l’école de la IIIème république, le culte de la Patrie

Les bataillons scolaires à sorgues / le décret de 1882 définit l’organisation des bataillons scolaires / les bataillons et les municipalités / les enfants chantent / les bataillons scolaires vauclusiens / création d’un bataillon scolaire à sorgues

1883, un professeur de gymnastique et d’instruction militaire : « il faut espérer de voir produire, au sein des jeunes générations de Sorgues, des élèves modèles dans l’art de la gymnastique et les premiers éléments de l’instruction militaire. »

Dans l’ensemble de la France, les valeurs patriotiques et guerrières furent au cœur de l’enseignement républicain. Le traumatisme de la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine expliquent en partie cette orientation. La victoire de l’Allemagne fut considérée comme l’oeuvre de l’éducation scolaire, la défaite française par opposition reposait sur l’insuffisance de patriotisme.

 

Nombreux étaient les Français qui considéraient l’institution républicaine et laïque mieux adaptée pour asseoir les valeurs morales dominantes. La patrie et l’armée occupaient une place de choix dans les professions de foi des républicains sur l’école et le contenu de l’enseignement. Le culte de la patrie fut placé au coeur de la raison scolaire.

En 1882, dans un discours à Reims, Jules FerrY 1, ministre de l’instruction publique, reprit le désir de revanche en déclarant : « L’instituteur prussien a fait la victoire de sa patrie, l’instituteur de la république préparera la revanche ». Dans un même temps, il fit distribuer dans les écoles publiques vingt mille exemplaires des chants du soldat de Déroulède 2.



musée de la Vieille ecole aux Valayans, commune de Pernes-les-Fontaines
© F.Vachet - ville de Pernes-les-Fontaines

En exaltant le sentiment patriotique, l’instruction publique posait les fondements de l’instruction militaire. Cette tâche de formation fut confiée aux instituteurs laïques. La lecture fut orientée par l’ouvrage intitulé « Le Tour de France par deux enfants », dont le sous-titre est « Devoir et Patrie » (G. Bruno). Cette publication, vendue à plus de huit millions d’exemplaires en un siècle, fixa dans l’esprit des jeunes écoliers les repères du sentiment national et l’amour de la patrie.

La ligue pour l’enseignement prit alors pour devise : « pour la patrie, par le livre et par l’épée ». Le rattachement de l’enfance à la société militaire s’exprima par la mise en place d’institutions spécifiques afin de préparer les jeunes garçons à leur future activité de soldat.

L’exemple le plus significatif est représenté par les Bataillons scolaires qui apparurent dès 1871et dont l’existence légale fut reconnue par le décret de 1882.

L’introduction des exercices militaires dans les programmes scolaires devint effective. Un manuel de gymnastique et d’exercices militaires à l’usage des enseignants du primaire et secondaire fut établi par le ministère de l’instruction publique 3.

Ferdinand Buisson, républicain, inspecteur général de l’instruction publique de 1879 à 1896, fut le principal guide des instituteurs. Président de la ligue de l’enseignement, il écrivait dans le manuel général à destination des enseignants : « L’école primaire inspirera l’obligation absolue pour les jeunes Français d’accepter les sacrifices que lui commandera son pays, fût-ce celui de la vie. L’école aura rempli sa mission si elle fait de tout jeune Français un patriote qui ne se laissera dépasser par personne en fidélité, en discipline, en héroïsme. »

Les bataillons seront organisés militairement. L’équipement est lui aussi tout à fait militaire :

- un uniforme qui copie l’uniforme des bataillons parisiens
- le béret à pompon est emprunté aux marins
- le fusil
- le tambour
- le clairon

Les bataillons scolaires participent à toutes les grandes manifestations publiques. Mais ils se préparent surtout au défilé du 14 juillet qui constitue l’aboutissement de l’année scolaire.

Les bataillons se cantonnent essentiellement dans les écoles laïques du primaire, leur entretien est à la charge des municipalités.

