique. Le « Radical du Vaucluse » dans son numéro du 8 novembre mentionna « qu’un »batelier de Sorgues, sans préciser le patronyme, prêtait assistance aux habitants de l’île de la Barthelasse. Le « Petit Vauclusien » mentionnait Sorgues à 3 reprises : les 17 et 22 novembre à propos de la distribution de bois et de charbon aux victimes. De toute évidence, nos concitoyens ont dû beaucoup souffrir cet automne-là de la durée exceptionnelle de la montée des eaux de la Sorgue (Ouvèze) et du fleuve. Cette élévation anormale des cours d’eau figurait parmi les plus importantes depuis les évènements extrêmes de 1840 et 1856. En effet, le phénomène se caractérisait à la fois par sa longueur et ses multiples phases de croissance et de décroissance selon les secteurs où les crues étaient combinées avec les masses d’eau qui confluaient. Le cumul de précipitations courant octobre avait été remarquable à l’échelle du bassin rhodanien : plus de 240 mm en moyenne.
L’île d’Oiselay et ses habitants furent très éprouvés par cette énième et cruelle inondation. Le fleuve, ce voisin impitoyable et monstrueux, pouvait absorber les riverains tombés malencontreusement dans ses eaux déchaînées. L’ex-voto (photo ci-contre) exposé à Notre Dame de Grâce à Rochefort du Gard, témoigne des remerciements adressés à la Vierge Marie, à la suite du naufrage, survenu le 2 novembre 1896, de cinq de nos concitoyens, Anna du Laurens d’Oiselay, Julie Clément, François Abrieu, Joseph et Jean Guillaumont. C’est une peinture à l’huile aux couleurs harmonieuses et franches où la précision du pinceau laisse supposer un savoir et un talent de l’artiste indéniable. Cette œuvre n’est pas signée. La curiosité m’a conduite à interroger le descendant collatéral d’Anna Laurens d’Oiselay, monsieur Pierre Laurens d’Oiselay, qui occupe le château familial. C’est avec courtoisie et une politesse cordiale que le châtelain m’a éclairé sur la vie de sa grand-tante et de sa fille. L’auteur de cette peinture fut très certainement Marie Valérie du Laurens d’Oiselay, mère de la naufragée. Elle était très douée et passionnée par cet art. Elle avait pris quelques leçons aux Beaux Arts. Son talent d’artiste se faisait sentir dans les portraits. C’est donc tout naturellement, mais également pieusement, qu’elle décida d’offrir cette toile en remerciement à la Vierge de ND de grâce à Rochefort du Gard. Ce sanctuaire rayonnait au dix-neuvième siècle par des nombreux pèlerinages. Cette œuvre picturale, tableau comme le stipule le registre des ex-voto, est légendé en ces termes « Marie nous a sauvés !!...-Anna du Laurent d’Oiselay- Julie Clément-François Abrieu-Joseph et Jean Guillaumont. Ex-voto- inondation du Rhône-île d’Oiselay 2 novembre 1896.- Le courageux Louis Bastergues nous a tous recueillis dans son bateau.- » il nous montre trois personnages se débattant au milieu d’un flux déchaîné, à gauche un homme qui lève les bras au ciel et qui est peut-être Louis Bastergue, au milieu une barque en train de couler. En arrière-plan une maison à demi-immergée, en perspective le château de Châteauneuf du Pape. En haut à droite la représentation de la Vierge Marie intervenant, opérant le miracle de la survie des naufragés. Anna Laurens d’Oiselay vivait dans sa famille. C’était une aristocrate désargentée, ayant pour seul capital un nom de famille prestigieux, mais sans dot. Elle offrait une triple merveille, la beauté, la gentillesse et le courage, c’était un bien maigre apport dotal pour attirer les partis. Elle comblait son entourage de ses qualités. Elle appartenait à la communauté catholique qui avait pour tradition de s’exprimer directement à la Divinité, ce qui explique son remerciement à la Vierge protectrice. Ce petit tableau où expression naïve et représentation classique se côtoient, de dimension 43x32 cm, avec un cadre rapporté, se contemple dans la salle des ex-voto à ND de Rochefort du Gard. D’autres magnifiques tableaux sont conservés très précieusement par les responsables de ce patrimoine religieux. Ils témoignent de manière parlante du passé de notre territoire, du Rhône ce fleuve dominant les hommes à cette époque et qui est dédaigné, aujourd’hui, pollué, exploité à des fins uniquement mercantiles, et qui reprendra ses droits comme la nature le fait toujours. Martinez Claudine (née Dorseuil) décembre 2012.
1- Extrait du périodique suisse, Le Confédéré, du samedi 7 novembre 1896.
Extrait de la 24ème édition des Etudes Sorguaises "Sorgues, gens oubliés... lieux perdus" 2013