Au dix-neuvième siècle, l'île d'Oiselay était desservie par un bac public, dit du Dragonnet, établi sur le bras navigable du Rhône. Il appartenait presque exclusivement à une seule fratrie : la famille du Laurens d'Oiselay. Divers bacs particuliers fonctionnaient, dont le plus important avait toujours été celui installé vers la pointe aval, sur le bras secondaire du Rhône, dit des «Arméniers».
D'ailleurs, il faisait communiquer deux chemins vicinaux. Les rapports de l'île avec les localités de la rive droite ayant considérablement diminué et les recettes du bac public du Dragonnet ayant perdu toute importance, ce bac avait dû être supprimé et presque tout le trafic de l'île s'était reporté sur le bac principal avec la commune de Sorgues. À ce moment, pour satisfaire aux exigences de la nouvelle situation, le bac privé des Arméniers fut transformé en bac public, par voie de simple concession accordée aux propriétaires dudit bac qui étaient mesdames du Laurens d'Oiselay, des Isnards et de Lavallière.
Au début de cette concession qui remontait à 1891, les recettes du nouveau bac public furent suffisantes pour assurer, sans perte pour les concessionnaires, son exploitation. Mais la crise économique qui accompagna et suivit les années de la première guerre mondiale ne permit plus aux concessionnaires de continuer cette exploitation devenue pour elles très onéreuse.
Aussi les propriétaires de l'île s'entendirent et, en 1919, ils assurèrent son entretien et son fonctionnement.
C'était devenu un bac syndical. Par conséquent, il fut soumis aux règlements de l'administration des Ponts et chaussées. Le propriétaire et passeur payait une licence de cinq francs par an.
Le bac avait été acheté trois mille francs. En 1919, le syndicat y avait fait exécuter deux mille francs de réparations et il l'avait vendu au passeur pour la somme de mille huit cents francs.
Le passeur était titulaire d'un bail de trois, six, ou neuf ans, comportant le droit d'exploitation du bac, d'occuper une petite maison sur la berge de l'île et le terrain attenant d'une superficie d'un hectare quinze ares. Il versait au syndicat pour le tout une redevance de deux cents francs par an et prenait à sa charge les impôts afférents à la maison du passeur et au terrain adjacent, soit au total une contribution de deux cent cinquante francs.
Pour passer d'un bord à l'autre, les tarifs étaient les suivants :
1) abonnement pour passage à pied
Chaque ferme payait pour cet abonnement une redevance annuelle proportionnelle à la surface cultivée sous forme de contribution en nature (blé). Ainsi, le passeur recevait au total treize salmées de blé, soit mille sept cent quatre-vingts kilogrammes.
2) abonnement pour passage en voiture
L'abonnement pour passage en voiture s'élevait à la somme d'un franc vingt centimes, le passage avec charrette chargée un franc cinquante centimes, le passage à cheval non attelé cinquante centimes.
Pour les étrangers à l'île, entendez les visiteurs, il n'existait pas de tarif de passage bien déterminé, il devait être de l'ordre de quarante à cinquante centimes.
Pour une ferme d'importance moyenne, l'usage du bac représentait une charge annuelle de l'ordre de cinq cents francs, dix à quinze francs par hectare.
En prenant le blé comme moyenne, on pouvait compter pour la surface cultivée sur un transport annuel de quatre mille kilos de grain par hectare (Production de 2 000 kg de grain, et 4000 kg de paille dont le tiers au maximum était réservé pour les besoins de la consommation locale). L'importance des transports qui s'effectuaient par le bac pouvait être estimée dans ces conditions à un millier de tonnes par an.
S'ils avaient disposé d'un moyen d'accès facile, les propriétaires auraient pu transporter un tonnage de bois égal aux récoltes. Mais le fait de ne disposer, pour toute communication, que d'un bac dont l'usage était d'ailleurs onéreux constituait une grosse sujétion pour eux et une cause de moins-value très importante.
Les transports étaient chers non seulement du droit de péage perçu, mais en raison des difficultés, des pertes de temps, voire des dangers que comportait ce passage. On ne pouvait charger plus de mille cinq cents kilos, encore c'était un maximum. Les accidents d'animaux n'étaient pas rares. Beaucoup de fermiers renonçaient à s'installer dans l'île. Ils ne traversaient même pas le Rhône pour aller visiter leurs domaines quand ils voyaient la façon précaire dont les communications étaient assurées. De plus, l'île n'avait pas d'école et pas de médecin à demeure. Or, par grand vent ou grosses eaux, le service devait être interrompu, cela pouvait durer 5 à 6 jours. Par temps de gel, l'arrêt pouvait aller jusqu'à un mois. En règle générale, il fallait compter une interruption annuelle de soixante jours.
Pour remédier à cet état de fait, une association de propriétaires se constitua le premier mars mil neuf cent vingt-quatre en vue de se donner les moyens de construire un pont (ADV 7 M 246).
R. Chabert
Extrait de la 15ème édition des Etudes Sorguaises "Sorgues : images du passé" 2004