Destiné aux enfants de plus de 12 ans, un bataillon scolaire se compose de cinquante garçons en uniforme, ils sont récompensés par des diplômes et ils chantent des chansons patriotiques composées spécialement pour eux : les paroles de ces airs sont tirés d’un manuel de musique édité en 1886.

Les paroles sont de H. Chantavoine, la musique de Marmontel

« À la patrie, nous donnerons dans dix ans une jeune armée AGuerrie.
Bataillons de l’esperAnce, nous exerçons nos petits bras à venger l’honneur de la france. »

Le matériel préconisé par le ministère de la Guerre est spécialement fabriqué et adapté pour les jeunes garçons de 12 à 14 ans : mini clairons, petits tambours et répliques réduites des fusils Gras et Lebel de l’époque.

Certains sont en bois pour l’apprentissage du maniement d’arme, d’autres peuvent tirer des projectiles de petits calibres pour les exercices de tir des élèves de 14 ans.

Les bataillons scolaires vauclusiens

Le 20 juillet 1882, le Préfet de Vaucluse communique aux maires du département le décret ministériel du 6 juillet portant organisation des Bataillons scolaires.

Le Vaucluse est largement acquis aux idées républicaines comme l’ont montré les dernières batailles électorales.

Les élections parlementaires du 2 juillet 1871 ont permis à 5 députés de la liste républicaine vauclusienne d’être élus dont Monier Henri, avocat, maire d’orange, vieux militant républicain, avec 34588 voix sur 60291 votants. La république s’était affirmée dans le département.

En 1876, la profession de foi du candidat républicain de l’arrondissement d’Apt, Taxile Delord 4, est sans équivoque, il écrit : « Les convictions républicaines de toute ma vie ont commandé ma conduite…le devoir de défendre la république. »

Eugène Raspail proscrit de 1851 pour s’être opposé au coup d’état de Bonaparte déclare en 1876 «… mon inébranlable dévouement à la cause républicaine qui date de près d’un demi-siècle et qui a subi l’épreuve de l’exil et de la prison. »

Les élections municipales de 1880-1881 firent gagner aux républicains la majorité dans les communes du département de Vaucluse. A Sorgues, Alphonse Maureau 5, républicain, dont un membre de la famille avait proclamé la république en 1848, est élu maire de décembre 1882 à mai 1884. Il favorise l’organisation des bataillons scolaires qui s’étend aux écoles primaires du département de Vaucluse, trois compagnies sont constituées 6 :

- la première à Avignon avec un effectif de 171 élèves,

- la seconde a pour chef-lieu de réunion Sorgues et L’Isle, elle comprend 10 écoles pour un effectif de 243 élèves,

- la troisième, dont le chef-lieu est Cavaillon, a un effectif de 215 élèves.

Création d’un bataillon scolaire à Sorgues

L’organisation de la remise de prix en fin d’année scolaire 7 permet à l’instituteur laïque, monsieur Randoulet, par un pli du 24 juillet 1882, de formuler à monsieur le maire la demande fortement souhaitée de la présence du corps de musique au sein du groupe municipal. il signale, en outre, qu’il a contacté la Ligue de l’enseignement afin que soit prévu un drapeau français, et que lui soit adressé un modèle de statuts d’un cercle cantonal d’éducation civique et militaire.

Le conseil départemental de l’instruction publique, dans un courrier adressé à Alphonse Maureau, maire de Sorgues, le 20 mars 1883, adresse un avis favorable au projet de création d’un emploi de professeur de gymnastique dans les écoles publiques de Sorgues. Suite à cette nomination, monsieur le maire expose au conseil municipal un projet d’achat d’un clairon, d’un drapeau et, dès que les finances le permettront, l’achat d’armes et de munitions pour les jeunes gens de 14 à 20 ans.

Le 2 juillet 1883, l’inspecteur d’académie confirme que le Préfet de Vaucluse a agréé monsieur Lucien Roustan (ancien militaire) en qualité de maître de Gymnastique dans les écoles primaires de Sorgues.

