Paul Pons a levé un voile sur les agissements des saltimbanques en racontant l'histoire du Noir (1) de la foire de Monteti. Ce Noir (1) était l'attraction sensationnelle de la troupe. Robin en avait un en vue, qui ne savait d'ailleurs pas lutter, et qui, au dernier moment a fait faux-bond. Il a été obligé de le remplacer par un vulgaire blanc qu'il a fait noircir. Mais pour comble de malheur, la pluie se met à tomber : horreur ! le noir va déteindre. Comment dissimuler le subterfuge aux spectateurs ?
Le public s'était engouffré sans sourciller, sans maugréer contre la pluie dans les arènes. Quelle recette ! Quelle mine d'or c'était pour les banquistes, que cette journée de fête à Monteti !
Un prètre, directeur d'une institution, qui désire faire revivre devant ses élèves les combats des arènes romaines, est allé demander à Pons et à ses camarades de venir figurer les athlètes antiques. Ces gladiateurs, à la grande joie des prêtres et des écoliers, ont rempli leur rôle ci merveilles. De même nos lutteurs sont heureux de cette aubaine qui a rempli leur escarcelle et leur a permis de faire un plantureux repas.
On en devinait, dans le clair-obscur du jour finissant, la calme simplicité; pas de luxe inutile, rien qu'une simplicité décorative réduite jusqu'à la sévérité à la plus simple, à la plus pieuse expression.
A pas ouatés, pour troubler aussi peu que possible le silence religieux de ce lieu saint, nous suivions, le long d'un des bas-côtés de la chapelle, le père supérieur qui nous guidait. D'un geste, il nous arrêta bientôt.
Pons a trouvé un engagement à Paris dans les fameuses arènes de Marseille. Mais auparavant il a eu des déboires avec son restaurateur. Il prenait ses repas à prix fixe en compagnie de Robinet, et tous deux mangeaient tellement que le patron à dû les prévenir qu'il perdait de l'argent avec eux. Un incident curieux va se produire dans la carrière athlétique de Pons.
L'abbé que nous avions remarqué dirigeait à Saint-Cucufa une école chrétienne libre où fréquentaient les fils de bourgeois aisés.Le digne homme, qui n'avait de comptes à rendre à personne qu'à sa conscience, estimait qu'il était intéressant d'élargir le programme des études classiques par des leçons de choses aussi vécues que possible.
Après ses déboires de Marseille où toutes ses économies lui ont été volées, Paul Pons se rend à Paris en compagnie de Robinet. Ils espèrent y trouver fortune, mais la lutte n'avait pas encore la vogue dont elle jouit maintenant, et les deux amis sont obligés, avant tout, d'aller dans les hôtels et restaurants bon marché, attendant que la chance veuille bien tourner ses regards sur eux.
L'établissement jouissait d'une réputation considérable dans un monde très relevé où le snobisme imposait ses caprices.
Toute la jeunesse enjuponnée qui ripaillait autour des tables de marbre blanc — lesquelles ignoraient bien entendu le luxe d'une nappe — emplissait l'endroit d'un tel babillage de gaîté, d'éclats de rire si francs, d'une vie si exhubérante que vraiment on pouvait se montrer indulgent pour l'absence complète de luxe et même de confortable de ce débit de victuailles qui de restaurant n'avait que le nom.
Après ses débuts à Bordeaux, Paul Pons est allé lutter dans une nouvelle arène de foire à Marseille. Là, il a fait connaissance d'une accorte brune pour laquelle il ressent un sentiment qui ressemble bien à de l'amour, mais il perd bientôt ses premières illusions : Cette femme lui vole ses économies qui se montent à 30 francs. Pons fera mieux de s'occuper seulement de lutte.
Je ne savais que penser. Me fallait-il abandonner ces lieux pour me lancer à sa recherche ? Fallait-il l'attendre ? Elle allait certainement revenir, ce n'était point douteux. Mais était-elle partie Je ne l'avais même pas entendues s'éloigner.
Je résolus de rester sur place pour voir ce qu'il allait advenir de cette étrange aventure, et m'en fus m'asseoir sur le parapet où tout à l'heure elle s'était accoudée.
Pour ses débuts comme lutteur professionnel dans les arènes de Mange-Matin à Bordeaux, Paul Pons a réussi à triompher aisément d'un amateur que ses compagnons avaient surnommé le Rogneur. Il était renommé pour son mauvais caractère et ses qualités athlétiques. Aussi, Mange-Matin eut-il, dès ce jour, la plus sincère admiration pour son vigoureux et adroit pensionnaire.
V
Robinet (Louis-Pancrace-Alexandre) tenait à Marseille, dans une ruelle qui aboutissait tout à l'extrémité du Cours Belzunce, un petit cabaret athlétique du style de ceux que j'avais connus à Bordeaux.
C'est là que nous nous rendions chaque jour, avec Apollon, de qui la grande réputation athlétique s'était déjà affirmée. Car je me trouvais échoué à Marseille.
Paul Pons vient de faire ses débuts de professionnel chez Mange-Matin, dans sa baraque de la foire de Bordeaux. Le premier soir, il a fourni une lutte en se faisant passer pour l'amateur qui réclame un gant dans la foule. Naturellement se rencontrant avec un lutteur, il était entendu qu'il serait tombé, mais il fait si brillante contenance qu'il recueille les ovations de la foule et que son patron se décide à le faire débuter le lendemain. Nous allons voir Paul Pons dans son nouveau métier.
— Il faudrait voir à te frusquer un peu proprement, me dit le soir le père Bénèze qui surveillait mon équipement. Tu montes en parade, tâche de frimer si tu veux avoir l'air de quelque chose.
La troupe de Mange-Matin s'habillait dans la baraque même. Quinze centimètres de débris de glace servaient à se mirer et l'on se repassait, de main en main, un fragment de peigne édenté qui servait à la communauté pour rappeler à l'ordre les chevelures récalcitrantes. C'était tout ce qu'on possédait dans la maison pour se faire une beauté fatale.