Les membres des Études Sorguaises ont décidé de publier les hommages qui avaient été rendus à Odette Mauro, décédée prématurément le 8 septembre 2009. Ils avaient été prononcés à son intention le 3 novembre 2010 afin que son souvenir ne tombe pas de l'oubli et pour réparer le manque d'attention de nos édiles locaux. Malgré l'insuffisance de nos mots maladroits, nous allons essayer de décrire la chaleur qui se dégageait de cette assemblée où se retrouvèrent les membres de l'association des « Amis de la Corse », des militants syndicaux, d'autres adhérents de partis politiques, ses enfants : Sandrine, Michèle, Thierry et François, son compagnon Raymond, un groupe de personnes, tous réunis par le souvenir.
Il est difficile de mettre en lumière un portrait complet d'Odette Mauro car sa vie présentait de multiples facettes. Olivier de Villèle, président de la Société Littéraire, s'y employa et il fut suivi par Roger Martin, écrivain, qui lui avait dédié son dernier roman « Les ombres du souvenir ».
Odette était obsédée par la justice sociale, ce qui l'avait conduite à être membre du syndicat C.G.T. et du parti communiste français.
Ce soutien des « Cosette » était visiteuse de prison. Toutes les semaines, à l'établissement pénitentiaire du Pontet, elle prêtait son attention à un ou plusieurs prisonniers. Elle écoutait gravement, avec intérêt, les récits des misères de ses interlocuteurs car beaucoup étaient issus de l'immigration clandestine. Par deux fois, elle eut à rencontrer, avec une forte appréhension, des détenus punis pour crime, le premier sexuel, le second pour matricide : fidèle à la fonction bénévole dans laquelle elle s'était engagée, elle fit abstraction de ses sentiments afin de leur faire prendre conscience de la monstruosité de leurs instincts. Ces condamnés n'en avaient jamais eu le sentiment.
Elle avait joué un rôle déterminant dans l'activité de la Société Littéraire de Sorgues. Ses amis avaient une confiance absolue en elle car elle avait gardé de ses origines corses ce sens du devoir et de la discrétion. Fait très important pour les « Études Sorguaises », discrètement elle invitait ses connaissances à acheter nos brochures. Femme d'intérieur, mère de deux enfants, elle avait su coudre tous les habits de la famille. Elle avait conservé ce goût de l'aiguille : élégante et distinguée, elle portait des tenues éblouissantes que son intelligence avait conçues et son habileté réalisées.
Elle fut d'un dévouement absolu dans toutes ses entreprises, eut une foi sans bornes en un avenir meilleur, un amour immense jusqu'à son dernier souffle pour ses enfants, sa famille et son compagnon.
André Brun & Raymond Chabert (Cet article a été écrit sans connaître la teneur du témoignage ci-après)
_______________________________________________________
TÉMOIGNAGE DE JACQUES, CONDAMNÉ À UNE PEINE DE LONGUE DURÉE
(Transcription in extenso)
« En est encore temps de vous transmettre quelques lignes sur Odette, en espérant qu'elles vous conviendront. Plongé dans l'abîme où je m'étais égaré, elle m'en a sorti. Elle m'a ramené sur le chemin de l'Espoir Petite dame au grand coeur, attentive, généreuse, réconfortante et si aimable, je me permettrai de dire « Odette, Elle est très chouette » Elle était comme une sœur que je n'ai jamais eue. Chaque lundi, impatient j'attendais ce moment de fête où j'avais la sensation de franchir les hautes murailles d'un lieu où je me suis jeté, pour retrouver des instants de joie, de réconfort, de ...liberté. Aujourd'hui votre fauteuil est vide. Mais mon coeur est plein de votre générosité spontanée, franche et gratuite. Vous êtes Odette de ceux qui jamais ne me quitteront. Un jour nous nous retrouverons, et merci de votre si simple générosité et réelle amitié ».
______________________________________________________________
SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE SORGUES
Fondée le 1er avril 1832 par Jean Joseph Ducrès
Sorgues, mercredi 3 novembre 2010
Chers amis,
Nous sommes réunis ce soir à l'occasion de la présentation par Roger Martin de son dernier livre : « Les Ombres du Souvenir ». Il a tenu à le dédier à la mémoire d'Odette Mauro, âme des manifestations organisées ces dernières années sous l'égide de la Société Littéraire de Sorgues.
