Mars 1957 : je dois effectuer un remplacement de trois mois à l’école de garçons. Moi qui suis le seul de la famille à ne pas être né à Sorgues, je vais enseigner où mon père et mon grand-père ont été élèves.

Huit heures : je franchis le portail au fond de la cour qui a dû être goudronnée pour la rentrée précédente. Je suis accueilli par un « Bonjour, collègue ! » du directeur, Monsieur Marguerier. C’est réconfortant.

Monsieur Marguerier a la direction de l’école et, en même temps, celle du cours complémentaire (ancêtre des collèges). À cela, il faut ajouter les annexes : le local « Sire », trois classes (actuellement Gymnaste Club Sorguais) et le local « rassis », deux classes, route de Vedène, soit en tout au moins vingt-cinq classes : on est en plein « baby-boom »...

 

Il vient donc, enfin, de bénéficier d’une décharge de service et je dois assurer les cours qu’il faisait précédemment au « cours complémentaire » qui ne comprend encore que la 6e et la 5e. il est situé dans la cour de l’ancienne école maternelle, un mur le séparant de l’école primaire. À l’étage, le logement de fonction est occupé par monsieur Vassal, professeur de français et d’Histoire et Géographie.

Je suis agréablement surpris par la gentillesse des élèves et, en général, par leur volonté d’application.


Debout : M. Larmande - M. Schiavo - Mle Joucla M. Sinard - M. Pamboutzouglou - Mme Manzon M. Caule - Mme Moutte - Mme Bonté-Mariani -M. Tramier - M. Recordier Assis : Mme Bedel-Leray - Mme Peyrache - M. Roussin M. Charpentier - Mme Caule

Quelques semaines après, pour compléter mon emploi du temps, j’irai au cours complémentaire de l’école des filles où je ferai la connaissance de madame Chalret, Madame Cécile et Mademoiselle Nicolet, la directrice, dont je garderai un excellent souvenir et que ses anciennes élèves n’ont pas dû oublier. Je fais un peu fonction d’homme orchestre enseignant des matières totalement différentes d’une classe à l’autre et, par manque d’expérience, j’ai dû laisser courir pas mal de fausses notes. Ceci dit, jeunes instituteurs titulaires ou remplaçants, le métier était pour nous une promotion sociale et nous avions envie de faire le mieux possible. À cette époque, j’avais pour collègue Maurice Rey avec qui nous n’avions pas toujours été très sages au lycée quelques années auparavant. mais nous avions sauté la barrière, et l’avantage était que chaque fois qu’un gamin aurait eu envie de faire des bêtises, nous savions de quoi il s’agissait. Nous avions au moins cette expérience-là !

1962 - après un séjour au soleil algérien, je retrouvais l’école et une classe : un Cm1 dans lequel j’ai enseigné de nombreuses années. Le cours complémentaire était devenu « C.e.G. » puis « C.e.S. » après avoir déménagé place Saint-Pierre en 1963. Plusieurs écoles allaient se créer dans Sorgues au cours des trois décennies suivantes. il n’empêche que nous avions encore trente-cinq élèves par classe, cet effectif diminuait progressivement au cours des années.

Nos anciens, messieurs Mus, Cécile, Madame Combe, Monsieur Allène, Madame Bézet, Monsieur Champion, Madame Tramier, avaient pris ou allaient prendre bientôt leur retraite les uns après les autres et furent remplacés par la nouvelle génération, la nôtre, qui devait y rester longtemps : Madame Manzon, René Caule, Jean-Claude. Charpentier, Édouard Tramier, Claude Roussin, Mademoiselle réale qui devint Madame Caule, auxquels s’ajoutèrent un peu plus tard Guy Larmande, Raymond Pamboutzouglou, le regretté Daniel Dijon, mesdames Peyrache, Moutte, Mariani, et Monsieur et Madame Schiavo.

Monsieur Tardieu fut notre directeur de 1963 à 1971.

Les classes primaires étaient au nombre de dix-sept et occupaient maintenant toute l’école, avec les petite et grande cours. Les logements de fonction avaient été supprimés sauf celui du directeur qui disparut quelques années plus tard peu avant le mur de séparation des deux cours.

Et les élèves ? Nombreux dans le début des années 60, ils venaient de tout le territoire de Sorgues (à part le quartier des Bécassières qui avait déjà son école), en particulier ceux arrivant à pied de l’île d’oiselet, et ils n’étaient pas souvent absents. Je pense d’ailleurs à l’un d’eux à qui je demandais, pour le taquiner, où il trouvait des champignons dans l’île et qui me répondait : « Ça, monsieur, je ne peux pas vous le dire ! » Les consignes parentales étaient respectées !

À cette époque, on écrivait encore à la plume sergent major avec des encriers pleins d’encre. Les pâtés sur les feuilles des cahiers n’étaient pas rares et, pour les faire disparaître, même la gomme à encre laissait des traces quand elle ne trouait pas le papier. Pour les mesures, on se servait encore de la balance roberval et des poids en laiton, de la chaîne d’arpenteur et des mesures de volume en fer blanc sortis d’une petite armoire : le compendium. outre le cahier du jour et quelques cahiers annexes, existait le cahier du soir pour les devoirs à la maison.

1968 : la révolution ! mais non ! Pas celle à laquelle on peut penser ! Simplement, l’école allait enfin devenir mixte. Cette année-là, ces demoiselles firent leur entrée dans l’école de garçons qui s’appela désormais école « Jean Jaurès » : les jeux des garçons furent peut-être un peu moins brutaux et les filles se mirent vite au diapason en s’affirmant fort bien vis-à-vis de leurs camarades masculins.

