Depuis le début du dix-neuvième siècle au moins, le Mourre de Sève a été signalé au grand public en tant que site archéologique. C'est une colline à 3 kilomètres de Sorgues qui culmine à 90 mètres, très connue pour ses riches dépotoirs de la fin du VIe et du début du Ve siècle avant J. C. Les terrasses successives qui avaient occupé les lieux, et qui les occupent encore à certains endroits, sont des constructions récentes (Second Empire).

 

Elles avaient servi de supports à des plantations d'oliviers. Ces travaux avaient remodelé le profil du terrain, arrachant de la terre ici pour la mettre là, afin d'obtenir des parcelles planes plus faciles à cultiver. Ces bouleversements expliquaient la densité des tessons visibles en surface, ce qui attirait les fouilleurs clandestins. Les fouilles de 1978 montrèrent l'existence de labours antérieurs aux terrasses. D'après le monumental dictionnaire « Des noms de familles et noms de lieux du Midi de la France », de Jacques Astor, Mourre a pour origine le nom donné à l'époque néolithique (soit 5 000 à 2 500 avant J.C.) à un point culminant : une colline. Quant à Sève, toujours pour ce même chercheur, ce nom, d'origine chrétienne, est dérivé de Saint-Sever, saint du Ve ou VIe siècle de notre ère. C'est un prénom devenu noms de famille SÉVÉ, SEVÉ, SÈVE, SÈBE.


En 1804, dans le domaine de Côte Brûlée, proche du sommet de la colline, qui avait appartenu au dix-huitième siècle à de Monéri, un cimetière avait été découvert. Les corps étaient enterrés dans des tombeaux de briques, à 74 centimètres environ de profondeur. Les chercheurs de l'époque considéraient comme probable que ce cimetière était destiné aux habitants de Vindalium. On prétendait que les vins devaient au sous-sol de ce lieu leur agréable bouquet et leur goût de vigne nourrie des sédiments organiques. Cette découverte avait fait l'objet d'une communication dans les « Mémoires de l'Athénée de Vaucluse ».


En 1933, monsieur Sylvain Gagnière, qui fut maître de recherches au Cnrs et directeur honoraire des Antiquités de Provence et de Corse, pratiqua des fouilles, et ses recherches permirent de souligner l'intérêt de cet endroit. Il remonta à la période finale de l'hallstattien (du 6e au 5e siècle avant Jésus-Christ) . À cette époque-là, des gens vivaient sur cette hauteur (oppidum). En Provence, il y a des dizaines de sites de ce genre, dans la vallée de la Durance, sur les contreforts du Luberon, autour de Sainte-Cécile-les-Vignes, de Jonquières, de Lagnes etc. (la liste n'est pas exhaustive). Ces êtres humains avaient besoin d'un habitat, de cultiver les champs, d'élever du bétail, d'acheter les biens qui leur faisaient défaut. En général, leurs maisons étaient bâties avec une base en pierres sèches sur lesquelles on élevait des murs avec des briques en argile crue et des toits en chaume, parfois recouverts d'une très épaisse couche d'argile, l'ensemble soutenu par des charpentes. Ces activités laissent des traces et, aussi invraisemblable que cela peut paraître, pendant très longtemps rien de tout cela ne fut repéré.


En 1974, un premier petit trou avait permis de se rendre compte de l'épaisseur de la couche archéologique. Mais 1978 fut le point de départ de recherches soutenues, sous la direction d'une scientifique, Charlette Arcelin. À chaque campagne de fouilles, les chercheurs trouvaient une moisson anormalement abondante de poteries dites « céramiques grises monochromes » des 6e et 5e siècles avant notre ère, des morceaux de pots cassés, des os de porcs, de moutons, de chevaux qui avaient été consommés, mais pas d'empreintes d'habitat.


Jusqu'en 1983, le Mourre de Sève a constitué une énigme archéologique, c'était une agglomération qui ne comportait aucune trace de fortification, aucune trace d'habitat en dur, mais qui livrait toujours des poteries en abondance. Les morceaux de vases découverts en tas étaient toujours liés à une terre qui contenait beaucoup de cendres. C'était insolite : sur ce site, les cendres existaient pratiquement à tous les niveaux archéologiques ; or, il n'y avait pas de structures dans lesquelles vivaient des êtres humains. Ce fut en 1983 que madame Charlette Arcelin, du CNRS, en étendant son chantier, eut la surprise de mettre au jour un véritable quartier d'habitations, avec sa rue, ses maisons et, surtout, ses murs de pierres. Les travaux effectués en 1987 donnèrent la possibilité de dater les lieux : fin du Ve siècle avant JC. Ils permirent de découvrir un véritable four conservé dans l'angle d'une pièce. Ainsi, neuf ans après le début des recherches, la dernière campagne de fouilles a renforcé l'hypothèse d'un atelier de poteries protohistoriques, le seul connu dans la région, sur le Mourre de Sève, qui aurait été intégré à un habitat traditionnel du type oppidum.