Cette très vieille association a connu là, grâce aux efforts fusionnellement conjugués d'Odette et de Raymond Chabert, son plus grand éclat. Le rayonnement en a rejailli sur la commune de Sorgues. M. le Sénateur Maire a bien voulu en marquer sa satisfaction en remettant la médaille de la ville à Raymond Chabert.
Il ne m'est pas possible d'évoquer toutes les compétences d'Odette Mauro dont beaucoup ont été, malheureusement, trop longtemps, volontairement sous-employées. Je tiens cependant à souligner son immense talent à susciter puis à entretenir l'adhésion à des projets communs d'individus d'horizons et de convictions fort divers. Elle savait, dans la gentillesse, répartir, selon les compétences de chacun, les participations à un engagement du groupe que représentait la Société Littéraire.
Je viens de faire mention de la gentillesse d'Odette, le plus souvent reflétée par son sourire. Son sens de la solidarité et sa générosité l'amenaient à s'engager très activement envers les malheureux, même vers ceux qui s'étaient mis eux-mêmes en marge de la société : elle était visiteuse de prison.
Le souvenir visuel que je garderai d'Odette est l'image d'une femme élégante, autant dans son comportement que vestimentairement. Il faut dire qu'elle avait autant de goût que d'habileté à manier l'aiguille. Beaucoup d'institutions, pour marquer leur reconnaissance des mérites de certains individus et en faire des modèles, ont recours à des « distinctions », accompagnées ou non de médailles. Au risque de faire sourire certains d'entre vous, en mon for intérieur, je veux considérer Odette comme une « sainte laïque ».
Olivier de Villèle Adresse courriel :
__________________________________________________________
POUR ODETTE ...
Singulière soirée.
Voilà que ce mercredi, dans cette salle du Château Gentilly où se sont déroulés tant de conférences, de débats, de réunions marqués de sa présence vigilante et attentive, je dois parler ce soir de mon dernier ouvrage, en sachant, moi, l'athée, qui ne crois ni en Dieu ni au diable, qu'au milieu de nous, parmi nous, il y aura, je le sais, j'en suis persuadé au plus profond de mon être, une présence invisible et pourtant plus réelle que la réalité.
Quelqu'un que nous avons toutes et tous fréquenté, apprécié, aimé. Parce qu'il était impossible de ne pas aimer Celle que nous n'appelions pas autrement que par son prénom tant il semblait qu'il ne pouvait y avoir de confusion. Odette...
Quand ai-je connu Odette Mauro ?
Je ne le sais plus. Bien avant que ma mutation pour le Vaucluse en 1992 m'ait rapproché de mes parents et nous ait vus nous installer à Carpentras d'abord puis à Velleron ensuite, Edith, Alexandre et moi.
Car, chaque année, et ce depuis la première édition du festival Main Basse sur la ville, j'étais devenu un habitué de Sorgues.
Odette ? Ce que je sais c'est que, dès la première rencontre, elle était devenue une amie. Avec d'autres, laissant à Raymond le soin de présenter les invités, elle oeuvrait, dans la discrétion et une efficacité redoutable, à ces tâches ingrates sans lesquelles nulle association ne pourrait prétendre organiser la moindre manifestation. Mais cette discrétion, ce talent pour régler sur-le-champ et avec tact le plus petit détail matériel, pour réparer un oubli, pour calmer une susceptibilité ou une exigence d'auteur, ne m'avait pas trompé longtemps. Odette était en réalité une éminence grise. Enfin, « grise », un mot saugrenu pour elle qui rayonnait de couleurs ! Une femme de décision, une femme d'organisation. Dans la dédicace de mon livre, me sont venus immédiatement à l'esprit les mots de Victor Hugo pour cette femme qu'il admira toujours et à laquelle il fut fidèle toute sa vie, comme elle-même le fut à la mémoire du grand poète : Louise Michel, vous savez, celle du « Temps des Cerises. »
Viro Major. Plus forte que les hommes.