Cette arrivée ne perturba pas les saisons des jeux : si on traça quelques marelles sous le préau, chaque période de l’année continua à avoir ses activités traditionnelles qui apparaissaient dans la cour de façon mystérieuse : osselets, gendarmes-voleurs, jeux de billes. À ce dernier, certains maîtres participaient à condition de respecter scrupuleusement les règles : juste retour des choses.

Les effectifs diminuèrent pour se stabiliser entre vingt-cinq et trente élèves.

Le matin, la leçon de morale traditionnelle avait été supprimée, mais la morale occasionnelle en classe se pratiquait et se pratique toujours à chaque occasion dans la journée.

À propos de morale, mon ami René (Monsieur Caule pour les élèves) me raconta qu’un gamin lui apportait des fleurs plusieurs fois par mois. rencontrant sa maman, il la remercia d’agrémenter ainsi sa classe, la dame tomba des nues. elle n’avait jamais envoyé de bouquets. Le garçon, en passant devant l’étalage du fleuriste se servait, le maître gentiment lui fit la leçon, mais l’élève lui en voulut jusqu’à la fin de l’année. Comment concilier l’affect des enfants et la morale des adultes ?

Les leçons de ce qu’on appelle les matières principales avaient tendance à se prolonger au-delà de la matinée, mais pas trop : la municipalité avait accordé des heures de moniteurs d’éducation physique et il fallait respecter leurs horaires.

En 1978, Monsieur Aubry, notre directeur depuis 1971, prit sa retraite. Grâce au désistement de rené Caule, je fus nommé directeur : j’étais heureux de pouvoir m’occuper de l’école en étant déchargé de classe. Le premier élève que j’inscrivis sur le registre fut évidemment mon fils Fabrice qui entrait au cours préparatoire. À ce propos, il ne faut pas croire que les enfants d’enseignants sont des privilégiés : on est au moins aussi exigeant avec eux qu’avec les autres : les pauvres !

Le directeur de l’école est responsable de son établissement, mais ce n’est pas un fonctionnaire d’autorité : il n’est rien sans ses collègues. et là, j’ai été gâté : notre équipe à laquelle s’étaient joints Claude Sauthier et Sylvie mécheri a été d’une parfaite solidarité. C’est grâce à mes collègues, à mes amis, si notre école semble avoir bien fonctionné et c’est toujours avec une pointe d’émotion que je pense à eux.

Bien entendu, nous avons, comme dans la plupart des écoles, organisé des activités extrascolaires sous l’égide de l’USeP : classes vertes, classes de neige..À quelqu’un qui m’avait dit :« alors, tu pars en vacances avec tes élèves ? », j’ai préféré ne pas répondre,mon sens de l’humour n’allant pas jusque-là.

Une anecdote, la SNCF nous avait organisé une visite de Paris en TGV et bus de la R.A.T.P. : deux cent cinquante élèves un après-midi de juin sous la tour eiffel au milieu de milliers de visiteurs ! enfin ! nous n’avions oublié personne mais, plus tard, à l’heure du retour à la gare, nous avions attendu avec inquiétude la classe d’Édouard Tramier qui s’était attardée devant les gargouilles de Notre-Dame !

Certains anciens élèves se souviennent peut-être aussi des montées à pied au Ventoux ou des « voyages de fin d’année », promenades en car pour visiter les jolis coins de Provence. Si pour quelques-uns c’était un véritable voyage d’études, pour la plupart, ce qui les intéressait avant tout, c’était le repas pris en commun et l’achat de souvenirs ; mais c’était l’occasion de se retrouver un peu en dehors de l’école.

Les parents d’élèves, ils nous confient ce qu’ils ont de plus précieux, leurs enfants. Alors !

Jai eu, nous avons eu, de très bonnes relations avec les associations de parents et, en général, avec les parents à titre individuel. ils étaient là plus pour nous aider que pour nous contrer. Quant aux municipalités, elles font ce qu’elles peuvent pour les enfants. J’ai bien sûr une pensée particulière pour Fernand marin qui avait eu affaire dans les années et 70 à une très grande augmentation de la population scolaire.

Les inspecteurs de l’Éducation nationale étaient souvent d’anciens instituteurs ou d’anciens professeurs et savaient ce que c’est d’enseigner.

Et tous ces élèves, que sont-ils devenus ? Bien sûr des hommes, des femmes qui, à leur tour, ont eu des enfants qu’ils nous ont parfois confiés. ils sont un échantillon de la société, certains ont dû mieux réussir dans la vie que d’autres, mais ce serait si bien s’ils avaient tous réussi leur vie !

Quelquefois j’en rencontre un: « Vous ne me reconnaissez pas ? » tout étonné qu’ayant quitté un garçon de onze ans, je ne reconnaisse pas ce grand barbu d’un mètre quatre-vingts ! Un ancien élève sans doute. « Tu peux me dire ton nom ? » ah ! oui ! Je me souviens

Et quand c’est un couple : « oui ! oui ! on était dans la même classe ! » L’école aurait-elle été une agence matrimoniale ?

Voilà ! en me relisant, je me dis que quelques lecteurs vont penser « alors, tout le monde il est beau ? Tout le monde il est gentil ? » Non ! il y a toujours, comme dans tous les métiers, des moments difficiles, des périodes de doute, des incertitudes mais, il n’empêche, j’ai toujours, le matin, franchi volontiers la porte d’entrée de l’école. J’ai été un instituteur heureux.

Jean Sinard