Le potier du « Mourre de Sève » était fidèle aux traditions : peu imaginatif, il ne s'écartait pas des modèles qu'il avait reçus de ses devanciers. Il innovait rarement. Le matériel recueilli est d'un type commun aux oppida de la basse vallée du Rhône. Les poteries étaient façonnées à la main. Elles étaient séchées au soleil, puis lissées ou peignées et enfin soumises à une cuisson souvent irrégulière dont le degré de chaleur et d'oxydation donnait aux vases des tons gris ou noirs, suivant la nature de l'argile traitée. La surface extérieure était lissée ou striée à l'aide d'un peigne ou d'une raclette. L'intérieur avait souvent un aspect vacuolaire dû à la décomposition du dégraissant et à la présence d'une quantité de petites fissures produites par des dilatations irrégulières au moment de la cuisson. Celle-ci, opérée dans une atmosphère fumigène, donnait souvent aux vases une tonalité d'un noir assez uniforme.

Parmi les nombreux tessons recueillis, la plupart provenaient de récipients destinés à la cuisine : l'urne, le bol ou l'écuelle, la coupe , la jatte et le vase à liquide. L'urne était l'ustensile le plus utilisé en raison de son utilisation comme vase à conserves, vase culinaire, récipient à liquide. C'était un récipient pansu, sans anse, à fond plat et col haut, remplissant tout à la fois le rôle du cratère grec et celui de l'olla romaine.

L'écuelle, c'était un récipient servant à la fois de plat profond et de vase à boisson, de la forme du bol, mais de taille supérieure, avec paroi épaisse. La jatte, c'était d'abord une écuelle dont les dimensions se développèrent fortement.

La céramique trouvée sur les lieux nécessiterait une vaste étude pour une meilleure connaissance des vases dont les tessons sont si abondamment répandus. De 1978 à 1988 s'instaura une systématique de la fouille avec un matériel qui allait croissant. Au commencement, l'outillage était simple, un outil pour gratter, une truelle et quelques instruments plus fins comme ceux utilisés par un dentiste. Par la suite, il fallait l'aide d'engins mécaniques car la couche archéologique se trouvait à plus d'un mètre de profondeur.

Ces campagnes n'auraient pas pu se dérouler dans de bonnes conditions sans le soutien actif de la municipalité Marin. Elle accueillait les fouilleurs au château Gentilly, elle prenait en charge une partie de la nourriture, elle prêtait des engins mécaniques (tractopelle...), elle installait une citerne sur le terrain ainsi qu'un abri de chantier. Le Centre Culturel Communal versait une subvention. Sans ces renforts, les chantiers de fouilles, qui se déroulaient sur un terrain difficile, n'auraient pas pu obtenir rapidement d'aussi bons résultats.


À PRÉSENT


Depuis le 28 septembre 1988, l'ensemble du mobilier archéologique est entreposé au dépôt de fouilles de la Direction des Antiquités à Vaison-la-Romaine, dans de bonnes conditions de sécurité et de conservation. Le plus important reste à faire : il s'agit de livrer au monde scientifique, mais également au grand public, l'essentiel des données archéologiques obtenues par neuf années de recherches assidues, seule une aide du conseil municipal pourrait permettre la réalisation de ce projet. Une demande en ce sens avait été formulée auprès de la présente municipalité, sans résultat positif.


Avant de clore cet article, il est de notre devoir de rappeler le rôle remarquable d'Émilienne Corréard (1914-2000) dans les fouilles du Mourre de Sève. Intuitivement, elle avait compris l'importance archéologique de ce site. C'est elle qui avait convaincu Charlette Arcelin, trop tôt disparue, de diriger ce chantier. Grâce à elle, nous avons commencé à connaître la vie de nos lointains ancêtres. Son souvenir restera attaché à ces lieux.


Raymond CHABERT 

Extrait des Etudes Sorguaises 20ème édition "Découvertes et Evènements"2009