Le 10 juillet 1883, monsieur Roustan s’adressant au maire de Sorgues déclare : « Il faut espérer de voir produire, au sein des jeunes générations de Sorgues, des élèves dans l’art de la gymnastique et les premiers éléments de l’instruction militaire ».

Le 10 mars 1887, dans un pli adressé à la municipalité de Sorgues, monsieur le Préfet informe monsieur le maire de sa décision de retirer à monsieur Roustan l’autorisation qu’il lui avait accordée le 30 juin 1883 pour l’enseignement de la gymnastique et des exercices militaires. Monsieur Roustan, dit-il, a l’habitude d’infliger des punitions corporelles aux élèves, il a notamment usé de sévices graves à l’égard de l’élève Louis Robert âgé de 10 ans.

Le 4 avril 1887, monsieur Roustan est remplacé par Ferdinand Laplane, ancien militaire. L’instruction militaire va continuer dans les écoles communales laïques de Sorgues, les effectifs, à partir de 1887, vont refluer mais la préparation militaire ne disparaît pas pour autant, elle continue au delà de la scolarité dans les sociétés de TIR.

À Sorgues, elle se transforme en Société de Lecture et de Tir qui place son siège à l’école des garçons. Des voix s’élèvent dans les paroles de la chanson pacifiste ci-dessous. Minoritaires en cette IIIème république nationaliste et revancharde, elles s’adressent aux parents des jeunes enfants des bataillons scolaires auxquels on a inculqué cet esprit de revanche.

Ne jouez pas aux soldats

Les paroles sont de Léo Lelièvre.

La musique de P. Dalbret.

« Ne joue pas les soldats, mon cher petit bonhomme,
Les sabres et les fusils ne sont pas des jouets.
Plus tard, tu en auras quand tu seras un homme,
Je ne veux pas voir ces choses entre tes doigts fluets.
Ces joujoux, vois-tu, rappellent trop la guerre,
Les chagrins et les deuils que l’on voit ici bas.
Ils ont trop fait pleurer le coeur des pauvres mères
Dont les enfants sont morts en jouant aux soldats. »

Voici un aspect bien peu connu de l’histoire de la IIIème république. on s’étonne aujourd’hui de cette militarisation en milieu scolaire des enfants de 12 ans. Ce fut ma réaction, il y a quelques années. en visite dans la petite commune de CHamPaGNY 8, je découvris dans le « musée de l’école d’autrefois » ces petits fusils de bois. Mais au regard des éléments politiques de l’époque de la IIIème république, républicaine et revancharde, je comprends les motivations de cette période de notre histoire à préparer des « soldats en herbes ».

Alain Sicard


 

 

(1) Jules Ferry, ministre de l’instruction publique de 1879 à 1880 et du 30 janvier 1882 au 29 juillet 1882.

(2) Paul Déroulède, écrivain, il participa à la guerre de 1870 et publia en 1872 les Chants du soldat. il fut le fondateur de la Ligue des patriotes d’inspiration républicaine à laquelle furent rattachés en 1882 les bataillons scolaires.

(3) Paul Bert, député républicain dès 1872, ministre de l’instruction publique du 14 novembre 1881 au 27 janvier 1882. ardent propagateur des idées laïques, il fut le créateur des bataillons scolaires.

(4) Taxile Delord, né à Avignon le 29/11/1814, député de Vaucluse en 1871.

(5) Alphonse Maureau (Histoire de Sorgues, Louis Desvergnes) maire de Sorgues de décembre 1882 à mai 1884.

(6) René Grosso : « en Vaucluse, notre école au bon vieux temps ».

(7) en 1888, les vacances scolaires des écoles primaires sont étalées du mardi 14 août au soir au lundi matin du 1er octobre.

(8) Champagny : à 30 km environ au Nord/ouest de Dijon, sur la nationale 71