Mon père fut garde du canal de Pierrelatte pendant plus de vingt ans, de 1925 à 1945, c'est dire si ce canal nous était familier !
A la belle saison, son travail consistait, entre autres, à mettre où cou-per l'eau à la prise située à la Malautière puis à surveiller si les arrosants respectaient les horaires d'arrosage fixés par la direction du canal. L'hiver, les gardes assuraient l'entretien du canal. Il y avait trois gardes, un sur le canal principal, un sur le secondaire c'était mon oncle Hippolyte Perrin, un sur le tertiaire : Léon Guichard, et mon père, Fernand Millet, contrôlait le tout. Les gardes portaient une casquet-te noire spéciale marquée C.P. en rouge.Ils étaient assermentés et pou-vaient dresser contravention aux arrosants qui prenaient de l'eau en dehors de leur horaire. Certains, pour dérober de l'eau, se fabriquaient une clé comparable à celle du garde.
Normalement, il était interdit de jouer et de se baigner dans les canaux, niais nous, les enfants des gardes, pouvions le faire sans nous atti-rer des remontrances. Lorsque le canal était plein à ras bords, on pouvait se baigner et même y nager, surtout dans le secondaire qui était le canal le plus large au quartier des Marguerites. Le canal prenait naissance dans le Rhône à Donzère et finissait à Sorgues.Beaucoup de poissons descendaient le fil du courant et termi-naient leur vie dans les jardins et dans les prés au cours des arrosages et là, nous n'avions plus qu'à nous baisser pour recueillir à chaque irrigation une friture à bon compte.
Lorsque mon père coupait l'eau dans le grand canal, les poissons remontaient jusqu'à la vanne et je me souviens de pêches miraculeuses d'aloses et d'anguilles. Les années ont passé, le canal est toujours là, les prés ont disparu avec les chevaux, les grands jardins se sont raréfiés, les poissons ne vien-nent plus depuis que l'eau est puisée directement dans le Rhône par de puissantes pompes.

Henri MILLET

Extrait de la 13ème édition des Etudes Sorguaises "Sorgues dans sa diversité" 2001