Car Odette était forte. D'une force d'autant plus efficace qu'elle n'avait jamais besoin de gestes menaçants, de la violence du ton ou de la phrase pour la manifester. Une force morale qui s'imposait naturellement.
Une force qui trouva, hélas !, à s'exercer lorsque, trop souvent, la Camarde vint s'acharner sur la plupart de ses frères et soeurs. Je me souviens d'une cérémonie au cimetière d'Entraigues où l'on accompagnait un de ses frères. Nous souffrions pour elle et c'était elle qui réconfortait les autres. Puis ce furent d'autres rencontres. Le mal la frappait, elle souriait, elle riait, elle parlait de sa maladie avec une lucidité et une confiance qu'elle n'éprouvait peut-être pas, mais qu'elle voulait insuffler à ses proches et aussi à ceux qui avaient la chance de l'avoir pour amie. Elle savait combien on l'aimait et, malgré les épreuves, c'était elle qui demandait comment les gens se portaient, elle trouvait toujours et encore cette force de s'oublier au profit des autres. Forte. Oui, si forte qu'elle parvenait à convaincre qu'elle allait gagner, qu'à cette partie de poker menteur, elle battrait le mal à plates coutures ! Car, la couture, elle connaissait, Odette, et c'était toujours sa fierté lorsque quelqu'un, femme ou homme, la complimentait sur sa nouvelle robe ou son dernier chapeau. Elégante, soignée, pimpante même sans que jamais cette élégance ne prenne le pas sur l'autre, celle du coeur, car Odette c'était aussi ; et surtout, un coeur. C'était le coeur, plus que la raison, qui gouvernait ses actes. C'était lui qui la portait à être au service des autres, ses enfants, bien sûr, mais aussi Raymond qui n'aurait jamais pu mener à bien toutes ses activités sans son aide vigilante et jamais en défaut. Le coeur encore qui l'avait poussée dans le militantisme. Car, Odette était aussi une militante syndicale et politique. Mais cet engagement auquel elle resta fidèle jusqu'au dernier moment, c'était celui d'une humaniste. Communiste, Odette, oui, pourquoi ne pas le dire, mais communiste parce qu'elle ne supportait pas l'injustice, parce qu'elle aimait profondément les autres, tous ceux qui ont besoin de secours et de fraternité. Une injustice dont elle avait été elle-même victime professionnellement lorsqu'on l'avait mise, comme on dit familièrement au « placard », comme si cette expression avait le pouvoir de minimiser cette pratique dégradante.
Odette était un être lumineux. Une visite au Temps des cerises, la petite maison dont elle était si fière, c'était toujours un moment privilégié. Une de ces rencontres dont on sort rasséréné, apaisé même, car Odette avait cette grâce singulière de susciter chez ceux qu'elle honorait de son amitié les qualités qui étaient les siennes. On aurait pu la croire naïve: elle était attentive, attentionnée, disponible aux autres dont elle ne voulait voir que la part de lumière.
Odette était notre amie. Odette est notre amie.
Les mots sont impuissants à tenter de dire combien sa disparition nous touche, tant sa présence était immédiate et naturelle, tant on ressentait l'impression qu'elle faisait partie de nos vies. Les morts sont des vivants mêlés à nos combats, écrivait le poète.
Et, comme le chantait un autre disparu, qu'Odette chérissait, chacun sait que le poète a toujours raison.
Comment croire qu'Odette est morte puisqu'elle vit en chacun de nous.
Mon livre est dédié, aussi, à Jean Ferrat.
Il était présent, par une de ses plus belles chansons, à l'enterrement du frère d'Odette. Près de la tombe, les lèvres de notre amie murmuraient ses mots. « Tu aurais pu vivre encore un peu... »
On me pardonnera d'avoir ajouté à ce poème deux strophes pour Odette qui n'ont pas la qualité des strophes originelles. Mais je suis sûr qu'Odette ne m'en voudra pas...
Roger MARTIN
Extrait de la 22ème édition des Etudes Sorguaises "Vers la communauté contemporaine sorguaise" 2011